Si le discours du Premier ministre devant la tribune des Nations unies a créé un sentiment de patriotisme au Mali, le même a mis en colère les autorités françaises qui ont tenu des propos qui sortent dans le cadre du langage diplomatique. Ces deniers jours, on assiste à un dérapage verbal de la France à l’encontre du Mali. En plus, de ce dérapage verbal Choguel doit faire face à un tsunami politique qui risque de torpiller la transition, plus de 70 partis politiques ont affirmé de descendre dans la rue contre une possible prorogation de la transition. Comment Choguel Kokalla Maïga va-t-il s’y prendre ? Sortira-t-il indemne de cette situation ? Modibo Mao Makalou, économiste, nous livre son analyse.
Mali-Tribune : Le discours du Premier ministre devant la tribune des Nations unies a créé un sentiment de patriotisme au sein de la population malienne. Qu’en pensez-vous ?
Modibo Mao Makalou : Je pense que le discours que le Premier ministre du Mali, Choguel Kokalla Maïga a prononcé devant la 76ème Assemblée générale des Nations-unies était un discours courageux qui exprime un peu la frustration des dirigeants et du peuple malien. Le Premier ministre était en phase avec son peuple dans ce discours c’est ce qui a plu au Mali.
Nous vivons une crise multiforme et multidimensionnelle depuis 2012 et chaque jour, nous assistons au délitement à la déliquescence de l’Etat surtout à cause de l’insécurité galopante. Il y a près de 2/3 du pays qui se situe dans une zone non sécurisée et cela a amené un lot de déplacés et qui nous a conduit dans une grave crise alimentaire, nutritionnelle en plus de la crise sanitaire. Il y a environ 5 millions de Maliennes sur les 21 millions qui sont en insécurité alimentaire et 60 % de notre population se trouve dans les zones rurales qui sont occupées par des bandes armées et terroristes.
Si nous revoyons les objectifs de l’appel que nous avons fait en premier à la France et ensuite à la communauté internationale, c’était de lutter contre l’insécurité mais le résultat n’est pas au rendez-vous, le résultat est loin d’être reluisant. Est-ce que les Maliens sont en droit quel que soit le régime en place de se demander si nous sommes sur la bonne voie ? Bien sûr que oui, mais maintenant il s’agit de voir comment changer d’approche et de méthodologie, ça c’est le droit le plus absolu que le peuple malien peut demander et que les dirigeants ont le droit de solliciter.
Mali-Tribune : Depuis la semaine dernière, nous assistons à une escalade verbale entre Paris et Bamako et la sortie médiatique de Macron a créé l’indignation. Pourquoi cette escalade verbale alors qu’il existe des canaux de communication ?
M M. M.: Il y a un grand écrivain français qui s’appelait Roland Barthes qui disait le langage n’est jamais innocent. Mais pourquoi cette escalade verbale de la part des officiels français c’est la question que je me pose ? Parce que ce n’est pas les officiels maliens qui sont en train de faire ce dérapage verbal et de personnaliser les difficultés rencontrées sur le terrain par l’ensemble des acteurs. Je pense que c’est vraiment dommage, vous savez les relations ne sont pas personnelles, elles sont étatiques, d’Etat à Etat et la France est un grand pays de la diplomatie la plupart des codes du protocole des relations diplomatiques et internationales viennent de la France, sont inspirées par la France. Quand on remonte dans l’histoire contemporaine même au plus fort de la crise après l’indépendance, quand la première République a demandé le départ des troupes françaises de notre territoire, nous n’avons pas assisté à ce genre de comportement de la part des autorités françaises. En 1961, quand il a été demandé par le Président Modibo Keita le départ des troupes française du Mali à cause de la violation des Accords franco-maliens à l’époque de la Fédération du Mali et la reconnaissance du Sénégal par la France contrairement aux Accords franco-maliens. Quand la tension avait atteint son paroxysme, le général de Gaulle, ancien chef de l’Etat de la France a dépêché son ministre d’Etat, le célèbre écrivain, André Malraux avec une lettre pour venir demander au Président Modibo Keita, parlons-nous, ouvrons les voies du dialogue. Je préfère qu’on trouve la solution par le dialogue. Mais pourquoi 60 ans encore avec tous ces canaux de communication formel ou informel nous ne passons pas par cela au lieu d’étaler sur la place publique des propos qui ne sont pas dignes de hautes personnalités. Je pense qu’on devrait utiliser les canaux de la diplomatie pour trouver un terrain d’entente parce que si on ne se met pas autour de la table pour discuter, on va aller d’incompréhension à incompréhension et ça ne résout pas le problème. Nous sommes dans le même bateau pour lutter contre les terroristes et l’insécurité et il va falloir trouver des solutions pas de faux fuyants. On a besoin ni de digression ni de diversion, on a besoin de résultats probants pour lutter contre l’insécurité au Sahel.
Mali-Tribune : Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov a confirmé le rapprochement entre Bamako et une société privée russe qui selon lui ne peut-être que Wagner. Quelle est votre analyse sur ce dossier Wagner qui continue de couler beaucoup d’encre et salive ?
M M. M.: D’abord c’étaient des supputations, rien n’a été signé mais c’est Sergei Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères qui a un peu levé le voile aux Nations unies lorsqu’il a confirmé l’existence de pourparlers entre le Mali et une société militaire privée russe sans la nommer. Vous savez, il y a 1500 sociétés militaires privées dans le monde, Wagner n’en est qu’une. Le principe même d’utiliser des sociétés militaires privées découle du fait que certaines armées ont des carences qui peuvent être suppliées par ses sociétés militaires privées dans un laps de temps relativement court. Ces sociétés militaires privées ont été utilisées en Irak, en Afghanistan, en Syrie par toutes les parties et certaines de ses sociétés militaires privées sont cotées à la bourse. Je pense que c’est du ressort des autorités souveraines parce que c’est un contrat qui lie un gouvernement souverain à une société militaire privée que ce soit Wagner ou une autre. Maintenant ce que ces sociétés militaires privées peuvent apporter à une armée nationale peut-être en terme de présence sur le terrain d’opérations, de la logistique, des renseignements tout dépend de ce que l’employeur, celui qui va embaucher cette société veut tirer de cette société. A mon avis, ces sociétés sont implantées dans la plupart des pays qui critiquent l’utilisation de Wagner. N’est-ce pas c’est de bonne guerre ? Je pense que oui, mais si l’on doit bannir une société militaire privée qui s’appelle Wagner, on doit bannir dans le droit international toutes les autres qui en sont similaires à mon avis.
Mali-Tribune : En dehors du bras de fer entre Paris et Bamako, Choguel K. Maïga est en train de faire face à quelques partis politiques qui menacent de descendre dans les rues s’il proroge la Transition. Selon vous faut-il proroger oui ou non la Transition ?
M M. M.: J’ai un avis mitigé sur la question. Pour moi cette transition doit-être jugée sur la qualité des élections générales qu’elle va organiser. Moi je suis pour les résultats. C’est Charles Maurras qui disait qu’une politique se juge par ses résultats. Donc si cette transition devait déboucher sur des élections qui ne sont ni apaisées, ni crédibles ni transparentes, on aura fait une transition sans raison, inutile je dirais même. Mais maintenant une transition, c’est un état d’exception et moi je considère même cette transition comme un régime militaire. Cette transition doit corriger les lacunes qui sont contenues dans notre processus démocratique. Depuis 1992, le premier président de la troisième République a été investi le 8 juin 1992 mais nous n’avons pas fait une élection qui n’a pas été contestée ça veut dire qu’il y a un problème quelque part. C’est Churchill qui disait que la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres. La démocratie est imparfaite, il faut corriger, il faut sensibiliser il n’y a pas de république sans citoyens et il n’y a pas de démocratie sans démocrates. La démocratie, c’est des règles et des procédures à commencer par une loi fondamentale. Est-ce que nous sommes sur la bonne voie dans notre processus démocratique ? Je pense qu’il y a des choses à corriger et tous les Présidents élus à commencer par Alpha Oumar Konaré qui a essayé de faire des réformes politiques et institutionnelles ça n’a pas marché, son successeur, Amadou Toumani Touré a essayé de faire la même chose ça n’a pas marché, Ibrahim Boubacar Keita a essayé la même chose ça n’a pas marché. Les mêmes causes produisant les mêmes effets dans les mêmes conditions. Devrions-nous continuer d’aller de crise en crise encore ? Non, déjà que nous sommes dans une crise multidimensionnelle. Essayons de résoudre cette composante politico-institutionnelle par des reformes conjoncturelles et structurelles. Je pense que maintenant c’est la meilleure période pour faire cela mais de manière non partisane. A mon avis, on ne devrait pas avoir d’opposition et de majorité, mais ce processus transitoire doit-être représentatif, inclusif et participatif. Pour cela c’est le rôle du Premier ministre de convaincre ceux qui le contestent la politique c’est l’art de négocier, c’est la négociation constante. Il est du rôle du Premier ministre de convaincre ceux qui ne sont pas d’accord avec ses propositions. Tout le monde ne sera pas d’accord mais il doit amener tout le monde à la table, il doit tenir compte de l’opinion de ceux qui ne sont pas d’accord avec lui et on doit trouver un consensus sur l’essentiel pour aller main dans la main à l’unisson vers les prochaines élections générales. C’est à ce prix seulement, qu’on pourra faire des élections apaisées, libres, crédibles, démocratiques et transparentes.
Mali-Tribune : Choguel vient de boucler ses 100 jours à la Primature. Quel bilan peut-on dresser ?
M M. M.: 100 jours, c’est beaucoup mais c’est peu. Mais ce que je peux dire, 100 jours ça permet d’indiquer si on a amorcé un démarrage effectif de la transition. C’est-à-dire à quoi sert cette transition ? Qu’est-ce que cette transition veut accomplir ? Est-ce qu’elle a amorcé un bon démarrage ou pas ? Est-ce qu’elle est statique ou pas ? Où est-ce qu’elle a échoué ou pas ? on ne peut pas le savoir parce que un bilan comme vous le dites c’est l’actif, ce qui est positif et le passif, ce qui est négatif c’est une photographie à l’instant « t ». Cette transition est en train de bouger, et dans le bon sens non seulement on parle d’Assises nationales, de l’Organe unique de gestion des élections. Mais à mon avis ce qui manque encore un peu plus c’est ce manque de dialogue au niveau politique, il y a un cadre de dialogue mais je pense que cette transition devrait profiter davantage pour qu’il ait plus de consensus c’est- à- dire qu’on n’aille pas au forceps pour imposer certaines décisions à ceux qui n’en veulent pas. Je veux dire qu’il n’y aura pas d’unanimité ça c’est claire. Il n’y aura pas d’unanimité en politique c’est difficile même dans la religion c’est difficile d’avoir l’unanimité autour du tout puissant. Mais on devrait obtenir une base consensuelle on doit se mettre d’accord sur l’essentielle pour que notre pays puisse sortir de cette crise. L’épicentre de cette crise multidimensionnelle c’est Bamako. Ce sont les politiques, nous avons plus de 200 partis politiques est-ce que nous avons 200 programmes de gouvernance ? Non. Et pourquoi toutes ces personnes ont créé ces partis politiques ? C’est pour conquérir le pouvoir, il n’y a qu’un seul fauteuil et tous ces partis veulent occuper ce fauteuil, donc il n’y aura jamais de consensus.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane
Mali Tribune