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Mali – Mahmoud Dicko : « Je n’ai pas besoin de me cacher »

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L’imam Mahmoud Dicko est un homme très occupé. Dans son nouveau Centre pour la paix et le vivre ensemble dans les pays du Sahel, il a un agenda chargé. Plus de place dans le grand salon d’accueil. Des visiteurs patientent dans une mosquée alors que certains autres sont aux aguets dans le couloir, prêts à tout pour arracher quelques instants à l’imam. Après quatre heures de patience, Mahmoud Dicko reçoit l’équipe de Journal du Mali. Toujours animé de son «  feu patriotique », il vient d’initier, avec d’autres leaders religieux musulmans et chrétiens, la mise en place du «  Collège des leaders religieux » pour la paix et la réconciliation. Dans cet entretien, il explique sa démarche et livre le fond de sa pensée sur l’actualité sociopolitique du pays.

À votre initiative, les leaders religieux se sont réunis au sein d’un « Collège ». C’était l’un des vœux exprimés en 2020 lors d’une manifestation du M5-RFP sur le Boulevard de l’Indépendance. Pourquoi la mise en place de cette initiative a-t-elle pris du temps ?

Mieux vaut tard que jamais. Elle a pris du temps pour beaucoup de raisons. Et aujourd’hui il le faut. Par la grâce de Dieu, nous sommes en train de mettre cela en place de façon sérieuse. Et très prochainement nous allons l’élargir, non seulement aux autorités religieuses, mais aussi aux autorités coutumières et communautaires de notre pays afin de voir dans quelle mesure nous pouvons nous réconcilier avec nous-mêmes. Nous avons beaucoup de valeurs et suffisamment de ressources humaines dans notre pays. Comme je le dis toujours, si on interroge le génie malien il nous donnera la solution à nos problèmes. Je crois en ce génie-là et je ne me décourage pas. J’ai trouvé le même enthousiasme, le même engagement, chez tous les leaders religieux. C’est ensemble que nous sommes en train de faire ce travail, avec beaucoup de complicité.

Le Collège des leaders religieux va « amorcer dans les prochains jours un plaidoyer pour la paix et la réconciliation auprès des gouvernants, acteurs sociaux, des acteurs armés en belligérance et de la communauté internationale ». Comment comptez-vous vous y y prendre ?

C’est collégialement que nous allons décider de la façon de faire. Cependant, dans le Mali d’aujourd’hui, je sais que tous les enfants du pays aspirent à cette réconciliation, à cette paix. Je ne pense pas que nous aurons des difficultés à aborder ces questions avec tous les acteurs d’en face.

Il existe un Accord pour la paix et la réconciliation signé entre l’État et les groupes armés du Nord en 2015. Cet accord, décrié par une frange du peuple malien et que le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga entend « intelligemment » réviser, pourra-t-il être utilisé comme matière première ?

Pour ceux qui ont déjà signé un accord, je crois que l’améliorer ou le relire intelligemment  sont des choses dans lesquelles nous n’allons pas nous engager maintenant. Mais nous allons accompagner tout le reste. Déjà, les jalons de l’Accord ont été posés, il faut seulement consolider ce qui est. Maintenant, comment le faire ? Cela revient aux autorités, qui sont chargées de sa mise en œuvre. Heureusement qu’il y a un accord de ce côté. Nous, nous allons dans des endroits où rien n’a été fait, afin d’œuvrer à ce qu’il y ait un accord entre les belligérants qui y sont et le reste du Mali.

Dans votre quête de paix vous avez ouvert un Centre pour la paix et le vivre ensemble dans les pays du Sahel. Est-ce qu’il va être un instrument pour faciliter le dialogue entre l’État et les groupes armés djihadistes ?

Je veux que ce Centre soit un instrument pour amorcer le dialogue que nous sommes en train de mettre en œuvre collégialement. Maintenant, s’il doit être un instrument pour faciliter le dialogue entre l’État et ces différents groupes, le Centre jouera sa partition. Si l’État nous demande de nous impliquer, il n’y a pas de problème. Nous sommes prêts à jouer les facilitateurs si on nous le demande. Mais, même sans cela, nous pensons que notre statut en tant qu’imams et chefs religieux, je le dis de façon très modeste, nous confère aujourd’hui une position qui nous permet de chercher à faire en sorte qu’il y ait de la compréhension entre les enfants de ce pays. Mais pas que ceux qui ont des armes et qu’on appelle djihadistes. Il y a aussi des déchirements et trop de fissures dans notre société, des plaies qu’il faut chercher à panser aujourd’hui.

Lors de son ouverture, votre Centre a été décrié par certains intellectuels, à travers une pétition, l’accusant « d’incuber des idées extrémistes sous le couvert de la science ». Que leur répondez-vous ?

(Rires). Je ne peux pas empêcher les gens d’avoir leur opinion par rapport à ce que nous faisons ou à telle ou telle chose. Un Centre qui n’avait même pas commencé à être fonctionnel! Je n’ai pas vu d’actes posés qu’on pourrait qualifier comme tels. Nous n’avons fait ni séminaires, ni ateliers. Je ne sais pas sur quoi certains se basent pour dire ce qu’ils ont dit, mais nous sommes dans un pays démocratique.

Pensez-vous que votre statut d’imam dérange des politiques au plan national et des membres de la communauté internationale ?

Je suis imam dans une mosquée et je ne suis pas imam pour ces gens-là. Souvent, cela gêne un petit peu certains que de voir un imam s’engager dans certains débats. Je le sais parce que ce n’est pas très habituel chez nous. Je comprends aussi leur attitude. Je n’ai pas un agenda  caché, comme certains le pensent, et je n’ai pas besoin de me cacher. Je suis un citoyen libre de ce pays. Si c’est le jeu politique qui m’intéresse, pourquoi ne pas le faire ouvertement ? Je crois qu’il n’est pas bon de se mentir à soi-même. Je suis imam, je resterai imam. Maintenant, est-ce que lorsqu’on est imam cela vous prive du devoir de citoyenneté à tel point que vous ne puissiez même pas parler de votre pays ? Aucune disposition constitutionnelle n’empêche un imam de parler de son pays, de jouer son rôle de citoyen.

Le Collège des leaders religieux a rencontré le Cadre d’échange des partis politiques. De quoi avez-vous discuté ?

Ils avaient des préoccupations qu’ils ont essayé de partager avec nous. Nous les avons écoutés et nous leur avons donné un autre rendez-vous pour nous donner à nous-mêmes le temps de digérer ce qui a été dit et de voir quelles réponses y apporter.

On sait que le Cadre d’échange des partis politiques appelle au respect du délai de la transition et à l’organisation des élections aux dates indiquées. Cependant, le Chérif de Nioro, pour lequel vous avez un très grand respect, est plutôt pour une prolongation. Vous, personnellement, quel est votre avis ?

Ce débat est trop sérieux pour que je le fasse de façon solitaire. Le Chérif de Nioro est un personnage respecté de notre pays. Son statut lui permet de dire certaines choses et nous respectons ses avis. Je me souviens, si je ne me dédis pas, qu’au moment où l’on parlait de transition, j’étais parmi les gens qui avaient proposé 18 mois. J’en ai même discuté avec certains chefs d’États qui proposaient 12 mois. Je leur ai dit que 12 mois étaient peu et qu’à la limite ils nous donnent 18 mois. Il y a des chefs d’États qui m’ont appelé pour me dire qu’ils étaient d’accord avec ces 18 mois, à condition que ce délai soit respecté. Aujourd’hui, la décision de prolonger ou pas émanera du peuple souverain du Mali, qui doit se concerter de façon consensuelle pour que ce débat ne nous mène pas à des contradictions internes. C’est mon point de vue.

Le Premier ministre entend organiser des « Assises nationales de la refondation ». Certains politiques ont d’ores et déjà dit qu’ils n’y participeraient pas, pensant qu’elles ne servent à rien et que la priorité devrait être l’organisation des élections. Le Collège des leaders religieux y prendra-t-il part ?

Ce sera au Collège de décider de cela au moment opportun.

Dans l’affaire des tueries des 10, 11, 12 juillet, vous auriez été auditionné au même titre que certains membres du M5 et officiers sécuritaires…

Effectivement, j’ai été auditionné. On m’a demandé ce que je savais. J’ai donné ma version et expliqué ma compréhension des choses. Nous sommes dans un pays de droit, il n’y a pas de problème.

Comment se portent vos relations avec le M5-RFP ?

J’ai des relations avec tout le monde. Je n’ai aucune relation en dents de scie avec X ou Y. Cela paraît bizarre mais c’est comme cela. Je n’ai de problème ni avec le M5, ni avec le M10 ou quelqu’un d’autre.

Dans votre Manifeste pour la refondation du Mali, vous avez reconnu vous être trompé sur le choix du candidat en 2013. Pour les élections prochaines, est-ce que l’imam Dicko donnera des consignes de vote ?

Je n’ai pas été satisfait par ce qui a été fait par celui à qui nous avions accordé notre confiance. Si on doit choisir quelqu’un ou soutenir quelqu’un, il faut bien y réfléchir pour ne pas répéter les mêmes erreurs. Je ne dirais pas aujourd’hui si je vais soutenir un candidat ou non. Aujourd’hui, la situation de notre pays mérite qu’on réfléchisse beaucoup avant de poser des actes. Nous avons vécu énormément d’épreuves. Il ne sert donc à rien de se précipiter.

Dans le même Manifeste, vous déclarez « je ne souhaite aucun projet de société autre que celui que les Maliens veulent pour eux-mêmes ». Selon vous, que veulent les Maliens aujourd’hui ?

Je ne le sais pas, sinon je l’aurais dit (Rires). Ce sont les Maliens qui choisissent souverainement le projet de société qu’ils veulent. On a voulu me prêter des intentions, dire que je veux transformer le Mali pour en faire une République islamique, etc. Il y a eu beaucoup de débats comme cela. J’ai beaucoup de respect pour le peuple souverain. Mais qui suis-je pour choisir en son nom? C’est ensemble que nous allons le faire. C’est pourquoi je déclare que je n’ai pas de projet autre que celui que le peuple souverain du Mali aura choisi.

Propos recueillis par Boubacar Diallo

Journal du Mali

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