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Modibo Mao Makalou, Economiste : « Je pense que c’est le sommet de tous les dangers mais aussi de tous les espoirs… »

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À 24h du sommet extraordinaire des chefs d’Etat et des gouvernement sur les Transitions au Mali, en Guinée et au Burkina. Modibo Mao Makalou, économiste fait une analyse des enjeux de ce sommet.Mali Tribune : initialement annoncé pour fin mai 2022, c’est finalement le 4 juin 2022 que se tiendra à Accra le sommet extraordinaire de la CEDEAO. Quels sont les enjeux de ce sommet ?

 

Modibo Mao Makalou : les enjeux sont assez importants pour le prochain Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement qui vont se réunir sur les Transitions au Mali, en Guinée et au Burkina. Je pense  que même si pour le moment il n’y a pas d’accord avec aucune de ces Transitions précitées il y cependant des pourparlers qui sont en cours entre les organisations sous régionales et les Autorités de Transition des trois pays sur la durée des Transitions, c’est-à-dire un chronogramme détaillé menant aux élections fourni par les autorités transitoires et accepté par la Conférence des Chefs d’Etats de l’UEMOA et de la CEDEAO. Le calendrier devrait comprendre la préparation et la tenue des élections à une échéance bien déterminée. C’est là que les difficultés s’annoncent apparemment pour le moment car même s’ il n’y a pas d’accord, il serait souhaitable qu’au terme du prochain sommet que le communiqué final puisse communiquer sur un accord sur des chronogrammes des Transitions. Mais essentiellement, il s’agira de savoir si la levée des sanctions en cas de compromis sera totale ou graduelle. On aurait bien sûr souhaité qu’en cas d’accord avec le Mali que les sanctions soient levées immédiatement parce qu’elles sont anachroniques, inadaptées et surtout inefficaces. Il faudrait aussi envisager qu’en cas de non accord aussi à ce que des sanctions supplémentaires  puissent être infligées aux Autorités des trois Transitions.

 

Mali Tribune : est-ce le sommet de tous les espoirs pour le peuple malien qui vit sous embargo depuis des mois ?

 

M.M.M : C’est un sommet dont les enjeux sont très importants non seulement pour le Mali mais aussi pour la sous-région ouest africaine. Au sein de notre espace communautaire, le Mali se trouve géographiquement au centre de la CEDEAO et constitue l’épicentre de la lutte contre les groupes armés terroristes au Sahel. De surcroît, le Mali possède la 3ème plus importante économie de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et la 5ème économie de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le Mali, c’est aussi 17% de la population de l’UEMOA et 5% de la population de la CEDEAO et nous avons environ 90% de notre diaspora qui vit dans dans les pays membres de la CEDEAO. En réalité, les sanctions ont un mpact non seulement sur  le Mali mais aussi sur les ressortissants des 14 autres  pays membres de la CEDEAO qui résident au Mali. L’économie du Mali est très ouverte et l’activité économique dépend essentiellement du commerce international à hauteur de 60% du produit intérieur brut (PIB) et notamment avec nos voisins. Ces sanctions constituent de sérieuses entraves au commerce sous régional suite à la fermeture des frontières du Mali de même que l’exclusion de l’État malien du système financier de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), ainsi que le gel des avoirs des sociétés publiques et parapubliques dans les établissements bancaires de la CEDEAO. Les sanctions de l’UEMOA et de la CEDEAO constituent des défis supplémentaires pour le Mali qui est confronté par ailleurs à des défis protéiformes : sécuritaires, sanitaires humanitaires et alimentaires. Environ 1 million de Maliens  qui sont issus des zones rurales sont maintenant des déplacés à l’intérieur et à l’extérieur du pays et 4 millions de Maliens sont menacés par l’insécurité alimentaire. Je pense donc que c’est le sommet de tous les dangers mais aussi de tous les espoirs. Parce qu’en cas d’accord ça serait un grand soulagement pour l’ensemble de la sous-région, à contrario, ce sera l’impasse à nouveau.Mali Tribune : selon des sources, le Sénégal et le Benin ont fait bloc dernière le Togo qui mène la médiation pour infléchir les positions radicales du Niger et de la Côte d’Ivoire. Y parviendront-ils ?

 

M.M.M : C’est difficile d’être dans les secrets des négociations et Il y a  beaucoup de supputations. Nous sommes dans les relations internationales et la dynamique sous régionale y afférente. Les Etats ont leurs amitiés mais chaque Etat a aussi ses intérêts. Lorsque les Chefs d’Etat se réunissent, ce n’est pas toujours facile de trouver un consensus parce que chacun défend ses intérêts. Cependant, je pense que tout le monde est d’accord qu’il va falloir lever les sanctions car elles affectent beaucoup surtout les populations Mais il va falloir penser aussi aux causes de ces sanctions, en l’occurrence la non transmission d’un chronogramme détaillé de la Transition qui doit mener aux élections. Je pense que nous avons dépassé cette étape et qu’il s’agit surtout de déterminer de commun accord la durée de la Transition. Je crois savoir que les autorités transitoires maliennes avaient récemment proposé 24 mois et que les Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’UEMOA et de la CEDEAO avaient proposé 16 mois. Il me semble qu’il y a une marge de manœuvre entre les propositions et qu’il est possible de trouver un compromis. Je reconnais aussi l’étendue du chemin parcouru car la CEDEAO avait initialement proposé un chronogramme d’une durée de 12 mois tandis que la Transition du Mali avait proposé jusqu’à 5 ans. Toutefois, Je pense un accord me semble proche si les deux parties négocient avec la bonne foi. Il me semble aussi qu’avec le nouveau facilitateur choisi par la partie malienne qui est le Président Togolais et aussi l’apport de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) qui a décidé d’intervenir sur le sujet pour rapprocher les positions des parties un accord est possible. Il y a aussi d’autres interlocuteurs anonymes qui essayent aussi de rapprocher les 2 parties. Il me semble en tout cas que les protagonistes sont autour de la table et que les positions se rapprochent et que nous ne sommes pas loin d’un accord.

 

Mali Tribune : si les chefs d’Etats entérinent les 24 mois qu’ils demandent au Mali. Est-ce la Guinée et le Burkina ne demanderont pas que la Cédéao leur accorde les délais qu’ils ont fixés eux aussi ?

 

M.M.M : Oui c’est un peu ça la difficulté de la négociation actuelle entre la CEDEAO et la Transition du Mali car une jurisprudence malienne dans le dossier malien  peut créer un précédent pour les autres transitions bien vrai que  les contextes des pays sont différents. Si on accorde un délai au Mali, on sera obligé d’accorder le même délai aux autres Transitions ou tout au moins à s’y référer. Mais la CEDEAO a ses principes de gouvernance démocratique auxquels les pays membres ont adhéré car les Traités ont été signés par les chefs d’Etats par tous les pays membres et ont été aussi ratifiés par  les parlements. Il s’agit donc de respecter les principes de l’UEMOA et de la CEDEAO tout en prenant en compte le contexte particulier de chaque pays pour pouvoir trouver une décision juste, raisonnable et justifiée.Mali Tribune : à l’issue de ce sommet si d’aventure les lignes ne bougent pas pour une levée des sanctions combien de temps le Mali pourra-t-il tenir financièrement ?

 

M.M.M : Au Mali nous traversons des crises multiformes et multidimensionnelles depuis presque 10 ans. De plus, nous nous trouvons en ce moment dans un contexte économique mondial très difficile pour tous les pays. Si vous prenez en ce moment la crise sanitaire qui affecte tous les pays du monde entier, de même que les conséquences économiques de la guerre en Ukraine, il apparaît clairement que l’économie mondiale s’achemine vers une récession économique et une hausse très importante de l’inflation, ; un phénomène que nous n’avons pas connu depuis les années 1970… Et cela risque de mettre en péril pratiquement tous les progrès qui ont été faits par les pays à faible revenu au niveau des services sociaux de base et d’amélioration des conditions de vie des Africains. Il va donc falloir  relancer les économies en finançant les dépenses budgétaires urgentes ce qui augmentera le déficit budgétaire et l’endettement public.. Si en plus de cela nous, nous considérons que le Mali subit des sanctions économiques, financières et commerciales de l’UEMOA et de la CEDEAO la situation économique et financière de l’État malien sera intenable à terme. Beaucoup de personnes se demandent si le Mali va tenir mais un pays ne va pas en faillite car il peut toujours trouver des ressources en diminuant les  dépenses ou en s’endettant.. Il y a des dépenses budgétaires qui sont incompressibles et d’autres que l’on peut reporter. Malheureusement, ce sont généralement les dépenses d’investissement qui font les frais des mesures d’austérité. Ce sont ces investissements socio-économiques qui permettent au pays de de se développer, et d’améliorer les conditions de vie des populations. Parce que s’il n’y a pas des routes, d’hôpitaux, d’électricité, d’usines ….. et si vous n’investissez pas dans les infrastructures de base et que vous vous   consacrez uniquement à payer les salaires et les dépenses prioritaires urgentes, évidemment vous allez tenir assez longtemps. Mais votre pays ne s’en portera pas mieux à la longue car  ça va beaucoup affecter l’Etat dans son fonctionnement, dans ses missions régaliennes et de fourniture des services publics  et donc les conditions de vie de la population à moyen et à long terme.

 

Après la levée des sanctions, il va falloir consentir  des efforts énormes  pour la relance économique et cela peut se révéler très compliqué surtout à un moment donné où l’économie mondiale va connaître une récession et une hausse des prix jamais vue depuis très longtemps. Aussi, le Mali importe beaucoup plus les biens et services  qu’il n’en exporte et possède aussi une diaspora très forte à l’étranger qui contribue à la résilience. En 2021, le Mali a reçu à travers les circuits financiers officiels 631 milliards de Franc CFA des Maliens de l’étranger. L’apport de la diaspora malienne est plus importante que l’aide au développement. Même en période de difficultés économiques et financières,  l’Etat peut toujours faire les salaires mais cela est très peu ambitieux pour un pays dont les fonctionnaires de l”Etat central et des collectivités territoriales constituent moins de 1% de la population. Est-ce que c’est cela que notre ambition ? Nous voulons que l’Etat assure son fonctionnement régulier, ses missions régaliennes et le service public. Je pense que la véritable question que nous devons nous poser concerne l’éventualité d’une détérioration sur le plan économique qui pourrait engendrer une crise sociale qui va s’additionner à la crise politique, sécuritaire et humanitaire. Nous espérons donc de tout cœur que le bon sens et la raison vont prévaloir à l’issue du Sommet des Chefs d’État et de Gouvernement de l’UEMOA et de la CEDEAO qui se tiendra le 4 juin 2022.

 

 

 

Propos recueillis par

 

Ousmane Mahamane

Mali  Tribune

 

 

 

 

 

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