Par rapport aux négociations entre le Gouvernement et le Groupe Wagner, Thomas Schiller, directeur du programme Sahel de la Fondation Konrad Adenauer à Bamako, pense pour sa part que la question la plus importante est la stabilité de l’Etat malien et de ce point de vue, il doute que la Russie puisse améliorer les choses en s’ajoutant aux nombreux acteurs déjà sur le terrain. Mais il rappelle aussi que, plus généralement, c’est aux Etats africains de décider avec qui ils souhaitent coopérer. Ci-dessous, une retranscription de l’entretien de Sandrine Blanchard avec Thomas Schiller, enregistré avant les réactions officielles des responsables allemands.
Thomas Schiller : Depuis longtemps, il y a des rumeurs à propos d’un engagement plus important de la part de la Russie ici au Mali, notamment dans le domaine de la sécurité et de la formation des forces armées, éventuellement les livraisons d’armes ou autres. Le problème, c’est que ça n’a jamais été vérifié et ça n’a jamais été prouvé. Pour moi, la question est plutôt : pourquoi ça circule actuellement, pourquoi maintenant ? Est-ce que ça a quelque chose à voir avec une nouvelle volonté du gouvernement malien d’élargir ses coopérations, ce qui serait légitime.
DW: Est-ce qu’on peut imaginer qu’il s’agisse aussi d’une stratégie des autorités maliennes vis-à-vis de leurs partenaires européens, et notamment la France, à quelques semaines du sommet du mois d’octobre à Montpellier pour dire : attention, vous n’êtes pas nos seuls interlocuteurs et pour être en mesure de négocier d’autres choses comme la durée de la transition ?
Ça, c’est l’éternelle question, est-ce que ce sont les Maliens qui exercent la pression sur la France ou bien les Français qui exercent la pression sur le Mali ? Si on se laisse entraîner dans des questions géopolitiques, comme la place de la Russie en Afrique ou la place de la France en Afrique, on ne va jamais résoudre ici les questions de fond. Parce que les questions de fond ici concernent les structures de l’Etat, l’état dysfonctionnel de l’Etat malien. Donc, vous avez déjà une multitude d’acteurs et ajouter encore le facteur russe… je ne suis pas sûr que ça va – et c’est justement ça qui serait la priorité à mon avis – aider à stabiliser l’Etat malien.
DW: Quelle incidence une arrivée des Russes au Mali pourrait-elle avoir sur l’engagement allemand ?
L’Allemagne est ici dans le cadre du partenariat européen. Elle est engagée dans le cadre de l’EUTM [mission européenne de formation de l’armée malienne] et dans le cadre de la mission des Nations unies, la Minusma. Donc l’Allemagne n’est pas ici en tant qu’acteur au sens propre du terme. Bien sûr, il existe aussi une coopération bilatérale de l’Allemagne avec le Mali mais elle remonte à l’indépendance. La présence de l’Allemagne n’est donc pas tributaire d’un engagement unilatéral mais bien multilatéral.
Pensez-vous que les députés allemands, qui votent les missions de la Bundeswehr, ne modifieraient pas leur position, quelle que soit la réaction de la France au Mali ?
Bien sûr, cela a son importance. Nous opérons dans le cadre de notre partenariat européen, et la France joue ici un rôle très important. Il faudrait en discuter aussi dans le cadre de la coopération avec la France. L’Allemagne n’agit pas seule. Il faudra en discuter avec nos amis français : comment continuer notre coopération ici. Ce que je n’aime pas, ce sont les petits débats : est-ce que c’est la France, la Russie, l’Allemagne, ou la Chine qui va prendre les devants dans les affaires sahéliennes ? Parce que pour nous, en tant qu’Européens, notre premier intérêt, c’est la stabilité de nos partenaires ici dans la région. Et si, par exemple, la Chine aussi peut contribuer à la stabilisation de la région, tant mieux !
Que ce soit le Mali ou d’autres pays en Afrique, il s’agit de pays indépendants, des Etats souverains. Il faut leur poser la question de ce qu’ils veulent. Et c’est à eux de structurer leurs partenariats. Ce n’est pas à nous de dire aux Africains ce qui ce qui est bon pour eux. C’est à eux de définir ça et c’est à eux de réformer leur système politique. C’est à eux de réformer leur armée. C’est à eux de prendre la responsabilité, vis-à-vis de leur population. Nous, on est là pour aider, mais ce n’est pas notre responsabilité.
En revanche, il est normal que nous ayons aussi des demandes, par exemple concernant les réformes de la gouvernance, pour savoir si les structures de l’armée fonctionnent. Nous voulons être sûrs que l’argent est bien investi, si vous voulez. Mais la décision finale revient toujours aux Etats africains.
Auteur: Sandrine Blanchard, Avec agences
Info-Matin