Sur RFI, Jeamille Bittar, président de MC-ATT et membre du comité stratégique du M5-RF, a estimé que les sanctions prises à l’encontre du Mali par la CEDEAO et l’Uemoa sont « injustes » et parle d’un « complot international contre le pays ».RFI : Comment réagissez-vous aux sanctions décidées par la CEDEAO contre le régime de transition qui vous gouverne
H.Bittar : Bon nous avons appris avec regret et amertume les sanctions de l’UEMOA et de la CEDEAO contre notre pays, le Mali. Pour moi, cela constitue en soi, certainement, un complot mûrement réfléchi à l’endroit de notre pays.
RFI : Quand vous dites complot, ça veut dire qu’il y a plusieurs pays qui sont derrière ; c’est ça ?
Oui. Je vais indexer la France parce que je me souviens encore que la ministre française de la défense avait déclaré en ces termes que la France utilisera tous les moyens, y compris l’aide de la CEDEAO. Parce que l’échec cuisant de la France sur le territoire malien, en témoigne le retrait des forces françaises.
Et aujourd’hui, le fait qu’il y a une agitation sinon une irritation au niveau international de la présence de forces russes en République du Mali. Moi, je suis surpris. Et je vais dire qu’aujourd’hui le peuple malien en a conscience et je pense qu’il n’y a jamais eu autant de solidarité autour d’un gouvernement que ce gouvernement actuel et les autorités actuelles de la transition.
RFI : Le régime de transition accuse en effet la CEDEAO d’être instrumentalisée par des puissances extrarégionales ; mais vous croyez qu’un poids lourd comme le Nigéria peut être aux ordres de la France ?
Mais pourquoi pas ? Le président français a même fait un déplacement sur les Etats-Unis et il a été question du Mali. Et ce qui est sûr, l’intervention russe ou sinon la coopération russe au niveau du Mali a longuement été débattue et la France est à l’avant-garde d’un combat parce que la France est en train de perdre son monopole qui lui est tellement cher aujourd’hui.
Et l’échec de la France au Mali, peut-être que ça va être la fin de la France-Afrique, parce que cette suprématie française que l’ancien colon français détenait sur les autorités africaines, de plus en plus, nous sommes en train de voir que cela est en train de se dissiper.
Oui, mais la CEDEAO n’est pas qu’une organisation qui regroupe d’anciennes colonies françaises, c’est aussi le Ghana, c’est aussi le Nigéria ; est-ce que vous pouvez dire que tous ces pays sont instrumentalisés par la France ?Mais enlevez les pays francophones, vous allez faire le constat, ils sont déjà majoritaires dans cette CEDEAO. Mais ce qui est évident aujourd’hui, ce qui est le plus important aujourd’hui, nous pensons que ce sont des sanctions injustes.
Aujourd’hui, on cherche à pénaliser un peuple qui continue de souffrir dans sa chair ; au lieu que nous puissions jouir de la solidarité internationale, aujourd’hui, on veut forcément nous imposer ce lien néocolonialiste encore. C’est ça !
Vous pensez que les problèmes du Mali se résument aujourd’hui à des problèmes d’élections seulement ? Non, il y a eu un diagnostic sans complaisance de l’ensemble du peuple malien. Le peuple a pris conscience de la situation.
Moi j’estime aujourd’hui qu’il y a eu des mains invisibles et nous nous attendions à des sanctions pareilles. Mais ce qui est le plus important, nous étions prêts ; le peuple malien est prêt à toute éventualité.
RFI : Le régime de transition affirme que les sanctions décidées par la CEDEAO sont illégales et illégitimes, mais la CEDEAO réplique que c’est le régime de transition qui est illégitime puisqu’il n’est pas issu du suffrage populaire.
Qu’est-ce que vous appelez suffrage populaire ? Quand Alassane Dramane Ouattara arrive à faire un troisième mandat et est applaudi par ses pairs complices et même éventuellement, la France, la CEDEAO était où ?
Vous pensez qu’on peut nous faire des leçons de démocratie aujourd’hui ? Quand c’est la France qui vient déloger Laurent Gbagbo pour qu’Alassane Ouattara puisse venir au pouvoir, vous pensez que c’est ça la démocratie également ?
La légitimité dont il est question, le président Macron avait dit que c’était un régime illégal, illégitime etc. ; il nous avait traités de tous les noms. Mais après, la diplomatie française, les ministres français ont fait des va-et-vient au Mali.
RFI : Vous dites que vous vous attendiez à ces sanctions et que vous êtes prêts à y faire face, mais votre pays est enclavé ; il n’a pas d’accès à la mer. Si demain tous vous échanges commerciaux avec, pratiquement, tous vos voisins, sont suspendus, comment vous allez faire ?
Mais excusez-moi, la Guinée est dans le même pétrin que le Mali. La Guinée est une porte d’accès naturel du Mali, il y a la Mauritanie, il y a l’Algérie. Et, mieux que tout ça, quand vous lisez bien les sanctions, ils ont dit que les produits de première nécessité, les produits alimentaires, notamment, ne sont pas indexés ; que le carburant est indexé, que les médicaments ne sont pas indexés.Pourquoi ? Pour les intérêts de ces pays côtiers, notamment du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. Les ports sont utilisés par le Mali à peu près à 70% du flux qui traverse là-bas. Et pour leurs économies respectives, c’est quand même important.
Moi je pense qu’aujourd’hui, le problème n’est pas de sanctionner le Mali, le problème est d’aller dans un dialogue constructif pour voir éventuellement quel appui, quel apport, ils peuvent faire pour la sécurité. Maintenant, les élections, c’est le deuxième palier qu’il faut organiser.
Nous, nous avons une proposition de 6 mois à 5 ans mais si d’aventure il y a d’autres pays qui venaient à nous assister, à nous apporter leurs soutiens financiers etc., ce délai constitue en soi une base de discussion que nous pouvons peut-être essayer d’arranger ensemble.
RFI : Ce délai pourrait être raccourci, c’est ça ?
Oui ! Mais c’est clair. Mais on ne nous écoute même pas. On part de façon unilatérale, on prend des décisions comme si nous étions des esclaves. Le Mali ne serait jamais, jamais, jamais, esclave ni d’un pays africain ni d’un pays européen.
RFI : Vous parliez des problèmes financiers ; parmi les décisions prises dimanche à Accra il y a le gel des avoirs maliens dans toutes les institutions financières de la sous-région notamment à la BECEAO. Concrètement, Jeamille Bittar, une fois que vous aurez épuisé vos réserves de liquidité à Bamako, comment vous allez faire pour payer vos fonctionnaires ?
Mais ne vous inquiétez pas. Moi je pense que le génie malien, nous allons l’interroger, nous trouverons les voies et les moyens nécessaires pour le faire. Et aujourd’hui, la solidarité nationale est en train de se mettre en place ; c’est une question de peuple.
Le peuple malien dans sa souveraineté a décidé de retrouver toute son indépendance. Aujourd’hui, toutes ces sanctions, ces sanctions économiques, entre autres, qu’est-ce que le Mali gagne au fait de la CEDEAO ? Qu’est-ce que nous gagnons de l’UEMOA ? Voilà les grands points d’interrogation qu’il faudrait peut-être se poser. Qu’est-ce que, en termes d’apports financiers, nous recevons de ces pays ?
RFI : Vous parlez d’un dialogue constructif, et c’est-à-dire que vous excluez le scénario de la rupture avec la CEDEAO et l’UEMOA ?
Je n’exclus pas. J’étais le premier des politiques maliens à demander notre retrait de la CEDEAO bien avant. Donc, maintenant, moi je n’exclus pas le fait que nous allons quitter plus tard la CEDEAO ; je n’exclus pas non plus que le Mali, dans les années à venir, nous aurons notre propre monnaie, nous allons nous soustraire également de l’UEMOA.
Parce que cette communauté ne nous apporte rien en réalité. Parce que ça favorise d’autres Etats mais pas le nôtre. Comme vous l’avez dit dans vos propos, nous, nous ne pouvons pas compétir avec le Nigéria. Nous produisons quoi pour aller vendre au Nigéria ? C’est ça le plus important. Et ils sont en train de déverser leurs produits sur nos marchés.
RFI : La CEDEAO vous demande d’élaborer un calendrier électoral acceptable, est-ce que vous êtes ouverts à cette proposition ou pas ?
Mais c’est la CEDCEAO qui vient de fermer la porte. Maintenant pour les discussions, ce n’est plus qu’on va dire il faut faire ça obligatoirement, c’est selon nos besoins aujourd’hui que les discussions doivent aller. Ceux qui veulent nous aider dans ce sens, tant mieux.
RFI : Franchement Jeamille Bittar, en proposant la prolongation de la transition militaire pendant 5 ans supplémentaires, est-ce que le régime n’a pas poussé le bouchon un peu loin ?
Non, on a dit que c’était une base de discussion. On a dit de voir entre 6 mois et 5 ans. Maintenant j’ai dit que si nous avions des possibilités de réduction de ce délai, tant mieux. Si on peut le faire en 6 mois, tant mieux ; si on peut le faire en un an, tant mieux. Aujourd’hui, on veut nous donner des leçons de démocratie.
RFI : Une médiation est possible peut-être par l’intermédiaire de l’Union africaine ou de l’ONU ?
Oui, une médiation est possible. Nous ne sommes pas fermés, nous ne sommes pas un peuple fermé, mais nous disons non au diktat. Nous sommes un peuple fier et un peuple digne.
Fadiala N. Dembélé/Stagiaire
Le wagadu