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Migrants: Les vaches à lait des familles

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Des migrants sur une base navale à Tripoli, après avoir été secourus en mer par la marine libyenne, le 4 novembre 2017. © REUTERS/Ahmed Jadallah

Poussés par la situation difficile de Leurs familles et déterminés à trouver un pays d’accueil meilleur, des jeunes sont partis en exode. Cependant, ils sont vite devenus otages, obligés de se pressuriser pour subvenir aux desiderata de ceux qui sont restés aux pays d’origine. Pire, ils sont les seuls à ne pas profiter de leur argent et leurs envois font les jours souvent de fainéants. Certains se saignent, d’autres en profitent. Beaucoup partagent avec nous leurs amertumes.

 

 

 

Béléko est une bourgade dans la région de Doïla. Il y a quelques années, A. F., un jeune du village est parvenu à entrer en Espagne par la mer. Le soulagement et la fierté de toute sa famille. A. F. ne voulait cependant pas rester en Espagne. Il a convenu avec son père : il va travailler quelques années, le temps de pouvoir financer deux bennes de transport de sable, de construire une bâtisse en ciment au village, et il reste.

 

Son père a été d’accord avec son plan. A. F. s’est donné corps et âme au travail, ne lésinant sur rien, se privant de tout, vivant dans des conditions infrahumaines. Chaque euro qu’il gagnait était gardé et envoyé à son père. Celui-ci, en retour, lui faisait régulièrement le point.

 

C’est au moment où il croyait qu’il a deux bennes et qu’il a construit sa maison au village, qu’A. F. a pris l’avion pour rentrer. Au village, il trouvera que son père a payé une Mercedes pour lui-même, a épousé une seconde femme et s’est fait élire maire du village !

 

 

 

A.F. a perdu la raison, au point d’être enchainé des mois. Cependant, un jour, il a pu casser ses chaines et tuer son père. Déclaré fou, il est interné au CHU du Point G.

 

 

 

B.D. a pu avoir des papiers pour partir en Espagne. Ses parents sont de grands cultivateurs, qui ont cotisé pour lui faciliter le voyage. « Depuis que je suis là, mes parents ont arrêté de cultiver. J’ai dû leur payer un groupe électrogène, une télévision, une antenne parabolique. C’est moi qui paye le riz et le mil. Tu t’imagines ? Chez nous, on avait bon an, mal an, des céréales pour deux ans. Maintenant, tout repose sur moi, y compris quand un enfant tombe malade ou quand la moto de quelqu’un tombe en panne ».

 

Le récit d’I. B. est encore plus poignant. « J’ai passé le bac, et en tant que premier au lycée technique, j’ai eu une bourse, dans les années 1990 pour aller faire économie en France. J’ai eu ma Licence. Mes parents m’ont dit de ne pas rentrer. Le meilleur travail que j’ai eu en France, c’est plongeur. Tous les jours, on m’appelle pour dire que la maison de ma mère menace de s’écrouler, que quelqu’un est malade… Quand je suis rentré en vacances, j’ai vu comment avec mon argent, ils font la fête et comment mes frères mènent la belle vie. Pendant ce temps, je me prive de tout ».Ces cas ne sont pas isolés au Mali où on voit de familles se déchirer du fait des migrants qui se sont fait cornaquer par leur famille. Sans recours, certains jurent de ne plus traiter avec leurs proches, d’autres jurent de ne même plus mettre pied au Mali ou d’investir le moindre centime.

 

D’après les chiffres du Centre d’Information et de Gestion des Migrations au Mali (Cigem), en 2021, les transferts des migrants s’élevaient à 610 milliards de F CFA. Déjà, pour la moitié de l’année 2022, ce montant est dépassé, puisqu’on est déjà à 620 milliards de F CFA.

 

L’étude révèle que les fonds envoyés par les migrants ressortissants des six Communes du District de Bamako à la date de mai 2013, (dernières données disponibles), s’élevaient à 38 946 millions F CFA à Bamako et à 316 634 millions pour l’ensemble du Mali. « Les transactions sont majoritairement effectuées en espèces avec une proportion de 54,7 % des envois de fonds reçus qui transitent par le canal informel », souligne l’étude qui ajoute que « les chefs de ménage de genre féminin captent 58,6 % des réceptions de fonds tandis que les ” moins de 30 ans ” bénéficient de 26,2 % des fonds en direction du Mali ».

 

 

 

Des fonds majoritairement pour la consommation

 

Les professions libérales reçoivent 37,2 % des fonds. Ces fonds reçus sont utilisés majoritairement pour la consommation (48,7 %), l’investissement immobilier (16,7 %) et les événements familiaux (15,0 %).

 

Les flux proviennent majoritairement de France (48,6 %), d’Espagne (10,5 %), des Etats-Unis (9,3 %), des pays de l’Uemoa (8,7 %) et du Congo (6,0 %), pays généralement caractérisés par l’importance de la diaspora malienne y résidente.

 

 

 

Dans un article collectif intitulé : « Migration et développement, état des lieux des mécanismes d’accompagnement de l’investissement productif de la diaspora au Mali », (Code article : 20.2021.JSFSHSE), les auteurs notent que, « depuis plus d’une décennie maintenant, les questions migratoires sont propulsées au-devant de la scène nationale et occupent une place de choix dans l’agenda international des Etats. Si les débats restent largement dominés sur la gestion des migrations irrégulières, il y a lieu de signaler que, le Mali dispose d’une diaspora fortement engagée dont l’apport constitue un atout pour le processus du développement national à travers d’importants transferts de fonds et des compétences ».

 

Plus loin selon le même article : « les transferts de fonds selon les données de la balance de paiement du Fonds monétaire international (FMI), s’élevaient à environ un milliard USD soit 538 milliards de francs CFA en 2019 (OCDE, 2022, p85). 95 % des transferts sont orientés vers les besoins sociaux. Seulement 5 % desdits transferts sont investis pour l’entreprenariat, les activités génératrices de revenus (AGR), l’immobilier et autres ».

 

Les statistiques officielles estiment à près de 4 millions de Maliens vivant à l’étranger, principalement dans les pays d’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Sénégal, Mauritanie) et de plus en plus d’Europe (pour près d’un jeune migrant sur cinq). Cependant, ce chiffre est à prendre avec prudence car il s’agit d’une estimation fournie par la Délégation générale des Maliens de l’Extérieur, qui, à ce jour ne dispose pas de données fiables sur le nombre des Maliens à l’extérieur faute de recensement de ces derniers.

 

 

 

7, 4 % du PIB en 2017

 

L’ampleur du phénomène migratoire au Mali se caractérise d’une part par l’importance des flux migratoires et d’autre part par le volume des transferts de fonds des migrants, qui est passé de 937 millions USD en 2016 à 1059 millions USD au cours de l’année 2017. En termes de contribution à l’économie nationale, cela représenterait 7, 4 % du PIB en 2017. Même si le montant net a enregistré une diminution en 2018 (900 millions de dollars), il représentait environ 7 % du PIB.

 

Les transferts d’argent de la diaspora malienne passent par deux canaux à savoir : les envois d’argent, transitant par les circuits officiels, sous le contrôle et la surveillance de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) et les envois faits à travers des intermédiaires non officiels dont des migrants de retour au bercail.

 

Les supports utilisés pour ces flux financiers sont : le virement bancaire, les envois par les bureaux ou sociétés de transferts et les retraits de compte par l’intermédiaire de la bi-bancarisation. Les montants pris en compte, sont ceux de la balance des paiements, établie par la Bceao et le reste est obtenu avec l’appui des Partenaires Techniques et Financiers (PTF).

 

Concernant les transferts de fonds, il faut signaler que malgré un contexte économique difficile au niveau international, ils sont en augmentation d’année en années.

 

 

 

Aminata Agaly Yattara

Source: Mali Tribune

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