Il faut souligner que le taux de délinquance a explosé et que tout le monde a démissionné, laissant la régulation sociale à la seule justice. On n’a donc que le choix de réprimer. Comme disait Montesquieu : «on examine la cause de tous les relâchements, on verra qu’elle vient de l’impunité des crimes et non pas de la modération des peines». L’impunité avait trop droit de cité dans ce pays, il fallait la combattre et on est en train de gagner ce combat aussi bien dans le monde physique que dans le monde
virtuel. Par exemple aujourd’hui en Commune IV, il n’y a plus ou presque de spéculateurs fonciers. Ces délinquants qui pouvaient en toute impunité, morceler même votre titre foncier et le vendre ou vendre un seul terrain à deux, trois personnes. Ils sont pour la plupart en prison et ceux qui n’ont pas été retrouvés, ont fui le pays. Depuis, les gens sont tranquilles par ici. Dans le monde virtuel, les injures grossières de père et de mère à visage découvert sur le territoire national, c’est du passé.
Il ne reste plus que ceux qui sont à l’extérieur. Contre la plupart, il y a des mandats d’arrêts au niveau d’Interpol. Seulement, il se trouve que tant que la personne ne se présente pas dans un aéroport en vue de voyager ou qu’elle ne fait pas l’objet d’un contrôle de police, elle n’est pas interpellée car les agents ont tellement de choses à faire qu’ils ne vont pas les chercher. C’est souvent à la suite d’un banal contrôle de police qu’ils se rendent compte qu’il y a un mandat et alors ils arrêtent la personne. L’avantage est que dès qu’un mandat est envoyé à Interpol, la personne visée est tout de suite inscrite au tableau des antécédents judiciaires (TAJ) de sorte que dès qu’elle est contrôlée par la police quelque part, tout de suite elle est arrêtée.
Donc on n’est nullement pressé concernant ces gens.
Tôt ou tard ils seront arrêtés et renvoyés au pays. Aussi, ce que les gens ne disent pas à propos de la surpopulation carcérale, si la Maison centrale d’arrêt de Bamako (MCA) a été construite pour recevoir 400 personnes, c’est parce qu’à cette époque, ce n’était pas le même nombre d’habitants qu’il y a aujourd’hui dans la capitale. La population a explosé. Or, plus il y a du monde dans une ville, plus le taux de délinquance grimpe. Malgré tout, les magistrats, qui sont largement en nombre insuffisant, font de leur mieux. Par exemple, ici en Commune IV, de janvier 2022 à maintenant, on est à près de 800 mandats pour le parquet sur lesquels près de 700 ont été jugés, plus de 140 ont été relaxés,
200 ont été transférés de la MCA vers la prison de Kenièroba, les autres (plus de 200) ont purgé leurs peines et sont sortis de prison.
À ce jour, on n’a que 85 qui purgent leurs peines et un peu plus de 100 qui attendent leurs jugements. Pour vous dire que les gens sont jugés, ils sortent mais malheureusement puisqu’il n’y a pas de mesures d’accompagnement ou de réinsertion sociale, beaucoup reviennent en moins de deux mois parfois.
Et si vous regardez les statistiques au niveau de la MCA, vous verrez que plus de 70% sont des cas de vol. Il n’y a malheureusement pas d’alternative au mandat pour un voleur chez nous.
Pour le reste, il ne faut pas perdre de vue que nous sommes une société qui punit les écarts de conduite. Quand une personne commet une faute, elle n’est pardonnée qu’après avoir été sanctionnée. Ailleurs, ce n’est pas ainsi. Chaque société a ses réalités culturelles. Sinon de façon générale, la justice pénale africaine est plus efficace que la justice pénale occidentale.
Après, ils peuvent dire que l’on marche quelque peu sur les principes mais là aussi c’est une question de vue de l’esprit. Au moins, il ne peut y avoir 20 à 30 plaintes contre une seule personne sans réaction judiciaire. Cela est impossible au Mali. Ce qui est bien pourtant le cas dans certains systèmes judiciaires dits respectueux des droits et libertés individuels.
La justice est largement tributaire des réalités socio-culturelles.
Un extrait de son interview parue dans l’Essor n° 19743 du mercredi 5 octobre 2022
22 septembre