Aboubacar Konaté, plus connu sous le nom de Bouba, est un émigré qui se bat pour la défense et la protection de ses compatriotes. Il vit depuis 2004 à Tenerife où il préside l’association des Maliens. Courageux et engagé, il plaide pour une meilleure prise en charge des émigrés maliens dans l’obtention des documents administratifs. Aujourd’hui, il est l’espoir de sa famille mais aussi de tous les Maliens qui vivent ou transitent par Tenerife.Tenerife est la plus grande île de l’archipel espagnol des Canaries. Elle est située dans l’océan atlantique. Parmi les 949 471 habitants de cette île de 2 034 km2, vit une communauté malienne. Aboubacar Konaté dit Bouba est le Président de l’Association des Maliens de Tenerife. Comme de nombreux jeunes de son âge, le natif de Baco-djicoroni en commune V du district de Bamako, a abandonné ses études au niveau de la 8ème année fondamentale pour prendre le chemin de l’aventure. « Mon père qui était au Maroc voulait que je le rejoigne. D’abord je ne voulais pas partir, mais après quelques échecs scolaires, j’ai décidé d’y réfléchir sérieusement. Les conditions n’étaient plus propices à mon épanouissement », nous confie-t-il au cours d’un entretien lors de son dernier séjour bamakois qui a pris fin le 22 février 2022.
Tentatives infructueuses, difficultés du trajet migratoire
Quand il décidait de partir en 2004, il n’avait que quinze (15) ans. Il atterrit au Maroc pour faire une pause et travailler au côté de son père avant de continuer sur l’Europe. « Tu es avec quelqu’un, tu entends demain qu’il est mort dans la mer ou qu’il est entré en Espagne…Mon départ n’a pas été facile. J’ai fait trois tentatives. C’est la troisième qui fut la bonne ». Bouba Konaté fournit quelques détails sur ses tentatives de traversée de l’océan atlantique. « Lors de la première tentative, la police nous a arrêtés au pied de l’embarcation avant de nous refouler vers la frontière algérienne vers Oujda. On nous a fouillés et dépouillés de tout. On m’a pointé un fusil pour la première fois en Algérie ». Le jeune Konaté n’est nullement découragé par cet échec. Il essaie une deuxième fois de donner un sens à son rêve. « Nous passons quatre (4) jours d’attente avant de tomber dans le filet de la police. Pour la première fois, j’ai vu des gens se battre pour avoir de l’eau à boire », souligne-t-il. La troisième tentative fut la bonne. Les candidats couraient pour rejoindre deux bateaux. Par chance, un inconnu du nom de Bassékou Coulibaly prend le petit Bouba pour le placer devant lui dans l’embarcation.
A 15 ans, il entre à Tenerife, le jour même de son anniversaire. « En tant que mineur, j’ai été emmené dans un centre d’hébergement des mineurs ». Il entame des études en électricité dans un établissement où il était le seul africain parmi plus de 1000 apprenants. « Mes études au Mali m’ont beaucoup aidé. J’ai réussi à l’examen alors que certains espagnols ont échoué ». A 18 ans, il quitte le centre pour être pris en charge par un projet qui parraine les enfants en situation difficile. « Grâce à ce projet, j’ai pu terminer les études », souligne-t-il.Pendant cinq (5) ans, il a travaillé dans une entreprise qui n’a rien à voir avec sa formation de base. Il cherche et obtient un arrangement avec son patron. De 20h à 3h 30mn, il travaillait. A sa descente, il dormait un peu et prenait le chemin de l’école à 8 heures. Le jeune homme travaillait la nuit et étudiait le jour. C’est ainsi qu’il a pu aider sa famille au Mali et se marier en 2014. Son épouse l’a rejoint en 2016. Il est père d’une jolie fille. Depuis 2018, il est dans le domaine de l’électricité et travaille dans des entreprises différentes. « Je suis un homme de terrain », lance-t-il.
« Les eaux des Canaries tuent beaucoup »
Selon Aboubacar Konaté, « la migration a de beaux jours devant elle ». Il reconnait les énormes difficultés à se procurer le simple visa, même dans le cadre du regroupement familial. Il dénote certains clichés en affirmant : « les gens pensent que c’est l’eldorado mais c’est difficile ». Le Président de l’Association des Maliens de Tenerife ne perd pas de vue les difficultés, voire les tragédies qui parsèment la route de la migration. « Les eaux des Canaries tuent énormément. La traversée est devenue une tragédie ». Il raconte les histoires tristes des femmes enceintes qui accouchent en pleine traversée ou des femmes qui assistent impuissamment au décès de leurs progénitures dans l’embarcation, sans oublier les bateaux qui s’égarent pour se retrouver au Brésil, en Argentine ou au Venezuela. Bouba Konaté ne trouve pas les mots justes pour décrire la souffrance des familles de ces candidats dont les corps sont repêchés de l’océan ou engloutis par les eaux des Canaries. « Des gens sont enterrés sans nom ni prénom, avec juste des numéros. Des corps mis dans une caisse pour être accrochés au mur. Les conditions d’enterrement des corps ne respectent aucun rite ». Témoin oculaire de ces scènes épouvantables, il demande aux autorités maliennes de travailler à identifier les corps et à les remettre éventuellement aux familles.
Courageux et engagé, le Président de l’Association des Maliens de Tenerife décrit les conditions de vie extrêmement difficiles, voire inhumaines dans les centres d’accueil des migrants à leur arrivée. Ils peuvent passer un à deux mois avec une chemise, un pantalon et une chaussure. « Les conditions de vie dans les centres d’accueil sont difficiles ». Trouver de la nourriture suffisante relève du parcours du combattant. Pour aider les jeunes migrants, le Président Konaté, à travers son association collecte des habits, des chaussures pour les remettre à ses compatriotes. Il fait préparer de la nourriture par sa femme, afin d’aider ses frères et sœurs nouvellement arrivés sur l’île, qui est un véritable point de transit. « Le plus important pour moi est la prise en charge des mineurs », affirme-t-il.Difficultés causées par la carte NINA
« La carte NINA nous cause d’énormes difficultés », avoue Aboubacar Konaté. Pour faciliter l’obtention des documents, l’Association des Maliens de Tenerife organise avec l’ambassade du Mali à Madrid des séances d’enrôlement grâce à une cotisation forfaitaire. Car, pour aller à Madrid, il faut débourser 200 à 300 euros par personne et aucun centre n’a la capacité de prendre en charge plus de 10 enfants. « En 2020, nous avons organisé une deuxième opération d’enrôlement. Depuis lors, aucune fiche n’est sortie. Cela me choque énormément. Je ne peux pas passer une journée sans qu’un jeune ou un de ses parents ne m’appelle. La carte NINA fatigue beaucoup les Maliens », déclare le Président de l’Association des Maliens de Tenerife.
Il connaît le calvaire des sans-papiers et dénonce les tracasseries dans l’enrôlement mais aussi dans les corrections des erreurs. « A 18 ans, ils sont renvoyés du centre sans passeport ni carte de séjour. Or, sans passeport, les enfants ne peuvent pas voyager ». Il plaide pour une meilleure prise en charge des émigrés maliens dans l’obtention des documents administratifs.
Grâce à sa maitrise du phénomène migratoire et surtout à sa proximité avec les migrants, Aboubacar Konaté fait l’objet d’une grande sollicitation. Il participe à plusieurs rencontres sur les questions liées à la migration. Les médias ainsi que les familles des candidats au départ sollicitent régulièrement ses services. Disponible, il est toujours à l’écoute de ses interlocuteurs pour leur donner satisfaction dans la mesure de ses possibilités. Footballeur à ses heures perdues, chaque vacance il offre des lots de maillots à des petits clubs des quartiers de la commune V. Aujourd’hui, il est l’espoir de sa famille, de tous les Maliens qui vivent ou transitent par Tenerife et des enfants qui rêvent de devenir des footballeurs professionnels.
Chiaka Doumbia
Le challenger