La Conférence des Chefs d’Etats de la CEDEAO et de l’UEMOA a décrété un embargo contre la République du Mali, à l’issue de son sommet extraordinaire conjoint qui s’est tenu le 9 janvier 2022 à Accra (Ghana). Cet embargo porte entre autres sur la fermeture des frontières entre les pays membres de la CEDEAO et le Mali, la suspension des échanges commerciaux à l’exception des denrées de première nécessité et le blocage des avoirs de l’Etat au niveau de la BCEAO et des banques commerciales. La présente note tente d’élucider les enjeux de l’appartenance du Mali à la CEDEAO et à l’UEMOA et d’explorer les solutions pour atténuer les effets de l’embargo sur le pays.L’objectif principal visé par l’UEMOA et la CEDEAO est de créer un espace économique intégré de libre circulation des personnes, des biens et des capitaux afin d’améliorer les conditions de vie des populations.
De l’analyse des statistiques du commerce extérieur du Mali sur les cinq dernières années, on constate que la CEDEAO et l’UEMOA ne sont pas la première destination des exportations maliennes. L’or et le coton qui font plus de 85% des exportations maliennes sont acheminés essentiellement vers l’Afrique du Sud, Dubaï (Emirats Arabes Unis) et la Suisse. La part de la CEDEAO dans les exportations totales du Mali a chuté de 14% en 2016 à 8,6% en 2019.
En faisant la comparaison entre les pays de la CEDEAO, nous constatons que la part du Mali dans les exportations intracommunautaires est estimée à 3,5% en 2019 contre 32% pour le Nigeria, 22,4% pour la Côte d’Ivoire, 11,5% pour le Sénégal et 10,6% pour le Ghana.
Par ailleurs, on constate qu’il n’y a pas eu une transformation significative de la structure des exportations du Mali, de 1973 à 1994, pendant l’époque de la Communauté Economique de l’Afrique de l’Ouest (CEAO) comparativement à la période de l’UEMOA ou au démarrage du schéma de libéralisation de la CEDEAO en 2000. En cause, l’intégration économique n’a pas engendré une industrialisation du pays conduisant à la diversification des exportations.
En effet, depuis les années 1970, les exportations maliennes dans la sous-région sont quasiment dominées par des produits agricoles dont les céréales, les produits de cueillette, les peaux et cuirs non transformés et le bétail sur pied. La part des produits manufacturés dans les exportations maliennes dans la sous-région ne dépassait guère 6% en moyenne entre 2015 et 2019.
Lorsqu’on examine la liste des produits bénéficiant de la préférence tarifaire au sein de la CEDEAO, nous remarquons que le Mali ne compte qu’une centaine de produits sur les 6.000 circulant sous préférence tarifaire dans le marché communautaire, dont plus du tiers appartient au Nigeria, suivi du Ghana, de la Cote d’Ivoire et du Sénégal.
A l’inverse des exportations, l’intégration économique sous-régionale a créé un effet de détournement ou de création du commerce au profit des États membres de la CEDEAO et de l’UEMOA qui sont aujourd’hui les premiers fournisseurs du Mali avec 37,3% des importations totales du pays sur la période 2015-2019. Les importations intracommunautaires du Mali ne cessent d’augmenter et sont passées de 34% en 2015 pour atteindre 41% en 2018 avant de chuter légèrement à 39,8% en 2019.
Le Sénégal est le premier fournisseur du Mali devant la République Populaire de Chine, suivie par la Côte d’Ivoire qui arrive en 3ème rang. Par contre, le Burkina Faso est le premier client des exportations maliennes, suivi par la Côte d’Ivoire et le Sénégal.
Il convient de noter qu’au sein de la CEDEAO, le Mali occupe le 2èmerang pour les importations intracommunautaires avec 20,8% derrière la Côte d’Ivoire qui détient 21,4%. Les parts du Nigéria et du Sénégal sont respectivement de 6,4% etde 8,9% loin derrière le Burkina Faso qui détient 10,1% des importations intracommunautaires.
La contre-performance commerciale du Mali s’explique par la faible diversification de ses exportations liée à son niveau d’industrialisation, l’enclavement du pays, le coût élevé des facteurs de production, la vétusté des infrastructures et la non disponibilité de l’énergie électrique, toutes choses qui rendent l’économie malienne nettement moins compétitive. Cette faible compétitivité est exacerbée par un Tarif Extérieur Commun (TEC) peu protecteur des unités industrielles locales. Faut-il rappeler que la structure du TEC s’articule autour de 5 bandes tarifaires, allant de 0 à 35% avec des mécanismes particuliers de protection en cas de forte poussée des importations.
Aux facteurs ci-dessus, s’ajoute une mauvaise organisation du commerce qui favorise la fraude et la concurrence déloyale. En plus, il n’existe aucun mécanisme de soutien à la compétitivité des pays défavorisés, notamment les pays enclavés au sein de la CEDEAO et de l’UEMOA contrairement à l’Union Européenne ou à la SADC où il existe des mécanismes de soutien aux économies défavorisées pour leur permettre de tirer profit de l’intégration.
En somme, l’appartenance du Mali aux espaces CEDEAO et UEMOA n’a pas permis une industrialisation significative et la diversification des exportations. Au contraire, on peut évoquer une désindustrialisation du pays avec la disparition des fleurons de l’industrie dans les branches du coton textile et de la chimie (pharmacie).
Nonobstant cette contre-performance commerciale, la libre circulation des personnes et des biens, le droit d’établissement dans le respect des règlementations des pays d’accueil et du cadre règlementaire communautaire constituent des acquis notables dans l’espace communautaire. Les entraves constatées çà et là, à la libre circulation des personnes et des biens sur les corridors d’approvisionnement, n’enlèvent en rien au mérite des acquis susmentionnés. Ces acquis contribuent, tant soit peu, à réduire le coût du commerce entre le Mali et les pays côtiers d’approvisionnement. En effet, si les opérateurs économiques maliens devaient prendre le visa chaque fois pour se rendre en Côte d’Ivoire ou au Sénégal, le niveau général des prix serait plus élevé que ce qu’il en est aujourd’hui. En plus, l’Agrément unique dans certains secteurs des services donnant la possibilité aux sociétés de droit malien de s’implanter dans les pays membres de l’UEMOA ou de la CEDEAO et d’y exercer, a permis le développement de certaines entreprises (Cas de la BDM-SA, de CIRA ou de Builders).Au plan macro-économique, l’économie malienne a connu une croissance en dents de scie durant ces dernières années. En raison de la pandémie de la COVID-19, le pays est entré en récession avec une contraction de son Produit Intérieur Brut de -1,2% en 2020, précédée respectivement d’une croissance de 4,7% et 4,8% en 2019 et 2018, nettement en dessous de la moyenne communautaire pendant ces années. Les secteurs primaires et tertiaires (agriculture et les services) sont le moteur de l’économie nationale avec une contribution de plus 70% dans la formation du Produit Intérieur Brut. La part de l’industrie a faiblement évolué entre 2012 où elle était de 9,8% pour se situer aux environs de 11,3% en 2015. L’industrie agroalimentaire a connu une chute drastique avec une part qui est tombée de 4,7% en 2012 à 3,8% en 2020. Ce qui corrobore nettement le faible impact de l’intégration économique sous régionale sur l’industrialisation de l’économie malienne.
Au plan monétaire et financier, l’adhésion du Mali à l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) a permis de régler des problèmes de devises pour financer ses importations à travers le mécanisme de mise en commun des recettes d’exportation.
L’accès au marché financier régional de l’UMOA permet aux Etats membres de mobiliser des financements pour couvrir leurs déficits budgétaires et mettre en œuvre de grands travaux. Ces dernières années, l’Etat a recours au marché financier régional pour financer ses déficits budgétaires.
S’agissant du financement du secteur privé, la mise en place de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières, permet aux entreprises éligibles de mobiliser des financements pour leur développement. Il est fort regrettable de constater qu’en dehors des banques, le Mali n’a pas beaucoup d’entreprises qui interviennent sur le marché des valeurs mobilières.
En somme, on peut affirmer sans risque de se tromper que la stabilité du franc CFA a permis le développement du réseau bancaire au Mali. Sans cette stabilité dans la gestion monétaire et macroéconomique à travers la BCEAO, le paysage bancaire compterait probablement moins d’une dizaine de banques et encore moins une d’une antenne de Bourse des Valeurs Mobilières.
Quels sont les défis liés à un retrait de la CEDEAO et de l’UEMOA ?
Au plan commercial, un retrait du Mali de l’UEMOA et de la CEDEAO aura pour effet immédiat, le réarmement tarifaire dans les échanges commerciaux entre les parties. Sauf dispositions contraires, les parties vont commencer à appliquer des droits de douanes et taxes à effet équivalent sur le commerce mais aussi et surtout de renforcer les contrôles au niveau des cordons douanier. La conséquence immédiate est le rallongement des délais d’approvisionnement mais aussi et surtout le renchérissement des coûts de revient des produits pour les consommateurs. Sur la base de principes économiques élémentaires, toute hausse des coûts de revient favorise des concurrents sur le marché et provoque à terme, si des mesures de correction ne sont pas prises, une éviction du marché.
Le retrait de la CEDEAO et de l’UEMOA mettra fin à la libre circulation des personnes et le droit d’établissement entre les entités. Il faudrait obtenir un visa pour se rendre de part et d’autre et détenir une carte de séjour pour résident.
En termes d’impacts sur le commerce extérieur, l’analyse des produits exportés par le Mali dans la sous-région fait penser que les pays frontaliers importateurs trouveront difficilement des alternatives d’approvisionnement à des prix compétitifs. Donc, même en cas de réarmement tarifaire, le Mali conservera son marché d’exportation en Afrique de l’Ouest.A l’inverse, l’application des droits de Douane aux produits originaires du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Nigeria et du Ghana, au même titre que les produits similaires ou de substitution provenant de pays tiers, va exacerber la concurrence avec des pays tiers et représentera un risque sérieux d’éviction des pays de la CEDEAO sur le marché malien. Le réarmement tarifaire pourrait permettre également à certaines branches d’activités locales, notamment dans le domaine des industries agroalimentaires, de se relancer à condition de s’ajuster par rapport à la nouvelle donne. In fine, la remise des droits de Douane apportera une certaine protection aux unités industrielles nationales déjà très éprouvées par la concurrence. Le retrait du Mali de l’UEMOA/CEDEAO ne privera pas notre pays de l’utilisation des installations portuaires des pays frontaliers puisqu’il s’agit d’activités commerciales par lesquelles ces pays tirent une part non négligeable de leurs recettes budgétaires. Le Mali est la variable d’ajustement budgétaire des ports du Sénégal et de la Côte d’Ivoire.
Cependant, nous notons que l’option choisie par les autorités de la Transition est de rester dans les organisations sous régionales visées tout en diversifiant les ports d’approvisionnement du pays, notamment par l’intensification des relations commerciales avec la République de Guinée et la République Islamique de Mauritanie.
Si la République de Guinée est déjà membre de la CEDEAO, il faudrait retenir que la République Islamique de Mauritanie n’est pas dans la Communauté. Toutefois, elle a signé en 2017 un Accord d’association avec ces Etats pour créer une Zone de Libre de Echange et s’est engagée à appliquer le Tarif Extérieur Commun et harmoniser sa règlementation commerciale avec les dispositions pertinentes en vigueur au sein de la CEDEAO.
De ce qui précède, les marchandises provenant de la Mauritanie seront soumises au droit NPF, c’est-à-dire les mêmes droits de douane applicables à la Chine, aux Etats Unis ou à l’Union Européenne. Pour éviter l’application des droits de Douane et taxes assimilées sur les importations en provenance de la République Islamique de Mauritanie, la solution serait d’abord de ratifier l’Accord d’association avec la Mauritanie et de régler d’autres aspects pratiques pour le commerce des marchandises (règles d’origine par exemple) entre nos deux pays.
En définitive, lorsque les problèmes politiques entre le Mali et les organisations sous régionales connaîtront leur épilogue, notre pays doit exiger, dans le cadre d’un dialogue plus serein entre les parties, qu’un contenu concret soit donné à certaines dispositions du Traité révisé instituant la CEDEAO, notamment celles relatives aux pays les moins avancés et les pays enclavés. En effet, la CEDEAO et l’UEMOA doivent impérativement mettre en place des programmes de mise à niveau des économies des pays enclavés, pour leur permettre de tirer pleinement profit de l’intégration économique sous régionale, de partager équitablement les coûts et les bénéfices de l’intégration.
Pour rappel, au moment où la CEAO existait, il y’avait un Fonds pour l’industrialisation des Etats. Un tel mécanisme n’existe plus ni au sein de la CEDEAO, ni au sein de l’UEMOA. Toutefois, la Commission de l’UEMOA a mis en place le Programme Economique Régional (PER) pour financer des projets de développement dans tous ses Etats membres. Or, de notre point de vue, il ne doit pas y avoir de compétition entre les Etats enclavés et les pays côtiers pour l’utilisation des fonds destinés à l’ajustement des économies. A l’inverse, la CEDEAO n’a mis en place aucun instrument, aucun mécanisme d’ajustement.Aussi longtemps que les déséquilibres ci-dessus évoqués ne seront pas corrigés, les pays enclavés s’enfonceront davantage dans la pauvreté et la précarité. Ils ne seront jamais compétitifs, y compris dans les domaines où ils détiennent des avantages comparatifs. Cette situation va davantage s’exacerber si la Commission de l’UEMOA exécutait en l’état son projet de pôles énergétiques au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Niger, au détriment du Mali et du Burkina Faso, où la disponibilité de l’électricité est l’un des principaux goulots d’étranglement à leur industrialisation.
Si au plan commercial, le retrait du Mali de ces deux organisations n’aura pas de grands effets sur son commerce extérieur, notamment sur la structure des échanges commerciaux avec les pays de la sous-région, au plan monétaire et financier, il faudrait s’attendre à payer certainement le prix fort.
Au plan bancaire, un retrait du Mali de l’UMOA pourrait entraîner le départ de certaines banques et le rétrécissement du crédit à l’économie, à la condition que des banques dans lesquelles l’Etat dispose d’une participation significative dans le capital aient une capacité financière pour combler le vide.
De façon spécifique, le contexte actuel marqué par la crise sécuritaire, la faible diversification de l’économie nationale et des produits d’exportation, la forte dépendance aux cours des matières premières (coton et or) sur le marché international, ne constitue pas un cadre favorable à la gestion d’une monnaie nationale. Le pays résisterait difficilement, seul, aux chocs exogènes que lorsqu’il est dans une union monétaire. Le non accès au marché financier régional pour mobiliser des emprunts destinés au financement des déficits budgétaires, obligera l’Etat à réviser son budget pour le recentrer sur les ressources propres et l’annulation subséquente de certaines dépenses en investissement. Si l’embargo dure dans le temps, il aura un impact négatif sur la croissance économique en raison du ralentissement des activités économiques, sachant que l’Etat est un important acteur économique dans la demande globale (consommation des services publics, travaux collectifs, etc.).
Certes, la création d’une monnaie nationale offre des flexibilités dans la politique monétaire pour financer le développement, mais elle exige une confiance des opérateurs économiques et des partenaires dans cette monnaie. Face aux risques majeurs encourus en cas de maintien dans la durée (plus de trois mois) de l’embargo financier, l’Etat pourrait recourir temporairement à une solution médiane. Nous suggérons au gouvernement de retirer provisoirement son droit souverain de gérer sa monnaie confiée à la BCEAO. L’Etat reprendra alors le droit seigneurial d’imprimer des billets et pièces de FCFA par l’intermédiaire de sa propre institution d’émission. Les émissions de FCFA seront adossées aux avoirs du Mali auprès de la BCEAO. Il ne s’agit pas de créer une nouvelle monnaie, loin s’en faut. Il s’agira du même franc CFA. Les spécialistes du Droit monétaire trouveront cette solution illégale mais, on ne doit pas perdre de vue que les sanctions imposées par la BCEAO le sont plus.
En conclusion, le Mali devrait rester dans les organisations sous régionales quoiqu’au plan économique, les résultats engrangés à ce stade sont très mitigés, hormis les acquis financiers. En outre, il ne faudrait pas perdre de vue les perspectives de la création du marché unique africain (ZLECAF) et de la mise en œuvre de l’Accord de Partenariat Economique (APE) avec l’Union Européenne. Le Mali gagnerait en étant dans un ensemble perfectible que d’évoluer solitairement. Cependant, les négociations avec ces deux organisations ne doivent pas être conclues à n’importe quel prix au détriment d’un chronogramme réaliste de la refondation nationale.
Boubacar BALLO
Le Challenger