Le 23 décembre dernier, le Mali a été accusé par plusieurs partenaires internationaux d’accueillir sur son sol des mercenaires du groupe privé russe Wagner. Si le gouvernement malien a rapidement démenti ces accusations, plusieurs avions militaires ont ces derniers mois relié Bamako depuis la Russie. Ces rotations aériennes, ainsi que des images satellites d’installations militaires près de l’aéroport, alimentent la thèse selon laquelle le groupe Wagner serait en cours de déploiement au Mali.Nous, partenaires internationaux résolus à soutenir le Mali et son peuple […] condamnons fermement le déploiement de mercenaires sur le territoire malien”. Le 23 décembre 2021, les instances diplomatiques françaises et de plusieurs de leurs alliés ont publié un communiqué conjoint “sur le déploiement du groupe Wagner au Mali”. D’après eux, ce groupe privé russe employant des mercenaires dans des pays comme la Syrie, la Libye et la Centrafrique serait sur le point de s’installer au Mali. Mais dès le 25 décembre, le gouvernement malien a répondu par un communiqué, indiquant notamment “apporter un démenti formel à ces accusations sans fondement”. Le communiqué confirme néanmoins la présence de formateurs militaires russes au Mali.
Pour l’instant, ce déploiement supposé de Wagner n’est documenté que par des “sources gouvernementales” citées dans un article du Monde publié le 24 décembre 2021. Elles expliquent que ces accusations reposent entre autres sur l’aménagement récent d’une base militaire à proximité de l’aéroport de Bamako et des “rotations aériennes suspectes”. Sur les réseaux sociaux, les Observateurs de France 24 ont repéré plusieurs vols militaires russes qui ont eu lieu au cours des trois derniers mois entre Moscou, la Syrie, la Libye et surtout Bamako. En plus des ces allers-retours, les images satellites de l’aéroport de la capitale malienne rendent compte de nouveaux aménagements.
Un trajet Moscou-Bamako éveille les soupçons
Ces rotations aériennes peuvent être observées grâce à l’outil Flightradar24 (exemple d’utilisation ici). Sur ce site, qui référence les vols récents et permet de les suivre en temps réel, il est possible d’identifier des trajets réalisés par certains avions se rendant entre autres à l’aéroport de Bamako au Mali.
C’est ce qu’a fait le compte Twitter Gerjon, qui utilise régulièrement Flightradar24. Du 19 au 20 décembre 2021, il a par exemple suivi le trajet d’un Tupolev TU-154M – un avion de ligne – parti de Damas en Syrie pour finalement arriver à Bamako après avoir fait escale en Libye. Cet avion porte le numéro d’immatriculation RA-85042.
Grâce à ce numéro RA-85042, nous avons pu retracer l’ensemble du parcours récent de cet appareil. L’historique de Flightradar24 nous permet d’affirmer que ce Tupolev est parti de Moscou le 19 décembre dernier pour rejoindre Damas. Après une escale en Libye, il a finalement atteint Bamako le 20 décembre. Le même jour, il a ensuite emprunté le chemin inverse et s’est rendu à Damas avant de rejoindre son point de départ à Moscou.
Un avion habitué des vols suspects
Cet aller-retour Moscou-Bamako éveille donc la curiosité pour de nombreuses raisons. Tout d’abord parce que les “sources gouvernementales” citées par Le Monde le 24 décembre dernier évoquaient la présence d’une quarantaine de militaires russes arrivés “il y a quelques jours”.
Jack Margolin, membre de C4ADS, une ONG dédiée à l’analyse de conflits par la production de données, explique par ailleurs que l’appareil RA-85042 appartient à “l‘unité aérienne 223”. Cette branche de l’armée de l’air russe est suspectée par les Nations unies d’avoir été utilisée à plusieurs reprises dans le but de transporter du matériel et des troupes du groupe Wagner. Cette suspicion est développée par un rapport publié par l’ONU en mars 2021 au sujet des affrontements qui ont ébranlé la Libye au cours des dernières années.
Il y est écrit qu’en 2020, “plusieurs Tupolev TU-154M du détachement n°223 de l’armée de l’air russe ont été utilisés pour des transports aériens par le groupe Wagner et ses filiales”. Surtout, ces pages recensent plusieurs avions russes qui ont relié Damas à la Libye au début de l’année 2020 alors que le groupe Wagner bénéficiait de livraisons. Or, parmi eux, on retrouve l’avion immatriculé RA-85042. Entre les 4 et 6 janvier 2020, il a effectué deux allers-retours entre l’aéroport de Benghazi en Libye et la base militaire russe de Lattaquié située en Syrie.
Sur Flightradar24, on peut aussi voir qu’en 2021, l’avion RA-85042 s’est rendu plusieurs fois en Syrie et en Libye, deux terrains d’opération des combattants Wagner. Le RA-85042 a également atterri en Centrafrique après avoir, là encore, fait une escale en Syrie. Le 2 octobre 2021, il a été pris en photo stationnant à l’aéroport de Bangui, la capitale centrafricaine. Or, des formateurs russes liés à Wagner entraînent l’armée centrafricaine depuis 2018, et, le 15 décembre 2021, l’Union européenne a suspendu ses missions de formation des soldats centrafricains. En cause : le “manque d’assurance que les militaires centrafricains ne seront pas ensuite employés par les mercenaires de Wagner”.
Pour Jack Margolin, ces nombreux vols qui ont eu lieu en Libye et en Centrafrique sont un argument de plus : “Nous ne pouvons pas écarter définitivement l’hypothèse que ces avions aient transporté d’autres types de cargaisons, explique-t-il. Mais ce trajet qu’ils ont emprunté depuis la Syrie et leur appartenance à l’unité aérienne 223 sont pour moi les preuves les plus solides que j’ai pu constater jusqu’ici indiquant que Wagner pourrait effectivement être en cours de déploiement au Mali”.
Un cas qui n’est pas isolé
En plus de ce vol du RA-85042 daté du 20 décembre 2020, d’autres rotations aériennes depuis la Russie peuvent être identifiées. Le 30 septembre dernier, le compte Gerjon a suivi un autre avion russe se rendant à Bamako. Depuis son décollage en Russie, cet avion cargo est arrivé au Mali après une escale en Egypte.
Or, dès le lendemain, le compte Twitter officiel des Forces armées maliennes annonçait la réception de quatre hélicoptères de combat, ainsi que des armes et des munitions, achetés à la Russie par le gouvernement malien. Des photos montrent un hélicoptère emballé à l’intérieur d’un avion Antonov 124-100. Si cette livraison a été réalisée par l’armée russe et non le groupe Wagner, elle témoigne néanmoins de l’influence grandissante de la Russie concernant les questions de sécurité au Mali.Le ministre de la Défense et des Anciens Combattants, le Colonel Sadio Camara a réceptionné au nom du président de la Transition chef de l’état chef suprême des Armées le Colonel Assimi Goïta, le vendredi 1er octobre 2021, 4 hélicoptères blindés de Type Mi -171. pic.twitter.com/yhLxoIroux
— Forces Armées Maliennes (@FAMa_DIRPA) October 1, 2021
D’autres vidéos publiées le 7 octobre et le 19 novembre montrent un avion russe du même modèle, au même endroit de l’aéroport de Bamako. Sur la première, on peut voir les hélicoptères livrés sur le tarmac à côté de l’Antonov. La seconde montre des militaires maliens en train de décharger des colis de l’avion en présence de deux hommes blancs. L’équipe des Observateurs n’a pas pu déterminer la date sur laquelle ces deux autres vidéos ont été tournées.
De nouvelles installations militaires près de l’aéroport
Selon les informations du Monde, de nouvelles installations près de l’aéroport de Bamako ont suscité l’inquiétude de Paris et de ses partenaires. À côté de la base aérienne 101 de l’armée de l’air malienne, juste au sud de l’aéroport, des “installations de type militaire permettant l’accueil de nombreux mercenaires” auraient été observées.
En regardant les images satellites disponibles sur Google Earth, on peut voir qu’un terrain a effectivement été aménagé près de la base aérienne 101 depuis septembre :
Si l’on regarde de plus près l’image du 6 novembre, on peut voir qu’une quinzaine de tentes et plusieurs véhicules sont disposés sur le terrain nouvellement aménagé :
Selon Le Monde, “une dizaine de tentes militaires”, “quelques camions de transport de troupes” et “une soixantaine de véhicules blindés” seraient installés sur la base 101. La raison d’être de ces installations est encore inconnue.
Source: france24