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Négociations avec les jihadistes au Mali: pourquoi ce démenti du gouvernement?

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C’est un étrange rétropédalage du gouvernement. Après plusieurs jours de silence, la Primature a indiqué dans un communiqué publié ce jeudi 21 octobre en toute fin de soirée n’avoir mandaté personne pour négocier avec les groupes jihadistes. L’information, révélée par RFI en début de semaine, et qui avait été confirmée à d’autres nombreux médias par la suite, n’avait pas été commentée par les autorités jusqu’à ce démenti qui, dans le même temps, soutient l’initiative.

Dans son communiqué, le gouvernement assure qu’« aucune organisation nationale ou internationale n’a été mandatée officiellement ». C’est « par voie de presse » qu’il aurait appris « l’annonce de négociations entre l’État du Mali et les leaders de groupes armés terroristes ». Or, c’est précisément la parole gouvernementale qui est citée dans la presse depuis plusieurs jours, en l’occurrence celle du ministre des Affaires religieuses et du culte, Mamadou Koné.

Le ministre, comme les différents cadres du Haut Conseil islamique qui se sont publiquement exprimé sur le sujet, n’ont -pour être précis – pas parlé de négociations en cours, mais d’une « mission de bons offices » devant permettre d’amorcer un dialogue avec Iyad Ag Ghaly, du GSIM, et Amadou Koufa, de la Katiba Macina. Information révélée par RFI puis confirmée, par ces mêmes sources, à de nombreux médias maliens et internationaux. Elle était même ce jeudi en première page du journal d’État L’Essor.

Ajoutons que c’est la Primature qui a émis le communiqué de démenti. Or RFI a proposé au Premier ministre, dès la diffusion de cette information en début de semaine, de s’exprimer sur le sujet, pour préciser les contours de cette « mission de bons offices ». La demande a été relayée à Choguel Maïga : elle a fait l’objet d’échanges téléphoniques avec son chargé de communication. L’invitation a finalement été déclinée mais à aucun moment ces échanges n’ont donné lieu à un quelconque démenti.

Des démarches attribuées à « des bonnes volontés »

Dans son communiqué, le gouvernement nie l’existence d’un mandat officiel tout en « saluant » les démarches entreprises. Des démarches attribuées à « des bonnes volontés », qui ne sont pas nommées, mais qui sont « remerciées ». Comme si le Haut Conseil islamique s’était mobilisé spontanément et que le gouvernement n’était, en fait, pas à l’initiative. Rappelons que le ministre des Affaires religieuses s’était personnellement déplacé au HCI, la semaine dernière, pour expliquer la mission de bons offices confiée à son département « par les plus hautes autorités », et dont il transmettait « le portage pratique », la mise œuvre sur le terrain, au Haut Conseil islamique.

Difficile d’expliquer ce rétropédalage au bout de quelques jours. La révélation de cette information et l’ampleur des réactions suscitées, pourtant très positives, a-t-elle fini par gêner les autorités de transition ? On connaît l’opposition de nombreux partenaires du Mali, à commencer par la France, à des négociations avec les groupes jihadistes. Certains observateurs évoquent également la possibilité de désaccords au sein de l’équipe gouvernementale, ou encore la pression de « concurrents » du HCI, pour ces négociations.

Du côté du Haut Conseil, on assure que ce « rebondissement » ne change rien au travail confié et que « le temps éclairera » les choses. La Primature, contactée dès ce jeudi soir par RFI, n’a pas souhaité apporter de précisions.


« Un sentiment d’embarras » de la part du gouvernement

Pourquoi un tel rétropédalage, pourquoi ce nouveau positionnement qui dément et encourage à la fois ? Brema Ely Dicko est sociologue à l’université de Bamako, spécialiste de la politique malienne, et ancien conseiller du l’ex-Premier ministre de Transition, Moctar Ouane. S’il ne fait pas partie de l’équipe actuelle, il a été dans les prémices de ce projet.

RFI : Comment expliquez-vous ce communiqué, ce rétropédalage du gouvernement malien ?

Brema Ely Dicko : La première lecture, c’est que le gouvernement ne veut pas frustrer ses partenaires engagés dans la lutte antiterroriste et qui avaient émis des réserves quant à des discussions avec des groupes jihadistes, notamment la France. Donc c’est une façon de trouver l’équilibre avec les aspirations profondes du peuple malien, qui a exprimé au moins à trois reprises – en 2017, 2019 et 2020 – le besoin de dialoguer avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa. Là, on donne la possibilité au ministère des Affaires religieuses et du Culte de travailler avec des religieux qui vont tâter le terrain pour prendre des contacts, et qui vont aussi voir la volonté même d’Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa de discuter avec le gouvernement malien.

Parce que malgré tout, l’initiative du HCI est encouragée…

Oui, l’initiative est encouragée et d’ailleurs, le gouvernement, dans son communiqué de démenti, ne contredit pas tout. C’est un communiqué qui félicite et encourage toute initiative, donc ça veut dire que le ministère des Affaires religieuses [qui a mandaté le HCI, NDLR] a la bénédiction du gouvernement, même si le gouvernement, lui, n’a pas pris une position claire… Cela peut aussi se comprendre dans la mesure où il n’y a pas eu de réunion préparatoire officielle pour le moment, avec les différents acteurs éventuellement intéressés pour aider le gouvernement dans cette mission, pour définir les lignes rouges et définir un canevas, une stratégie de dialogue.

Vous avez parlé de la gêne des autorités vis-à-vis des partenaires étrangers du Mali et notamment de la France. Est-ce qu’on peut envisager que ce recul du gouvernement soit également issu de pressions de la part d’autres acteurs « concurrents », pour ainsi dire, du HCI, pour ces négociations ?

Des pressions je ne pense pas, parce que personne n’a véritablement de levier pour exercer une pression. Mais il y a quand même des acteurs importants, notamment l’imam Dicko, qui avait été mandaté en 2017, en qualité de président du Haut Conseil islamique [l’imam Cherif Ousmane Madani Haïdara lui a succédé en 2019 à ce poste, NDLR] pour diriger une mission de bons offices, donc pour mener cette action. Il avait commencé les démarches, puis sa mission avait été rapidement écourtée. Il est déjà un acteur avec des réseaux et une expertise. En dehors de lui, il y a d’autres personnes de bonne volonté qui ne sont pas des religieux et qui ont déjà eu des contacts, qui ont rencontré Amadou Koufa, notamment l’association Faso Dambe Ton, et d’autres acteurs. Donc pour moi, tout cela peut expliquer cette posture.

Avec tout cela, est-ce que la position du gouvernement ne manque pas un peu de lisibilité ? 

Effectivement, ça crée finalement un sentiment d’embarras. Mais je pense que dans les jours à venir, ils vont peut-être se décider et faire un communiqué qui expliquerait davantage la posture adoptée.

RFI

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