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Série Peuls (3), la révolte des damnés de la terre au centre du Mali

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La katiba « Macina », dirigée par Hamadoun Kouffa au centre du Mali, rassemble un bon nombre d’éleveurs peuls pour qui qui ce mouvement djihadiste exprime plus une révolte sociale qu’une guerre de religions.

Hamadoun Kouffa, chef de la katiba Macina, impose sa loi sur une bonne partie du delta intérieur du Niger, au centre du Mali. Ce beau parleur s’est fait connaître par ses prêches enflammés, lorsqu’il parcourait sa région de village en village pour délivrer la « bonne parole », il y a des années. Mais aujourd’hui, c’est en chef de guerre qu’il agit. Dans la galaxie des jihadistes sahéliens, son mouvement occupe désormais une place prépondérante. Il a non seulement réussi à chasser les forces de sécurité et les fonctionnaires d’une bonne partie du centre du Mali, mais il a en plus commencé à l’administrer, en rendant la justice notamment. Kouffa est considéré comme le bras droit d’Iyad ag-Ghali, le chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), une coalition de groupes armés affiliée à Al-Qaeda.

Dans le Macina, son aura est ancienne. Ses prêches, lus à la radio ou déclamés dans les mosquées, ont marqué les esprits – surtout dans sa communauté. « Il parle bien, sait dire les vérités, n’hésite pas à s’en prendre aux familles maraboutiques ou à dénoncer la corruption, les voleurs, les mariages trop ostentatoires, et c’est pour cela que les gens l’apprécient, explique un chercheur originaire du centre du Mali qui a requis l’anonymat pour des raisons de sécurité. Mais il a un autre atout important dans cette région : il s’exprime en fulfuldé, les bergers l’écoutent. Selon un élu d’une commune particulièrement touchée par l’activisme de la katiba Macina, un certain nombre d’éleveurs voient en Kouffa « l’homme qui a pris les armes pour les défendre et renverser le système qui les avait abandonnés », et qui dénonce depuis des années « les privilèges des familles maraboutiques, la corruption des autorités locales et la complicité des élites peules ».

Prêches en boucle à la radio

Cela fait des années que Kouffa enflamme le Macina par ses discours. « Ici, tout le monde le connaissait bien avant qu’il ne prenne les armes. Lorsqu’il avait 15 ans, ses poèmes avaient déjà du succès », explique le directeur d’une ONG basée à Sévaré. Issu d’une famille de marabouts réputés, il ne fréquente que l’école coranique, comme beaucoup de Peuls dans cette région. Une fois qu’il maîtrise le Coran, il est envoyé à Dili, un village proche de la frontière mauritanienne, pour y parfaire ses connaissances. Puis son apprentissage le mène dans la zone de Sévaré, où il fréquente plusieurs marabouts. C’est ici qu’il commence à prêcher et à dénoncer l’imposture des familles maraboutiques, qu’il accuse de vivre sur le dos des talibés (les enfants auxquels ils sont censés apprendre le Coran, et qu’ils envoient mendier dans les rues) et de profiter d’un système dont ils excluent les castes considérées comme « inférieures ». Le succès est immédiat, notamment chez les jeunes bergers, les laisses-pour-compte des politiques publiques, qui n’ont d’autre horizon que de récupérer le troupeau familial. Les radios locales passent ses prêches en boucle.

« Dans le centre du Mali, les bergers peuls ont le sentiment d’être abandonnés. Ils sont les premières victimes de la corruption ». Le directeur d’une ONG 

Aujourd’hui, ce n’est plus à la radio qu’il lance ses messages enflammés, mais sur whats’app. Les bergers peuls s’arrachent les audios dans lesquels il les appelle – toujours en fulfulde – à se révolter et à prendre les armes contre leurs oppresseurs : les notables locaux, les fonctionnaires, les forces de sécurité, les étrangers, etc. « Pour comprendre le succès de Kouffa, il faut bien connaître le contexte local, explique le directeur de l’ONG cité plus haut. Dans le centre du Mali, les bergers peuls ont le sentiment d’être abandonnés. Ils sont les premières victimes de la corruption. Cela faisait des années que le feu couvait ».

Au XIXème siècle, la région de Mopti était « l’eldorado » du Mali, selon les mots du regretté Adam Thiam, célèbre journaliste malien décédé en mars 2020, qui avait publié une étude consacrée au centre du Mali en 2017. C’était une région prospère, grâce à son agriculture et à son élevage notamment. Après l’indépendance obtenue en 1960, on en parlait comme du poumon économique du pays. Mais les vagues de sécheresses des années 1970 et 1980 ont lourdement frappé l’économie régionale. Au milieu des années 1990, la région de Mopti était devenue la plus pauvre du Mali selon les statistiques nationales. Le bétail a été décimé. Les éleveurs ont perdu leur seule richesse. Et les pouvoirs publics n’ont rien fait. Au contraire, ils ont soutenu l’agriculture extensive, privilégiant les populations sédentaires aux populations semi-nomades ou nomades, parmi lesquelles les Peuls.

Conflits récurrents

Les équilibres locaux, déjà fragiles, entre éleveurs (pour la plupart des Peuls ou des Touaregs), cultivateurs (des Bambaras ou Dogons) et pêcheurs (des Bozos), ont été bouleversés. Depuis des décennies, tous étaient soumis à des règles et à des maîtres (du pâturage, des eaux, de la terre) qui leur permettaient de coexister tant bien que mal. Les conflits étaient récurrents, mais ils étaient la plupart du temps réglés de manière pacifique par les notables locaux. Mais en promouvant l’avancée du front agricole et en calquant le modèle démocratique occidental, l’Etat a mis à mal cette cohabitation ancestrale au nom de la modernisation.

Quand la guerre éclate dans le nord eu pays, en 2012, le Macina, situé sur la ligne de front, est encore une fois négligé. Les fonctionnaires et les forces de sécurité le fuient. Les populations sont plus que jamais livrées à elles-mêmes. Les vols de bétail se multiplient. Les communautés s’organisent pour se défendre. Elles constituent des milices, la plupart du temps fondées sur l’appartenance communautaire. « À la faveur du vide sécuritaire (…) la banalisation de la violence, le sentiment d´impunité, la disponibilité des armes à feu et la généralisation de la contestation des normes coutumières ont été autant de facteurs favorisant l’escalade violente des conflits, indique un rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri). La crise de 2012 a donc constitué une opportunité, pour certains acteurs, d’exprimer leurs contestations violentes de l’ordre établi, représenté à la fois par l’État, mais également par les normes traditionnelles. »

Un terreau idéal pour recruter

Lorsque l’Etat revient en 2013, à la suite de l’armée française, ceux qui le représentent renouent avec leurs anciennes pratiques : corruption, arrestations arbitraires, violences, etc. L’armée notamment, multiplie les exactions à l’égard de certaines communautés, dont les Peuls, accusés d’être les « complices » des jihadistes. Dans un de ses rapports, la division des droits de l’Homme de la Minusma estimait que 73% des personnes arrêtées dans les régions de Mopti et de Ségou en 2016 appartenaient à la communauté peule. « Cela a exacerbé la défiance des Peuls vis-à-vis de l’Etat », souligne le directeur de l’ONG. Pour lui, « Kouffa n’avait qu’à tendre la main : le terreau était idéal pour recruter ».

Car l’ancien prêcheur est devenu un combattant entre temps. Dans les années 2000, il se radicalise et épouse la cause salafiste. Il fréquente la mosquée Markaz, dans le quartier de Banankabougou, à Bamako, connue pour abriter les membres de la secte Dawa – dont fait également partie Iyad ag-Ghali -, laquelle prône un islam fondamentaliste. Mais la plupart du temps, il part à la conquête des habitants du Macina : de village en village, il multiplie les prêches qui le rendent encore plus populaire. En 2012, quand les groupes jihadistes prennent le contrôle du Nord-Mali, il les rejoint. Puis il disparaît en 2013, après le déclenchement de l’opération Serval, lorsque tous les jihadistes se terrent en attendant que l’orage passe. On le donne alors pour mort… jusqu’en 2015, lorsque la katiba Macina revendique ses premières attaques, et que Kouffa est cité comme étant son chef.

« Leur justice peut paraître brutale aux yeux d’un Occidental, mais elle est considérée comme plus juste que celle de l’État par nombre d’habitants »

Depuis lors, cette katiba n’a cessé de gagner du terrain. Si quelques centres urbains vivent encore dans le cadre de la république, le reste du Macina est aujourd’hui sous la coupe des jihadistes. « Ils sont dans tous les villages, ils se cachent de moins en moins, et ce sont eux qui administrent, constate un enseignant de la zone qui a fui les menaces des jihadistes (lesquels ont fait fermer la plupart des écoles) et s’est réfugié à Mopti. Ils lèvent des impôts. Ils rendent la justice. Ils interdisent aux femmes de se laver dans la nature ou de sortir sans le voile. »

Tout cela sous le règne de la violence : ceux qui s’opposent à eux sont tués ou menacés, et les villages qui leur résistent sont soumis à un embargo. Et pourtant, en dépit des assassinats ciblés contre des élus locaux ou des chefs religieux, la katiba a gagné des partisans. « Leur justice peut paraître brutale aux yeux d’un Occidental, mais elle est considérée comme plus juste que celle de l’État par nombre d’habitants, et notamment les éleveurs, car elle n’est pas corrompue », souligne le directeur de l’ONG déjà citée. Les jihadistes ont notamment apporté une certaine sécurité pour les éleveurs, qui se tournent vers eux afin de résoudre les conflits avec les cultivateurs.

Boubacar Ba, chercheur au Centre d’analyse sur la Gouvernance et la Sécurité au Sahel,

Révolte sociale

Spécialiste de cette région, Boubacar Ba, chercheur au Centre d’analyse sur la Gouvernance et la Sécurité au Sahel, notait récemment : « Après 2015, le groupe de la Katiba Macina s’est implanté dans la région de Mopti en instaurant au départ une violence multiforme et en s’adaptant au contexte sociologique et socio-économique. […] Depuis 2018 les chefs de la Katiba Macina ont changé de tactique en approchant les conseils des familles dirigeantes du Macina et de la boucle du Niger pour « gouverner » », et notamment pour imposer des règles en matière d’accès aux ressources naturelles. Ils ont notamment permis aux éleveurs de réutiliser des terres qui leur étaient réservées dans le passé, mais qu’ils avaient perdu ces dernières années. Ils ont également mis en place des taxes, présentées comme une forme de « zakat » : parfois contestée par ceux qui la jugent trop importante, celle-ci est cependant considérée par nombre d’éleveurs comme un moindre mal, en comparaison à la corruption des agents des Eaux et forêts ou des juges.

Les groupes jihadistes cherchent ainsi à saper la légitimité de l’Etat, en s’en prenant à ceux qui le représentent, tout en proposant, tantôt par la force tantôt par la séduction, une alternative à cette forme d’Etat « importée » d’Europe, et selon eux inadaptée aux coutumes locales. « Cela leur permet de se positionner en tant que nouvelle offre de gouvernance, plus en adéquation avec les réalités locales, et ainsi de gagner des partisans chez ceux qui étaient les grands perdants de l’ancienne gouvernance », poursuit le directeur de l’ONG.

Plusieurs observateurs admettent aujourd’hui que ce à quoi on assiste dans le Macina est une forme de « révolte sociale ». « On peut les qualifier de « jihadistes » ou de « terroristes », mais la réalité est bien différente, admet un diplomate malien à la retraite. Cette réalité, c’est que les gens qui ont pris les armes dans le centre du Mali, notamment en rejoignant Kouffa, rejettent l’injustice et la corruption ». Mais cette révolte ne concerne pas que l’État. L’anthropologue Boukary Sangaré expliquait il y a quelques années dans un rapport intitulé « Le Centre du Mali, épicentre du jihadisme ? », que le soulèvement actuel trouve également ses origines dans les inégalités au sein de la communauté peule : « Dans le Macina, des pasteurs transhumants, ne voulant plus se soumettre aux règles établies par leurs chefs traditionnels [dioros], se sont armés et ont décidé de ne plus payer de taxes pour avoir accès aux bourgous [plantes fourragères]. Le jihad apparaît ainsi comme une simple option instrumentale en vue d’objectifs autres que la diffusion de la foi rigoriste. »

Le rapport sur le pastoralisme du réseau Billital Maroobé, déjà cité dans ce dossier, défend la même thèse : « L’adhésion aux groupes jihadistes est également un moyen de renverser les hiérarchies sociales, indique son auteur, Mathieu Pellerin. Le cas du delta intérieur du Niger est de ce point emblématique. La monétarisation progressive de l’accès aux bourgoutières a donné lieu jusqu’en 2015 à des pratiques prédatrices par des élites nomades et les autorités locales dont les usagers « étrangers », notamment les éleveurs de la zone exondée, étaient les principales victimes. La katibat Macinah a profité de ce contextepour recruter parmi celles-ci. »

SourceMondAfrique

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