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Lutte contre la corruption des ministres : La Cour Suprême peut-elle se substituer à la Haute Cour de Justice ?

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L’annonce de la convocation de certains anciens ministres à la Cour suprême de Bamako, pour y être entendus dans cette sombre affaire d’achat de l’avion présidentiel a créé une polémique générale. Les uns, approuvant l’initiative de cette version remixée de la lutte contre le vol et la corruption, s’en réjouissent. Les autres, prétendant faire prévaloir le légalisme, s’indignent des interprétations des différentes personnalités incriminées.

Les juristes, les avocats des défendeurs notamment, spéculent et dénoncent une chasse aux sorcières. Certains membres de la Cour suprême se désolidarisent et désapprouvent la procédure enclenchée, la jugeant illégale.

Les interrogations fusent et ce d’autant plus que la recherche d’un fondement juridique ouvre la voie à des interprétations des textes susceptibles d’être appliqués. Nous avons d’abord songé à l’article 206 de la loi, de septembre 2016-Loi  n°2016-046/ portant Loi organique fixant l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour Suprême et la procédure suivie devant elle.

En effet, l’Article 206 nous indique que « en matière criminelle, correctionnelle ou de police, la Chambre criminelle de la Cour Suprême peut dessaisir toute juridiction d’instruction ou de jugement et renvoyer la connaissance de l’affaire à une autre juridiction de même ordre, soit si la juridiction normalement compétente ne peut être légalement composée  ou si le cours de la justice se trouve autrement interrompu soit pour cause de suspicion légitime ou de sûreté publique ». Quelle est donc la portée de ce texte qui pourrait finalement constituer un moyen de contourner la réticence de l’assemblée Nationale à mettre en cause les ministres ?

 

L’expression « toute juridiction » peut-elle être interprétée comme incluant la Haute Cour de Justice ? Si oui, alors la nouvelle chasse aux délinquants en col blanc est légale et la procédure suivie ne saurait être dénoncée. Cette loi n’ayant admis aucune exception en la matière, peut-on exclure les justiciables bénéficiant d’une immunité de juridiction ? En effet, si le législateur de 2016 voulait excepter les règles applicables aux ministres pour des actes commis dans l’exercice de leur fonction, n’aurait-il pas précisé la portée de l’article 206 ? Une telle omission, dans une loi aussi importante, n’est certainement pas un oubli ! Même si c’était le cas, il faudra attendre une relecture dudit texte pour en préciser la limite. 

 

Cela est d’autant plus nécessaire que l’article 614 du Code de procédure pénale, applicable aux actes commis en dehors de l’exercice des fonctions de ministre, pourrait conforter l’interprétation donnée à l’article 206. 

Il est vrai que les articles 95 et 96 font de la Haute Cour de Justice la juridiction désignée exclusivement pour juger nos ministres délinquants mais rien dans ces textes, n’ayant pas été révisésdepuis 1992, ne fait obstacle à une compétence spécialement attribuée à une Juridiction Suprême par une loi spéciale. Et cela est d’autant plus vrai que ladite loi spéciale insiste sur les motifs de l’intervention de la Cour suprême. Cette dernière peut donc intervenir « si la juridiction normalement compétente ne peut être légalement composée  ou si le cours de la justice se trouve autrement interrompu soit pour cause de suspicion légitime ou de sûreté publique ».

On précisera également que les faits reprochés ne constituent nullement des faits rattachables à la fonction. S’ils sont commis au cours de la fonction sans pouvoir être rattachés à celle-ci alors les ministres  doivent pouvoir être entendus devant la Cour suprême. Ce fût le cas dans le procès Sarkozy et GMT et acolytes ont bien été jugés au Mali par une Cour d’assises. L’acte délictueux ou criminel sciemment posé ne se rattache pas à la fonction d’un ministre. On ne nomme pas un ministre pour surfacturer les marchés de l’État ou subtiliser les deniers publics. Par ailleurs, l’article 614 du Code de procédure pénale, applicable aux actes commis en dehors de l’exercice des fonctions de ministre et donnant pouvoir au parquet pour exercer l’action publique, pourrait conforter l’interprétation donnée à l’article 206.

 

Toutefois, on pourrait être tenté de dire que si la Constitution a instauré une immunité de juridiction, c’est parce qu’elle a vouluexclure la compétence des juridictions de droit commun. L’argument est pertinent mais il n’explique pas pourquoi la loi de 2016 n’a pas excepté les procédures relevant de la Haute Cour de Justice.  Il n’est pas exclu que faits détachables de la fonction soient appréciés par une application combinée de l’article 206 de la loi 2016 sur l’organisation de la Cour suprême et de l’article 614 du Code de procédure pénale.

Mais, s’agissant d’un texte relatif à une procédure de renvoi, l’article 206, même si on souhaiterait qu’il en soit autrement à cause de la « suspicion légitime » qui entoure ce genre d’affaire, ne pourrait-il pas être écarté en l’espèce ? Dans l’affirmative, le procureur général aura toutes les peines du monde à justifier ses actions. Et cela est d’autant plus vrai que l’article 87 de la loi de 2016 détermine les champs, supposés, de compétence de la Cour suprême. Et il n’y figure nullement le droit d’entendre les ministres délinquants.

 

Souhaitons également que le « terme de suspicion légitime » soit interprété de façon large pour pouvoir permettre au procureur d’entendre ces Hauts fonctionnaires délinquants, sous réserve du respect de la présomption d’innocence et de celui du droit à unprocès équitable. On peut, en effet, suspecter une complicité entre les ministres concernés et les membres de l’Assemblée  nationale chargée de la mise en accusation. 

 

Enfin, en l’absence d’un parlement susceptible de procéder à la mise en accusation des ministres interpelés, le CNT demeurant un Objet Volant non Identifié (OVNI), ne peut-on pas admettre la compétence de la Cour suprême pour éviter un déni de justice ?Cela permettrait de contourner les collisions frauduleuses entre ministres et parlementaires, sachant que les loups ne se mangent pas entre eux.  Ces pistes de réflexion, sans pouvoir constituer des vérités absolues, méritent d’être appréciées (à la lumière d’autres textes) par les Hauts magistrats afin d’éclairer le malien en quête de justice et nargué par les professionnels du droit.

 

Mais en attendant, le malien doit comprendre que ces personnes interpellées bénéficient de la présomption d’innocence et qu’il faut éviter de jeter l’opprobre sur nos illustres « personnalités » sans raison. Nous attendons impatiemment les commentaires de nos professeurs émérites qui ne sauraient se désintéresser d’une telle polémique juridico-politique et qui pourront corroborer ou infirmer les propos que j’ai eu l’imprudence d’avancer dans le cadre d’une réflexion personnelle.

 

Vive la république !

Vive la lutte contre la corruption, le vol !

 

Dr DOUGOUNE Moussa

Professeur d’enseignement Supérieur et Consultant/Formateur auprès des Banques

Le Pélican

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