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Thomas Sankara, féministe avant-gardiste

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On connait bien sûr Thomas Sankara le révolutionnaire, le panafricaniste. On connait moins Thomas Sankara le féministe. Alors que se tient le procès de l’assassinat du fondateur du Burkina Faso, “le pays des hommes intègres”, retour sur cet engagement. A travers ses nombreux discours, son livre L’émancipation des femmes et la libération de l’Afrique, mais aussi ses actes, il a consacré les quatre ans de sa présidence à la défense et la promotion des droits des femmes.

“Un être, aussi opprimé soit-il, trouvera un autre être à opprimer : sa femme”, avait coutume de dire Thomas Sankara, le fondateur du “pays des hommes intègres”, mort assassiné le 15 octobre 1987.

Femmes et révolution, même combat

Un livre tout d’abord, en héritage d’un engagement féministe inédit sur le continent africain. Dans L’émancipation des femmes et la libération de l’Afrique, Thomas Sankara lance un véritable plaidoyer et propose une vision au service des femmes victimes de marginalisations de toutes sortes de la part des hommes.

“Je parle au nom des femmes du monde entier, qui souffrent d’un système d’exploitation imposé par les mâles. Pour ce qui nous concerne, nous sommes prêts à accueillir toutes les suggestions du monde entier nous permettant de parvenir à l’épanouissement total de la femme burkinabè. En retour, nous donnons en partage à tous les pays l’expérience positive que nous entreprenons avec des femmes désormais présentes à tous les échelons de l’appareil de l’État et de la vie sociale au Burkina Faso”, écrit-il dans cet ouvrage de 72 pages qui fut publié à titre posthume aux éditions Pathfinder en 1990.

Il n’y a de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée.
Thomas Sankara

“La révolution et la libération des femmes vont de pair. Et ce n’est pas un acte de charité ou un élan d’humanisme que de parler de l’émancipation des femmes. C’est une nécessité fondamentale pour le triomphe de la révolution. Les femmes portent sur elles l’autre moitié du ciel”, explique-t-il encore.

“Il n’y a de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée. Le combat de la femme burkinabé rejoint le combat universel de toutes les femmes et, au-delà, le combat pour la réhabilitation totale de notre continent”, explique celui qui mena la révolution de 1983 à 1987 au Burkina Faso.

Si la question des droits des femmes se pose lors de la décolonisation, concrètement, le pays, alors encore Haute-Volta, ne connait guère d’avancées sur ce terrain, écrit Sawadogo Poussi dans sa thèse Thomas Sankara et la condition féminine : une vision révolutionnaire ? présentée en 1999 à l’université de Ouagadougou et publiée sur le site memoire.online“Il faut attendre 1976, lors de la proclamation de “la décennie internationale de la femme” (1975-1985) pour assister à la nomination d’une femme, Sigué Fatoumatou, comme secrétaire d’Etat aux affaires sociales”, précise-t-il. Ensuite, c’est sous le président Jean-Baptiste Ouédraogo (1982-1983) que s’élargit le champ d’action des femmes en politique ; pour la première fois, deux femmes sont nommées au gouvernement.

Sankara est le premier président, dans l’histoire de son pays, à avoir affiché une volonté farouche de protéger et de défendre les intérêts des femmes.
Sawadogo Poussi, chercheur burkinabè

Mais Sawadogo Poussi l’explique dans sa thèse : “Sankara est le premier président, dans l’histoire de son pays, à avoir affiché une volonté farouche de protéger et de défendre les intérêts des femmes. Des mesures concrètes ont été prises par lui en leur faveur, contre l’excision, la prostitution, et pour le salaire vital”. En mai 1984, lors d’une interview, le dirigeant “souligne que les femmes vivent dans une sorte d’univers carcéral. Au Burkina Faso, les femmes représentent 51,1% de la population totale et, cependant, elles occupent une place marginale dans les secteurs éducatif, politique et socio-économique”.

Féministe jusque dans ses gênes

“Non seulement il fut un précurseur, en tant que chef de l’Etat, en impulsant une véritable révolution en termes de droits des femmes, mais il a aussi fait des choses”, estime Christian Eboulé, journaliste à TV5Monde, présentateur d’Encre noire, page blanche, une série sur les écrivain-e-s du continent africain à retrouver sur le site de TV5MONDE.

Un féminisme qui selon, Christian Eboulé, s’enracine dans ses origines familiales : “Son père, dans un pays qui est à dominante plutôt musulmane en terme de culture, était catholique et n’avait qu’une femme. Ils avaient 11 enfants, dont 7 filles… Il faut savoir que la figure maternelle a été très importante pour Thomas Sankara. Et il avait surtout deux grandes soeurs, la deuxième était comme sa jumelle… Il est né en zone rurale où il a vu les femmes trimer, corsetées par certaines traditions qui oppriment plus qu’elles ne libèrent les femmes. Quand il est arrivé au pouvoir, c’est avec tout ce bagage qu’il s’est engagé résolument à défendre les femmes. C’est ainsi qu’il est arrivé à ce discours de 1984. Il ne sort pas de nulle part !”

“Thomas, avec le pragmatisme qu’on lui connait, était convaincu qu’il était impossible de faire une révolution sans l’apport des femme. Selon lui, il était inconcevable de réussir une révolution populaire en se privant de la moitié de l’humanité”, explique dans un article du Monde, Germaine Pitroipa, nommée haut-commissaire (équivalent de préfète) dans une province burkinabée en 1983.

Les chefs ont perdu leurs pouvoirs féodaux et les moyens d’oppresser les jeunes femmes. Et les comités se sont chargés localement de mettre en oeuvre des politiques de développement qui ont bénéficié aux femmes.
Christian Eboulé, TV5MONDE

Thomas Sankaraa agi au niveau des salaires, mais aussi, ce qu’on sait moins, il a impulsé une politique d’égalité, qui n’était pas facile à mettre en oeuvre, car “le Burkina était ancré dans une culture profondément patriarcale et machiste, ajoute Christian Eboulé. Il a impulsé un changement, comme par exemple le remplacement des chefs traditionnels par des comités de défense de la révolution. Les chefs ont perdu leurs pouvoirs féodaux et les moyens d’oppresser les jeunes femmes. Et les comités se sont chargés localement de mettre en oeuvre des politiques de développement, qui ont bénéficié aux femmes. L’obsession de Sankara était de les rendre autonomes. C’est précisement parce qu’il a mis en place des structures nouvelles qui venaient court-circuiter les structures traditionnelles locales que ça constitue une véritable révolution”, poursuit-il.

Et de saluer cet immense héritage, avant de conclure en ces termes : “Les droits des femmes ont bénéficié de cette politique. Malheureusement, ces politiques n’ont pas été poursuivies par le régime Compaoré, les choses se sont figées ; cependant, il n’y a pas eu de retour en arrière.”

Témoignage d’une membre des Comités de Défense de la Révolution

Il y a 38 ans, le 4 août 1983, Thomas Sankara prenait le pouvoir au Burkina Faso. Ainsi naquit la Révolution démocratique et populaire (RDP). Elle regroupait plusieurs instances dont les Comités de défense de la révolution (CDR), qui avaient entre autres pour mission le contrôle, la défense et la consolidation du pouvoir révolutionnaire. Ils étaient animés par des hommes et femmes dont Damata Ganou, qui a dirigé les CDR de service.

Au marché : un jour sans femmes

“Il était pour la libération de la femme du joug patriarcal, pour l’amélioration de la condition de la femme, pour l’égalité des droits entre l’homme et la femme, il était contre le sexisme. Président du Burkina Faso, il organisa une journée antisexisme, pour lutter contre les préjugés en prohibant l’accès du marché aux femmes de façon à contraindre les hommes à s’y rendre.”, nous confie Halimatou Soucko, présidente du mouvement Féministes sans frontières. Et de rappeller les termes exacts utilisés par le président burkinabè : “Les hommes, chez nous, ne font pas le marché. C’est une déchéance. Et ce n’est pas facile de s’attaquer à de tels préjugés, à de telles conceptions. Chacun de nous a été élevé dans le sentiment que, parce qu’il est homme, il est d’office, d’emblée, supérieur à tout ce qui est femme, parce qu’il est homme, quel que soit son âge, quelles que soient sa force physique, son intelligence.”

Lorsqu’il a voulu abolir la polygamie, quelques femmes ont manifesté pour dire qu’elles soutenaient la polygamie. Il n’y a pas que les hommes à être antiféministes, il y a aussi, chez certaines femmes, beaucoup de sexisme intériorisé.
Halimatou Soucko, présidente de Féministes sans frontières

“Thomas Sankara est certainement le premier chef d’Etat féministe. Clairement contre l’excision, la polygamie, qu’il estimait être des injustices ; il a été précurseur sur ces questions”, ajoute la militante. Un engagement assez mal perçu, d’ailleurs, par les hommes en grande majorité, mais aussi par certaines femmes, “lorsqu’il a voulu abolir la polygamie, quelques femmes ont manifesté pour dire qu’elles soutenaient la polygamie. Il n’y a pas que les hommes à être antiféministes, il y a aussi chez certaines femmes beaucoup de sexisme intériorisé, et même encore aujourd’hui d’ailleurs !… Thomas Sankara serait plus entendu aujourd’hui, en ces temps de parole ‘libérée’. Et en même temps, il y a encore beaucoup de progrès à faire sur le terrain des droits des femmes”, ajoute-t-elle.

Le dirigeant avait aussi fait de l’éducation des filles une priorité, s’insurgeant notamment contre le fait qu’une adolescente “qui tombe enceinte se retrouve exclue de classe, et pas celui qui l’a engrossée !“, commente la militante féministe malienne, ajoutant qu’il a beaucoup cherché à lutter contre le phénomène des grossesses précoces.

Marche des femmes, le 4 août 1986, à Ouagadougou.

Marche des femmes, le 4 août 1986, à Ouagadougou.
©Olivier Montel/thomassankara.net

Donner aux femmes leur autonomie financière

Denise Epoté, directrice Afrique à TV5MONDE, tient à mettre à l’honneur l’aspect avant-gardiste de Thomas Sankara et revient sur ce 8 mars 1984, Journée internationale des droits des femmes. Il demande aux hommes de se rendre au marché et de cuisiner “pour que les femmes se reposent et que les hommes fassent les courses, il faut le faire, quand même, c’était totalement inédit, et venant d’un président, imaginez !”

Il avait mis en place un gouvernement quasi paritaire. Il a nommé bien des femmes à des postes à responsabilité, et pas seulement comme ministre des Affaires sociales !
Denise Epoté, directrice Afrique, Tv5MONDE

Pour la présentatrice et rédactrice en chef de l’émission Et si vous me disiez toute la vérité, les femmes étaient au coeur même de sa politique : “Il avait mis en place un gouvernement quasi paritaireIl a nommé bien des femmes à des postes à responsabilité, et pas seulement comme ministre des Affaires sociales”.

D’un point de vue économique, mais aussi par fierté nationale, le président Sankara a donné les moyens aux femmes de produire de la cotonnade locale. “C’est lui qui a donné ses lettres de noblesse au ‘faso dan fani’. Le Burkina est le seul à le produire, ce sont les femmes qui le fabriquent avec des métiers à tisser anciens et le vendent. C’est un tissu qu’aujourd’hui, tous les créateurs s’arrachent. Et bien ça, on le doit à Thomas Sankara. D’ailleurs la tenue traditionnelle que porte le président actuel est en faso dan fani”. “Produisons ce que nous consommons”, c’était ce qu’il voulait, et là aussi il était en avance sur notre temps, ajoute-t-elle.

Le président Roch Marc Christian Kabore à Ouagadougou, en tenue faite de Faso dan fani, le 26 novembre 2020.

Le président Roch Marc Christian Kabore à Ouagadougou, en tenue faite de Faso dan fani, le 26 novembre 2020.
©AP Photo/Sophie Garcia

Faso dan fani, tissu national du Burkina, par et pas que pour les femmes

Faso dan fani signifie littéralement “pagne tissé de la patrie” en langue dioula, est symbole de la révolution sous Thomas Sankara.

Au-delà de l’histoire, ce tissu à base de fil de coton lourd, non génétiquement modifié, est un produit stratégique pour le Burkina Faso, dont le potentiel de revenus annuels est évalué à plus de 50 milliards de francs CFA (un peu de 76 millions d’euros).

L'Etalon de Yennenga, trophée du Fespaco, symbole féministe choisi par Thomas Sankara, représentant la princesse Yennenga sur un cheval cabré. 

L’Etalon de Yennenga, trophée du Fespaco, symbole féministe choisi par Thomas Sankara, représentant la princesse Yennenga sur un cheval cabré.
©Fespaco

On lui doit aussi la création du Fespaco, le festival panafricain du cinéma et de télévision, qui souffle cette année ses 27 bougies. C’est une femme qu’il avait choisie pour diriger cet événement, qui d’ailleurs, “plus tard deviendra directrice générale de la culture de la CCIF, future OIF (Organisation internationale de la francophonie), précise Denise Epoté. Le trophée du Fespaco, c’est l’étalon de Yennenga, la représentation de la princesse de l’empire Mossé, une cavalière, une guerrière ! “ Là encore, un fort symbole féministe.

Que reste-t-il aujourd’hui de l’oeuvre de Sankara, le féministe ? “Il y a un héritage par rapport aux actes qu’il a essayé de poser. Il existe une génération de féministes qui sont dans la continuité de ce qu’il a porté. Quand on parle de lui, aujourd’hui, c’est surtout le panafricaniste qu’on met en avant, et hélas pas assez le féministe !”, regrette Halimatou Soucko.

Ce à quoi répond, non sans ironie, Denise Epoté : “Qui sont les personnes qui signent des portraits de Sankara ? Ce sont des hommes, ceci expliquant sans doute cela !”

Thomas Sankara était un féministe

C’est le titre d’une pièce de théâtre écrite par le metteur en scène anglais Riccardo Dujany, jouée en mars 2018 à Londres. 

AFP

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