Des centaines de personnes ont manifesté le 11 septembre à N’Djaména contre la junte qui dirige le Tchad depuis la mort d’Idriss Déby. Les organisateurs exigent l’arrêt du processus de transition en cours, jugé non transparent et non inclusif. Dans leur élan de contestation, ils dénoncent l’attitude de la France qui soutient le pouvoir en place.
Pas de répit pour la junte militaire au Tchad! Alors que le Conseil militaire de transition (CMT) s’active depuis peu à la mise sur pied d’un «dialogue national», qui doit permettre l’organisation dans les prochains mois d’élections présidentielle et législatives, la rue ne décolère pas. Plusieurs centaines de personnes ont manifesté samedi 11 septembre à N’Djaména contre la junte qui dirige le Tchad depuis la mort, en avril 2021, d’Idriss Déby Itno. L’initiative est celle de la coalition Wakit Tama, coordination de partis politiques et d’organisations de la société civile, opposée à la transition militaire. Les organisateurs exigent entre autres «la révision de la charte régissant la transition» et dénoncent les «arrêtés mettant en place les comités non inclusifs du dialogue».
«Nous avons aujourd’hui des comités composés à 80% des gens issus de l’ancien régime. Et ce n’est pas comme ça qu’on peut négocier les conditions d’un nouveau départ pour le Tchad. En plus, il faut s’entendre sur ce qui va être discuté lors de ce dialogue, mais aussi la forme de ce dialogue. Nous pensons, comme la majorité des Tchadiens, que ça doit être sous forme de conférence souveraine et inclusive», suggère au micro de Sputnik Succès Masra, farouche opposant des Déby et fondateur du mouvement politique Les Transformateurs, membre de la coalition.
De l’autre côté, des leaders politiques engagés dans le processus de transition, comme la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation du gouvernement de transition, Lydie Beassemda, pensent qu’«il faut donner une chance au dialogue annoncé», car, soutient-elle à Sputnik, «toute transition passe par des processus notamment l’établissement d’un consensus entre les forces vives autour des enjeux, l’apaisement des tensions et l’amélioration des conditions de vie des populations, la restauration de la confiance entre le peuple et les citoyens et surtout le retour au mécanisme constitutionnel».
«Au stade actuel, le consensus est une étape qui se poursuit et la configuration du gouvernement réuni à travers une diversité d’acteurs venant de divers bords politiques est un élément du consensus. Cependant, le pari du consensus n’est pas gagné au vu des contestations dans la rue. Dans ce processus de dialogue, il faut prendre en compte les intérêts divergents des parties prenantes», affirme la présidente du Parti pour la démocratie et l’indépendance intégrales (PID) et qui était arrivée troisième à la dernière présidentielle.
«Non à la France!»
Mi-août dernier, un décret du Premier ministre de la transition Albert Pahimi Padacké a donné la composition de l’équipe de 70 membres qui aura la charge de préparer la tenue du dialogue national prévu pour les mois de novembre et décembre 2021. Trois anciens opposants de l’ancien Président Idriss Déby Itno font partie de ce comité d’organisation dont Saleh Kebzabo. D’autres opposants ou acteurs majeurs de la société civile ont estimé que leurs exigences n’ont pas été prises en compte et refusent de prendre part au dialogue. Il s’agit entre autres de La ligue tchadienne des droits de l’homme et de l’Union des syndicats du Tchad, deux organisations membres de la coordination des actions citoyennes Wakit Tama.
Si dans le pays de plus en plus de leaders veulent donner une chance au processus de transition en rejoignant le dialogue national annoncé, Succès Masra pense que des préalables doivent être réunis: «la meilleure manière de réconcilier les Tchadiens est de ramener la justice et l’égalité. C’est la chose qui a toujours manqué. En plus, les Tchadiens n’ont jamais eu l’occasion de choisir démocratiquement leurs dirigeants. C’est pour ça que l’occasion qui est offerte aujourd’hui doit nous permettre de nous asseoir dans la sincérité et la confiance pour déterminer les bases de ce nouveau départ pour notre pays. Pour que le Tchad de demain ne soit pas le Tchad où la transmission du pouvoir sera l’apanage de ceux qui auront plus de munitions, plus de canons et plus de kalachnikovs».Pendant leur dernière manifestation autorisée par les autorités et encadrée par la police, comme les précédentes depuis avril, les opposants ont aussi dénoncé l’attitude de la France, qui soutient le pouvoir en place: «Non au soutien de la France au système Déby père et fils», pouvait-on notamment lire sur les pancartes. Si depuis son arrivée au pouvoir par les armes en 1990, avec l’aide de Paris, Idriss Déby avait toujours pu compter sur l’ancienne puissance coloniale, cela semble également le cas pour son successeur. D’ailleurs, lors des obsèques du père, Emmanuel Macron, seul chef d’État occidental présent, n’avait pas manqué de réaffirmer le soutien de la France pour garantir «la stabilité» de l’allié tchadien, engagé dans la lutte antiterroriste au Sahel. Le Président français a, en outre, émis le souhait d’une «transition pacifique».
Pour Succès Masra, s’il est indéniable que «la France est un partenaire majeur du Tchad depuis toujours. Cependant, justifier un coup d’État par un argument sécuritaire était une mauvaise lecture des choses», soutient-il.
«User d’un argument, quel qu’il soit, pour justifier un coup d’État, peut avoir un effet d’entraînement […] L’histoire est en train de nous donner raison: il y a d’autres coups d’État qui commencent à avoir lieu en Afrique notamment au Mali, en Guinée et je crains que ce ne soit pas les derniers. En France, il n’est venu à l’idée de personne de demander aux enfants du général de Gaulle ou aux militaires de prendre le pouvoir», déplore l’opposant.
Pourtant, dans son oraison funèbre, le Président français, tout en déclarant que «la France ne laissera jamais personne, ni aujourd’hui, ni demain, remettre en cause la stabilité et l’intégrité du Tchad», avait également appelé à promouvoir «la stabilité, l’inclusion, le dialogue, la transition démocratique».
Quid de la transition?
Seulement voilà, depuis l’annonce de la mort du Président Déby, Mahamat Idriss Déby Itno, 37 ans, concentre presque tous les pouvoirs et s’est arrogé les titres de Président de la République et de chef suprême des armées. Si le nouvel homme fort de N’Djaména a promis des élections libres, dans un délai de 18 mois, -sans exclure catégoriquement une prolongation- à la suite du dialogue national censé réconcilier tous les Tchadiens, des opposants comme Succès Masra fustigent la détention exclusive du pouvoir par les militaires et les membres de l’ancien régime.
«Nous avons souhaité une transition civilo-militaire, aujourd’hui nous avons une transition militaire, unilatéralement gérée par les militaires qui ont annexé quelques personnes issues de l’ancien système, ou les alliés de l’ancien système. Donc en réalité nous ne sommes même pas encore dans la transition. Nous sommes dans une pré-transition militaire. Il faut migrer vers la transition civilo-militaire, qui revêt un caractère plus républicain, avec une vraie inclusion. C’est ce que la majorité du peuple attend, je crois», suggère l’opposant.
Alors que les tensions sont toujours vives, Lydie Beassemda croit savoir que «beaucoup de Tchadiens veulent et appellent à une transition apaisée. Beaucoup veulent et appellent à un dialogue avec des exigences et des attentes différentes. Beaucoup de Tchadiens vivent dans l’angoisse des conflits, des violences fondées ou imaginaires. Cependant, il existe une accalmie à laquelle personne ne pouvait s’attendre. Nous pensons que la providence préserve le Tchad du pire».