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Éthiopie: comment les rebelles ont repris l’avantage au Tigré

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L’ancien pouvoir du TPLF, le Front de libération du peuple du Tigré, transformé en groupe rebelle, a lancé une large offensive depuis une semaine au Tigré, cette province du nord de l’Éthiopie. En quelques jours, il a repris une large partie du territoire perdu ainsi que plusieurs villes-clés dont la capitale régionale Mekele. Depuis novembre, une guerre sanglante oppose le TPLF au pouvoir fédéral d’Addis-Abeba, aidé par l’armée érythréenne et des milices d’ethnie Amhara. Mais après les défaites du début, le TPLF a lancé la reconquête.

De notre correspondant à Nairobi,

Vendredi dernier 25 juin, à 5h du matin, les rebelles ont lancé une attaque fulgurante. L’ancien pouvoir du TPLF (Tigray People’s Liberation Front) et son bras armé, les Tigrean Defense Forces, ou TDF, ont donné le départ d’une opération militaire baptisée Alula, du nom de Ras Alula Aba Nega, un général et homme politique tigréen du XIXe siècle.

En quelques jours, les forces tigréennes ont reconquis la capitale Mekele, mais également Shire et une partie des grandes villes de la province, qui depuis novembre étaient occupée par l’armée fédérale. C’est la première fois depuis novembre que le TPLF a réapparu dans ces zones.  Au début de la guerre, le pouvoir tigréen a subi une série de défaites et a dû battre en retraite.

Mais pour Kjetil Tronvoll, chercheur à l’université norvégienne de Bjørknes, l’État central a commis une erreur dès le début du conflit. « Quand la guerre a commencé, le Premier ministre Abiy Ahmed a emprisonné 17 000 officiers tigréens de l’armée et ils sont toujours en détention. Il a complètement détruit la chaîne de commandement. Donc il a fortement affaibli l’armée fédérale dès le départ. »

En plus de cela, « la société tigréenne est une communauté combattanterappelle le chercheur. Ils sont habitués à se battre. D’autres groupes le sont également en Éthiopie, mais c’est particulièrement marqué chez les Tigréens. Les anciens combattants du TPLF, qui se sont battus dans les années 1970, 80 et 90, ont apporté une connaissance collective qui compte, surtout dans le passage d’une guerre d’abord conventionnelle en novembre à une guérilla à partir de fin novembre. »

Préparer la contre-attaque

Après les défaites des débuts, l’ancien pouvoir et ses combattants se sont enfoncés dans les campagnes et dans les montagnes. Pour pouvoir survivre d’abord, se renforcer puis contre-attaquer ensuite. William Davison, spécialiste de l’Éthiopie à l’International Crisis Group, explique qu’au fil du temps, le TPLF a réussi à renforcer ses capacités et à se reconstruire, à travers notamment une guerre asymétrique contre ses adversaires. Car si le TPLF a souffert de pertes importantes au début, et a été très affecté par les bombardements aériens, incluant l’utilisation de drones, il a pu s’implanter dans les campagnes.

« Il n’y a pas eu de capture et d’élimination de leaders de la résistance depuis février, rappelle William Davison. Cela veut dire que les rebelles ont consolidé leurs positions. Ils se sont réorganisés avec une structure qui les a rendus capables d’organiser des embuscades. Ils ont établi des lignes d’approvisionnement permettant de protéger leurs chefs. Le TPLF a perdu ses armes les plus lourdes, mais il est parvenu à reprendre beaucoup de matériel sur le champ de bataille. On n’a pas de preuve qu’il existe un approvisionnement en armes venant de l’extérieur. Et évidemment, ces dernières semaines, ils ont montré leur capacité à reprendre du territoire, à étendre leur contrôle du centre vers des villes plus petites. Cela a entraîné l’effondrement de l’opération du pouvoir fédéral. »

► À lire aussi : Après la chute de Mekele, le retour du face-à-face entre les Tigréens et l’Érythrée

Une autre erreur commise par le pouvoir fédéral a été de sous-estimer le soutien du TPLF au sein de la population. Or l’ancien pouvoir a pu largement s’appuyer sur l’aide des Tigréens eux-mêmes. Les habitants ont caché, protégé les combattants. Ils leur ont fourni de la nourriture, servi d’éclaireurs, apporté un soutien logistique. Mais s’ajoute à cela les exactions commises par les ENDF (Ethiopian National Defense Force) et les soldats érythréens. De multiples crimes ont été documentés, des meurtres, des exécutions, des viols de masse, des destructions, des pillages partout au Tigré. Aujourd’hui, beaucoup de Tigréens pensent qu’il s’agit d’un génocide.

Pour Terrence Lyons, spécialiste de l’Éthiopie à l’université George Mason, cette menace existentielle s’est retournée contre Addis-Abeba. « Certaines figures du TPLF au pouvoir depuis très longtemps étaient controversées. Certains étaient vus comme corrompus, pas assez réactifs aux besoins de la population. Ils étaient accusés de s’être enrichis, en dirigeant des banques, des sociétés importantes dans la construction par exemple, etc. Mais je pense qu’avec la gravité et le nombre de crimes commis, les Tigréens ont ressenti une menace existentielle. La population s’est tournée vers le TPLF qui a pu s’en servir pour mobiliser. C’est un argument extrêmement puissant. »

« La relation du mouvement avec les habitants est très forte, insiste Terrence Lyons. On l’a vu pendant les élections de septembre. Le scrutin a montré que le pouvoir régional avait la capacité de mobiliser les gens. Quand vous voulez gagner une guérilla et remporter le cœur des habitants sur le terrain, vous devez constamment leur rappeler que le conflit n’est pas contre eux, qu’il est dirigé contre une organisation particulière. Vous devez au quotidien montrer que vous êtes du côté de la population. En leur donnant de la nourriture, en ne bombardant pas les marchés ou en n’arrêtant pas les gens pour rien. »

Guerre asymétrique

Au fil du temps, les rebelles n’ont donc cessé de se renforcer et ont pu entamer une guerre de type asymétrique, avec des attaques le plus souvent nocturnes, durant lesquelles ils tuaient des soldats et volaient du matériel, des armes notamment. C’est un type de conflit auquel le TPLF est habitué. Il faisait la même chose dans le passé, lorsqu’il combattait la dictature du DERG.

D’ailleurs, ce n’est peut-être pas un hasard si l’opération de reconquête, lancée par les rebelles il y a presqu’une semaine, a débuté quelques jours à peine après le bombardement du marché de Togoga, qui a fait des dizaines de morts. Pour Terrence Lyons, ce type de tragédie a une résonnance très forte dans la psychologie des Tigréens car « cela rappelle l’histoire de la guerre de libération menée par le TPLF contre la dictature du DERG ». Le chercheur rappelle que « le régime bombardait les marchés à l’époque. C’était un argument repris sans arrêt par ceux qui menaient la lutte armée. Le fait que cela se soit répété a rappelé ces souvenirs du passé qui sont extrêmement puissants ».

Une fois la reconquête entamée vendredi dernier, les rebelles ont enchaîné les victoires. Difficile de connaître l’intensité des affrontements, puisque les communications sont totalement coupées avec le Tigré. Mais la plupart du temps, les troupes fédérales et érythréennes se sont retirées en offrant une résistance jugée faible.

Pression internationale

La puissance militaire des TPLF a évidemment joué, mais ce ne serait pas la seule explication. L’ordre de battre en retraite donné par Addis-Abeba s’explique aussi par un contexte plus large, notamment à cause de la taille de la crise humanitaire et la forte pression extérieure. La communauté internationale a été largement critiquée tout au long de cette crise, pour sa passivité, la mollesse de sa réaction.

Terrence Lyons nuance toutefois, car selon lui « l’essentiel n’était pas tant les sanctions, mais plutôt faire comprendre à Abiy Ahmed que la pression internationale continuerait de s’accentuer, avec des réunions au Conseil de sécurité, au FMI, à la Banque mondiale, pour rendre de plus en plus difficiles des investissements étrangers à cause justement de sanctions. »

 A lire aussi : Éthiopie: les forces tigréennes reprennent Mekele et plusieurs villes clés

Le spécialiste de l’Éthiopie estime que « voir que la communauté internationale ne lâcherait pas a probablement joué, tout comme la pression financière sur les prêts du FMI et de la BM car ce sont des arguments financiers très concrets, et non des blocages symboliques comme des restrictions de visas ». Il souligne également que « les dommages d’une telle crise humanitaire et d’une famine sur la réputation du pouvoir sont très importants » et que « se retirer lui permet de se détacher du problème ».

« Addis-Abeba peut répondre que ses troupes ne sont même plus au Tigré et que ce n’est pas de sa faute si les gens ont faim, explique Terrence Lyons. Enfin militairement, on pourrait dire qu’au lieu de combattre les rebelles sur leur territoire et dans les montagnes, il vaut mieux tenter de les contenir, en fermant la frontière avec la zone amhara, en bloquant la liaison vers le Soudan, car ça les couperait d’un accès aux armes. »

Trahison

Le retrait des troupes fédérales s’est accompagné aussi d’un recul des soldats érythréens, dont l’animosité à l’égard des Tigréens est pourtant notoire. Les militaires d’Asmara envoyé par le président érythréen sont accusés de multiples exactions contre les civils. Kjetil Tronvoll n’est pas du tout surpris que le président Isayas Afewerki ait ordonné le retrait de ses troupes. « Pour moi, c’était clair qu’il allait trahir Abiy Ahmed. Les militaires érythréens n’ont pas voulu soutenir les ENDF, pour ne pas se faire tuer. Les EDF [Eritrean Defence Forces, NDLR] ont, elles aussi, été diminuées. Et Isayas Afewerki a besoin de sauver ce qu’il reste de ses soldats pour pouvoir se sauver lui-même. Il a réalisé qu’il était vulnérable face à une attaque des TDF, mais aussi en interne. »

D’ailleurs, forts de ses succès, le TPLF ne compte en tout cas pas s’arrêter là. Les rebelles ont annoncé qu’ils allaient reprendre tout le Tigré et qu’ils étaient prêts à descendre sur Addis-Abeba, le cœur du pouvoir fédéral, où à marcher sur Asmara, la capitale de l’Érythrée, si la sécurité du Tigré en dépend.

Le chercheur Kjetil Tronvoll estime que les Tigréens sont tout à fait capables de mettre leurs menaces à exécution, car ils ont tendance à faire ce qu’ils disent. Il explique que « quand le gouvernement fédéral a reporté les élections sine die, les Tigréens ont répondu qu’ils organiseraient quand même un scrutin. Tout le monde s’est moqué d’eux, leur disant qu’ils n’oseraient pas. Mais ils l’ont fait. Quand les Tigréens prennent ce genre de décision, ils la mettent en pratique. Et c’est ce qu’ils font aujourd’hui. Ils ont annoncé qu’ils allaient annihiler les capacités des ENDF, des milices amharas, des Èrythréens, pour que la sécurité revienne au Tigré. Leur menace visant Addis-Abeba et Asmara, ce ne sont pas des paroles en l’air. Ils peuvent le faire. »

Néanmoins, selon le chercheur, étendre la domination du TPLF au-delà du Tigré n’est pas la priorité aujourd’hui. Pour Kjetil Tronvoll, les rebelles sont désormais dans une guerre d’indépendance. « Lorsque j’ai suivi les élections au Tigré en septembre, sur place tout le monde craignait une guerre. Mais à l’époque, les gens disaient que la province faisait partie de l’Éthiopie. Tout en précisaient que si Abiy Ahmed attaquait le Tigré, ce serait fini, la région ferait sécession. »

► A écouter aussi : Pourquoi l’Éthiopie décrète un cessez-le-feu unilatéral au Tigré

Désormais la région est plongée dans l’incertitude. Le gouvernement fédéral a annoncé un cessez-le-feu unilatéral, officiellement pour raisons humanitaires alors que la saison des pluies approche et qu’elle s’annonce cruciale pour combattre la famine. Un arrêt des hostilités annoncé alors que Mekele tombait entre les mains des rebelles, qui d’ailleurs ont poursuivi leur avancée et n’ont aucune intention d’appliquer une trêve. La sortie de crise s’annonce donc extrêmement complexe.

Pour William Davison, de l’International Crisis Group, « le gouvernement doit montrer sa volonté d’appliquer le cessez-le-feu humanitaire, de travailler avec le TPLF et la communauté internationale et humanitaire pour régler la crise humanitaire. S’il ne le fait pas, ça ne fera qu’exacerber les tensions entre Addis-Abeba et les autres. Il doit aussi régler le problème des forces Amhara qui ont pris le contrôle de l’ouest et du sud du Tigré. C’est un obstacle majeur à la réconciliation. Les exigences du TPLF relatives à l’autonomie doivent être entendues. Je ne pense pas que le TPLF va vouloir s’intégrer à une fédération où il est à la merci du pouvoir central, surtout si celui-ci est mené par Abiy Ahmed. Un autre obstacle majeur est la classification du TPLF en organisation terroriste. Il faut changer cela pour avoir une paix. »

La guerre du Tigré a déjà fait des milliers de morts. Étant donné la liste d’obstacles avant une éventuelle fin de conflit, la liste des victimes risque de s’allonger.

RFI

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