Ancien député à l’Assemblée nationale du Mali, de 1997 à 2002, auteur de « Mansala, le Mali d’après crise » aux éditions La Sahélienne (2020), Moussa Balla Diarra s’exprime sur la transition et la crise scolaire dans le pays.
Le 18 août 2020, le président Ibrahim Boubacar Keïta a été poussé à la démission forcée. L’Assemblée nationale a été dissoute. De jeunes militaires, réunis dans le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), ont pris le pouvoir à Bamako. Une Charte de Transition a été adoptée.
Les organes de transition ont été mis en place. Baw N’Daw, après un court séjour à Koulouba, a été poussé à la démission forcée. Son vice-président Assimi Goïta est ordonné nouveau président de la Transition. Choguel Kokalla Maïga du Comité stratégique du M5-RFP est nommé à la tête de la primature, après la démission forcée de Moctar Ouane.
Face à la grogne sociale, les nouvelles autorités ont procédé à l’unification des grilles salariales. Pour l’application de l’article 39 sur leur statut particulier, la synergie syndicale des enseignants, signataires du 15 octobre 2016, décide de boycotter les examens de fin d’année. L’école malienne est toujours en crise.
Sahel Tribune : Comment sommes-nous arrivés à une telle situation ?
Moussa Balla Diarra : nous sommes arrivés à cette transition en raison de la mauvaise gouvernance. Depuis une cinquantaine d’années, les différents régimes qui se sont succédé à la tête de l’État ont cultivé la mauvaise graine de cette mauvaise gouvernance. C’est un fléau que le peuple, dans sa souveraineté absolue, n’a pas réussi à arrêter. Pourtant, ce peuple constitue le vrai pouvoir, l’organe de veille des institutions de la république.
Vous faites référence à la société civile ?
Évidemment ! Pendant une cinquantaine d’années, le Mali a manqué une société civile responsable, organisée, structurée, unie, forte et consciente de son rôle. Une société civile qui joue pleinement son rôle, de façon indépendante, sans compter sur de l’argent ou d’autres intérêts personnels.
Si le Mali avait eu une telle société civile, nous n’allions pas assister aux dérives gouvernementales, de mauvaises gouvernances, de corruption, de gabegie, de clientélisme auxquelles le Mali a toujours été confronté.
Qu’en est-il du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques ?
Le M5-RFP n’est pas une affaire de personne, mais plutôt de pays. C’est en absence de cet organe de veille que le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) s’est vite constitué. Le genre de mouvement qu’il fallait et qu’il faudrait entretenir pour une meilleure résolution des problèmes de ce pays.
Le ras-le-bol qui s’était emparé des Maliens et qui a conduit à la formation de ce mouvement a finalement conduit au départ du régime IBK. Du coup, le Mali s’est retrouvé sous un régime de transition, par le bouleversement de l’ordre constitutionnel.
Quel est votre regard sur la transition et sa gestion ?
Une transition reste un ordre inconstitutionnel. C’est une période transitoire durant laquelle certains problèmes de la nation doivent être réglés, pour le retour de l’ordre constitutionnel. Une transition n’est pas faite pour résoudre tous les problèmes de la nation.
Aujourd’hui, nous avons besoin au Mali d’un ordre constitutionnel, qui naîtra à travers l’organisation et la tenue des élections présidentielle et législative, la nomination d’un gouvernement par le président élu.
En dehors des affaires d’injustice, d’insécurité, de crise éducative, cette transition au Mali devrait, dès le départ s’accentuer sur l’organisation des élections. Mais on vient de consommer la moitié de la période prévue. Une période durant laquelle il y a un coup d’État dans un coup d’État. Le Mali va ainsi de mal en pis. La situation du pays ne cesse de se compliquer chaque jour.
Objectivement, le peu de temps qui reste à cette transition ne peut pas permettre l’organisation et la tenue des élections. Il suffit d’analyser le processus d’organisation de l’élection présidentielle pour s’en rendre compte. Mais si tout est déjà prêt, alors on peut aller aux élections.
Sur la prolongation ou non de la durée initiale de la transition, qui est de 18 mois, quelle est concrètement votre position ?
Il faut comprimer ce qui peut l’être pour rester dans le temps. Il est très tôt pour songer à une prorogation de la durée de la transition. En 1991, la transition était prévue pour neuf mois. Lorsque nous nous sommes rendu compte que ce délai était intenable, la transition a été prorogée à quatorze mois. La transition actuelle doit durer dix-huit mois, et il reste encore huit mois avant la fin.
S’il doit y avoir une prorogation, il faudrait que les partenaires du Mali constatent qu’il y a vraiment la nécessité. En ce moment, cette transition pourrait être prorogée de trois à quatre mois. Mais si le Mali s’entête à faire une prorogation unilatérale, d’autres sanctions pourraient tomber.
La prorogation ne doit pas être envisagée, jusqu’à une date ultime, où on constate que les matériels, les bulletins sont prêts, toutes les conditions sont réunies pour aller aux élections. Mais il faut encore un peu de temps pour de petits réglages, impossibles dans le temps qui reste à la transition, on peut en ce moment envisager la prorogation.
Outre la transition, on a la crise scolaire qui refait surface. Quelle est votre lecture sur cette crise ?
Cette crise procède encore de la mauvaise gouvernance, qui gangrène le pays depuis cinquante ans. Cette mauvaise gouvernance ne se traduit pas seulement par des détournements de fonds. Elle se traduit également par les mauvais choix politiques.
Cette crise a commencé lorsque le Fonds monétaire international et la banque mondiale, dont nous dépendons en grande partie en matière d’aide budgétaire, ont supprimé la formation des formateurs dans le budget du gouvernement. Cette suppression a entrainé un manque d’enseignants qualifiés. Tout genre de personne s’est retrouvé dans l’enseignement. On a assisté également au départ volontaire des enseignants à la retraite.
Tout est à mettre sur le dos des partenaires du Mali ?
Pas du tout. Mais tout a commencé avec cette suppression de la formation des formateurs. L’école malienne a perdu tous les bons enseignants qu’elle avait. L’autre problème a été le traitement octroyé aux étudiants par le gouvernement de transition en 1991. Des étudiants étaient nommés dans le gouvernement.
De file en aiguille, ces problèmes ont détruit l’école malienne. Jusqu’aujourd’hui, on peine à retrouver notre voie. Les partenaires, les parents aussi bien que les enseignants ont démissionné. L’école est toujours perturbée par des grèves : tantôt des enseignants, tantôt des élèves.
Dernière question : votre avis sur l’application de l’article 39 ?
Mon avis est qu’on devrait déployer tous les moyens nécessaires pour satisfaire les besoins de l’éducation. Dès lors qu’un engagement a été pris, on doit le respecter quoiqu’il advienne. Parce qu’il s’agit de l’avenir de l’éducation, de la jeunesse et du pays. Si ce statut particulier a été octroyé aux enseignants, par des autorités du Mali, c’est qu’elles étaient persuadées que c’est applicable. Alors qu’on l’applique.
Propos recueillis par Fousseni Togola
Source: Sahel tribune