Accueil Afrique Alioune Tine: «En Afrique, les coups d’État militaires, symptômes du dysfonctionnement démocratique»

Alioune Tine: «En Afrique, les coups d’État militaires, symptômes du dysfonctionnement démocratique»

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Arrive-t-on à la fin du cycle de la démocratisation en Afrique de l’Ouest ? Avec le coup d’État en Guinée, qui fait suite à ceux qui se sont déroulés au Mali, et à des crispations autour des élections dans de nombreux autres pays de la sous-région, les défenseurs des idées libérales s’inquiètent. Faiblesse des institutions, présidentialisme exacerbé, défis sécuritaires, partenaires occidentaux complaisants et régimes autoritaires décomplexés… Les causes profondes des crises sont multiples. Pour en parler, François Mazet a joint le Sénégalais Alioune Tine, fondateur du centre de réflexion Afrikajom Center, qui travaille sur les organisations et les institutions en Afrique.

RFI : Des coups d’État en Guinée, au Mali, des élections peu inclusives ou des contextes préélectoraux qui se tendent dans d’autres pays… La démocratisation de l’Afrique de l’Ouest est-elle en danger, selon vous ?

Alioune Tine : Totalement en panne à l’heure actuelle, où nous vivons vraiment des situations, où nous avons des fraudes électorales. Ce sont des formes, également, de coups d’État dont on parle très peu, sur lesquelles, effectivement, ni l’Union africaine ni la Cédéao ni également la communauté internationale ne disent mot. Nous avons également des formes de coups d’État constitutionnels, on change la Constitution pour rester au pouvoir et maintenant, nous avons des coups d’État militaires. Les coups d’État militaires c’est bruyant, c’est les galons, ça se voit tout de suite. Maintenant, un coup d’État militaire, c’est le symptôme des dysfonctionnements démocratiques, c’est les symptômes des pathologies démocratiques. Les gens les prennent comme des remèdes, mais ce ne sont pas les bonnes réponses ! Il faut qu’on fasse attention, pour qu’on ait des institutions qui soient des institutions fortes, parce que nous avons un hyper présidentialisme, des pouvoirs absolus, des pouvoirs qu’absolument rien ne limite. C’était le cas effectivement en Guinée et résultat, c’est ce qu’on vient de voir.

Effectivement, la situation guinéenne et celle d’Alpha Condé, viennent rappeler que la démocratie, cela ne s’arrête pas aux élections. C’est aussi la gouvernance et l’État de droit.

Exactement ! Parce qu’aujourd’hui, quand je parle du Mali, parce que je suis expert indépendant, je dis que le Mali c’est le miroir de tous les pays, pratiquement, de l’Afrique de l’Ouest, mais c’est un miroir déformant. En réalité, ce sont des degrés totalement différents dans la crise. Il y en a qui sont très exacerbés, les autres moins… Et des crises, à la fois de la démocratie, de la sécurité, ce sont des crises régionales, qui appellent des réponses régionales qui ne sont pas encore là. Maintenant, dans le domaine de la gouvernance, franchement, les problèmes et les crises sont partout, avec la corruption qui est là, dans tous les pays, avec également une faiblesse de l’ensemble des institutions, les institutions judiciaires qui sont sur le contrôle également du pouvoir exécutif et les institutions législatives qui sont de plus en plus faibles.

Alors pourquoi ce modèle démocratique s’épuise, selon vous, en Afrique de l’Ouest ? Est-ce que c’est un problème de génération, est-ce que c’est un problème de formation, de culture politique des élites locales ?

Je pense que c’est un problème de cycle. Nous sommes dans une période de fin de cycle où nous avons vécu avec la chute du Mur de Berlin et La Baule, de transition démocratique correcte. Après, il y a eu quand même le basculement sécuritaire sur le plan géopolitique mondial avec les attaques du World Trade Center -et quand même- le problème du jihadisme qui nous a envahi… Tout cela fait effectivement que les pouvoirs se sont crispés. Et les organes de régulation –que ce soit la Cédéao, que ce soit l’Union africaine et aussi l’UE– se sont affaiblis, y compris les Nations unies. Parce qu’effectivement il y a l’émergence de pays qui aujourd’hui collaborent avec les pays africains – que ce soit la Chine, que ce soit la Turquie ou la Russie – qui ne sont pas regardants sur les questions des droits de l’homme. Alors l’Europe se dit : Mais tiens ! Ils sont en train de prendre tous les marchés, maintenant nous allons fermer les yeux.

Le déclin international du multilatéralisme fait que les modèles autocratiques séduisent toujours davantage…

Nous sommes dans une situation où, c’est sur le plan endogène que le réveil doit se faire. On ne peut pas compter sur l’extérieur, aujourd’hui, pour dire : nous allons améliorer la situation en Afrique. Il est évident que les gens -les putschistes- vont avancer ! Je pense que, s’il n’y avait pas eu de putsch au Mali, il n’y aurait pas eu de putsch au Tchad ni de putsch en Guinée. Donc il faut faire extrêmement attention. Comme on dit, la contamination est vraiment possible dans certains pays qui vont persister à l’autoritarisme, à se crisper, à garder le pouvoir, à ne pas respecter les limitations de mandat… Soit, c’est le putsch, soit, c’est les insurrections. C’est inévitable !

Il y a des situations particulières qui vont inquiètent ?

Il y a des situations aussi d’incertitude, où les gens ne sont, ni pour la limitation de mandat, etc., qui lorgnent aussi le troisième mandat, surtout dans des pays comme le Sénégal. Tout cela, ce sont des situations qui inquiètent. Mais il me semble qu’il faut que l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest -le leadership– vraiment, apprenne de ce qui s’est passé en Guinée.

Il y a quand même des contre-exemples. Le Niger et le Burkina ont réussi à organiser des élections et semblent avoir pris une voie vers une démocratisation que ces pays ne connaissaient pas auparavant.

D’accord, le Niger a organisé des élections, Issoufou est parti… C’est très bien. Je pense qu’aujourd’hui, il faut penser –que ce soit au Niger, au Mali et au Burkina Faso– à des stratégies pour aboutir à la paix. Aujourd’hui, les stratégies sécuritaires prennent le pas sur les stratégies pour aller vers la paix. Et sans la paix, il est évident que ces pays vont rester fragiles sur tous les plans ; économique, politique, sécuritaire et même démocratique.µ

RFI

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