Après 15 années de combat des organisations non-gouvernementales, la France s’apprête à adopter un mécanisme de restitution aux populations des avoirs saisis dans les affaires dites de “biens mal acquis” par des dirigeants étrangers, notamment du Congo, du Gabon et de la Guinée équatoriale.
Les “biens mal acquis” désignent des avoirs et biens publics détournés par des dirigeants étrangers ou leurs proches à des fins personnelles : biens immobiliers luxueux, voitures, montres, comptes en banque. Une fois la mesure votée ce mardi à l’Assemblée nationale et le 21 juillet au Sénat, un vaste chantier s’ouvre pour la mettre en œuvre dans les pays concernés, via des projets de développement.
La France a longtemps fait figure de destination privilégiée pour constituer ces patrimoines. En 2008, les ONG Sherpa et Transparency International ont déposé plainte contre des dirigeants du Gabon, du Congo ou de Guinée équatoriale, ouvrant la voie à des enquêtes. La procédure la plus avancée concerne Teodorin Obiang, le fils du président de Guinée équatoriale, condamné en appel le 10 février 2020 à trois ans de prison avec sursis, 30 millions d’euros d’amendes et des confiscations. Un arrêt de la Cour de cassation est attendu le 28 juillet.
Développement solidaire
Depuis 2003, la Convention onusienne de Merida (Mexique), signée par de nombreux pays, fixe le principe de restitution des fruits de la corruption aux pays spoliés. Mais les mécanismes de restitutions demeurent rares : ils existent notamment aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et surtout depuis une loi de 2015 en Suisse, où le dispositif passe pour le plus abouti.
La France s’apprête à son tour à se doter d’un mécanisme, via un projet de loi consacré au développement solidaire, devant être adopté définitivement le 21 juillet. Il prévoit que soient “restituées, au plus près de la population de l’État étranger concerné”, les “recettes provenant de biens confisqués aux personnes définitivement condamnées pour blanchiment, recel…”.
Mise en œuvre
En pratique, une ligne budgétaire spécifiqueabondée par la revente des biens est attendue dans le budget français sous la responsabilité du ministère des Affaires étrangères. Elle doit financer des “actions de coopération et de développement”, au “cas par cas” dans les pays concernés, en matière de santé, éducation, égalité femmes-hommes…
Le premier cas concret devrait être celui de la Guinée équatoriale. Avec une incertitude sur la possibilité de faire apparaître les crédits dès cet automne dans le budget 2022 ou seulement dans le budget 2023, le temps de revendre les biens saisis, estimés à quelque 150 millions d’euros par les ONG.
Ça ne sera pas comptabilisé en aide publique au développement tt les mécanismes budgétaires habituels ne s’appliqueront pas. “Il n’y aura pas de taux de réserve (marge conservée par l’Etat) et il y aura un report automatique des crédits d’une année sur l’autre s’ils ne sont pas consommés”, souligne une source diplomatique.
Respect de la souveraineté
Les restitutions devront articuler respect de la “souveraineté” des Etats concernés et inclusion de la société civile pour éviter que l’argent ne reparte dans des circuits de corruption. Mission délicate en Guinée équatoriale dirigée depuis bientôt 42 ans par Teodoro Obiang Nguema. “Il n’y a quasiment aucune société civile indépendante, nos partenaires sur place sont presque tous exilés, ça peut être compliqué”, relève Sara Brimbeuf, de l’ONG Transparency, qui applaudit le futur mécanisme mais reste “vigilante”.
Selon les informations de l’AFP, des contacts ont déjà été établis entre la France et les autorités équato-guinéennes pour expliquer la philosophie de la restitution. Certains parlementaires regrettent que le mécanisme reste sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères. “Il ne faut pas que les restitutions se mélangent avec d’autres enjeux diplomatiques”, prévient la députée ex-LREM Emilie Cariou.
Pour restituer d’autres avoirs “mal acquis”, il “faudra d’abord les identifier”, insiste l’avocat Nicola Bonucci, ancien expert de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). “Cela n’aura de sens que si la France se dote d’une politique volontariste” de détection des flux financiers illicites. A ce titre, le projet de loi de “confiance dans la justice” en cours d’examen et sa limitation à trois ans des enquêtes préliminaires inquiètent les ONG, alors que les enquêtes financières sont souvent d’une grande complexité.
Source: Africanews