Quinze ans après son stage d’énarque au Nigeria, Emmanuel Macron est élu président de la République française. Il promet de faire souffler un vent nouveau sur les relations avec le continent africain. Fort de sa jeunesse et de son libéralisme, il dénonce une «françafrique» postcoloniale dont il ne se sent pas comptable et mise sur les nouvelles générations pour réconcilier les mémoires des deux (02) côtés de la Méditerranée. Mais il se heurte au réel. Les autocrates, à la longévité exceptionnelle, ne tardent pas à lui rappeler qu’ils sont les derniers des Mohicans à défendre les intérêts français, en Afrique comme dans les organisations internationales. Sur un continent mondialisé redevenu géostratégique, la France ne pèse guère plus que par son armée dans le Sahel et quelques empires familiaux.
Pour échapper à cette perte d’influence globale, Emmanuel Macron joue un joker inédit: «l’Afrique» en France. Il crée un Conseil présidentiel pour l’Afrique composé essentiellement de Français originaires du continent, dans le dessein de dépoussiérer la politique africaine de l’Hexagone. Au terme d’une enquête de deux (02) ans auprès de multiples interlocuteurs, deux (02)journalistes, Antoine Glaser, ancien Directeur de la rédaction d’Africa Intelligence, auteur de «Comment la France a perdu l’Afrique» et Pascal Airault, journaliste éditorialiste à l’Opinion, a réalisé de nombreux reportages pour Jeune Afrique. Il est l’auteur de «Françafrique. Opérations secrètes et affaires d’État».
Au Mali, l’islam modéré malikite, pourtant majoritaire ne parvient pas à éteindre la voix des wahhabites qui étaient influents dans le Haut Conseil islamique (HCI).
Au Burkina Faso, les medersas se développent, souvent hors de contrôle des autorités. Le Niger fait aussi face à la montée de l’obscurantisme. Et le conservatisme social est plus fort au Sénégal.
En France, on pointe un doigt accusateur sur les pays du Golfe (Qatar et Arabie saoudite, eux-mêmes en compétition) et de la Turquie, qui dévoient la pratique de l’islam au sud du Sahara, ce qui n’est pas sans susciter des conflits sociétaux au sein même des communautés musulmanes sur les pratiques religieuses. «Les hommes d’affaires turcs emmènent deux choses dans leurs valises quand ils viennent faire du business en Afrique: le prosélytisme des Frères musulmans et la promotion d’un modèle autocrato-libéral incarné par le président Erdogan», assure un proche d’Emmanuel Macron.
Au niveau des ambassades, la priorité d’Ankara est de faire fermer les écoles gùlenistes. Les officiels turcs prennent aussi langue avec les confréries et les leaders religieux africains pour diffuser un islam officiel. Pour l’instant, il n’y a pas encore de grand parti politique de la mouvance des Frères musulmans formellement identifié au sud du Sahara. Mais les choses pourraient évoluer.
«Nous allons faire face à des poussées d’islam politique au Mali, au Burkina et au Niger, reconnaît ce proche du président. L’étendue de la percée des partis islamiques dépendra de l’offre politique alternative qui sera proposée aux citoyens. L’équation pour la France est de faire émerger cette offre en promouvant des leaders politiques promoteurs en Afrique de l’Ouest que l’on s’efforce de bien traiter», précise cette source. L’idée est en fait d’aider la nouvelle génération de leaders laïques et francophiles, pour en faire la prochaine relève, alors que les dirigeants de l’Internationale socialiste sont en fin de parcours en Afrique de l’Ouest.
«Il faut promouvoir des personnes bien formées qui ne sont pas dans l’idéologie islamique et dans la lutte postcoloniale, ou qui connaissent mieux la France que leur propre pays», poursuit ce proche d’Emmanuel Macron. Ces personnalités sont identifiées par l’Elysée, les ambassades, le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS du Quai d’Orsay). «Si nous ne réussissons pas, des imams comme Mahmoud Dicko au Mali vont rafler la mise sur le plan politique».
Personnalité très populaire dans son pays, ce leader religieux salafiste a aidé le président Ibrahim Boubacar Keïta à accéder au pouvoir, en 2013, puis a contribué à la chute de son régime, le18 août 2020, au sein du mouvement révolutionnaire du 5 juin, finalement doublé par les putschistes. Ancien professeur d’arabe de soixante-huit (68) ans, originaire de la région de Tombouctou, formé au wahhabisme à Médine en Arabie saoudite, Mahmoud Dicko manie l’ambigüité à dessein en s’inspirant du pape François.
«Le plus grand politique de notre temps, c’est qui ?», demandait-il lors de l’Autre Forum de Bamako en février 2021. «C’est le Pape, c’est un chef d’État. S’il vient au Mali, ce n’est pas un imam qui va aller l’accueillir, mais c’est le président de la République. Et ils parleront de toutes les questions qui concernent la République. Pourquoi vous acceptez que le Pape le fasse et que nous ne puissions pas parler de la gestion de la vie de notre nation ?».
Selon lui, les musulmans ont le droit d’être aussi influents que les Juifs et les chrétiens en Occident. Fin analyste de l’évolution des mœurs, l’imam Mahmoud Dicko sait fédérer pour faire barrage à un projet de loi, une réforme gouvernementale ou la publication d’un manuel scolaire pas à son goût. Son influence s’est affirmée à partir de 2008, lorsqu’il a pris la tête du Haut Conseil islamique malien (HCIM), créé en 2002. Il y restera jusqu’en 2019, lorsque le prêcheur malikite Chérif Ousmane Madani Haïdara lui succède. L’imam rigoriste a depuis lancé la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS), lieu de rassemblement de ses fidèles.
Habile tacticien, il loue aujourd’hui les vertus de la laïcité à la malienne: «Les gens ont cohabité, le féticheur par-là, le marabout par-là, l’imam par-là, d’autres là-bas, ça n’a jamais posé de problème. Nous avons eu toujours l’intelligence de manager ces choses-là ensemble».
Pour les responsables français, l’imam Dicko mène une stratégie d’entrisme politique sous couvert d’un combat pour la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption. Son influence est réelle. Il a pu faire nommer plusieurs ministres dans le gouvernement de transition.
«L’imam Dicko joue politiquement pour lui-même, affirme le proche du président français. S’il accède au pouvoir, il projette de faire la paix avec les terroristes, avec lesquels il est déjà en discussion. Nous ne sommes jamais parvenus à faire dévier, au Mali comme ailleurs, un islamiste de son agenda. Pourtant, l’islam qu’il incarne est minoritaire. Le seul game changer serait d’avoir un leadership politique au Mali qui fasse bouger le pays. Il faut une nouvelle génération d’acteurs politiques honnêtes et soucieux du développement de leur pays, comme Boubou Cissé et Moussa Mara (deux jeunes anciens Premiers ministres), car, dans d’autres endroits du monde, nous avons vu ce que l’agenda de la bonne gouvernance islamiste a produit».
Équation finalement très compliquée pour Paris, dans des pays qui ont tendance à vivre sous des régimes de plus en plus autoritaires. Car compter sur la nouvelle génération africaine pour une reprise en main d’un islam sorti des griffes du salafisme est un pari qui est loin d’être gagné.
Antoine Glaser et Pascal Airault «Le Piège Africain de Macron»
Source: Inter De Bamako