Comment mettre en lumière les maltraitances et les graves violations des travailleuses domestiques dans les centres urbains au Mali, telle est l’ambition que se fixent plusieurs organisations regroupées au sein des réseaux et cadre de concertation pour mieux défendre leurs intérêts.
Coïncidence ou non avec la célébration de la Journée internationale de la jeune fille, près d’une quinzaine d’Organisations des sociétés civiles (OSC) nationales et internationales, des centrales syndicales et des Partenaires techniques et financiers (PTF) se sont rencontrés, en octobre, à Bamako, pour mutualiser leurs efforts pour mieux défendre les travailleuses domestiques, communément appelées Aides familiales (AF). L’objectif du regroupement, selon les leaders, est de contribuer significativement à une prise de conscience individuelle et collective sur le respect des droits aides familiales en tant que personne humaine et en tant que travailleur comme x ou y avec des droits et des devoirs.
Selon une responsable du cadre, non moins présidente de l’Association pour la défense des droits des ménagères et domestiques (ADDAD), elle-même une ancienne aide familiale, les raisons qui poussent les employeurs à violer impunément les droits des domestiques sont à rechercher dans l’inorganisation du secteur qui échappe complètement au contrôle du ministère de de l’Entreprenariat national, de l’emploi et de la formation professionnelle mais également de la vulnérabilité des travailleuses domestiques qui sont pour la plupart des saisonnières.
Voici par exemple l’histoire atypique de A.S. Originaire de la commune de Ouélessébougou, d’une famille particulièrement aisée d’un village, qui tombe malencontreusement dans les travers du travail domestique. Comment A.S s’est-elle retrouvée dans cet engrenage, alors qu’elle était prédestinée à un brillant avenir scolaire si l’oncle paternel n’avait accepté sa cola de mariage alors qu’elle venait juste d’avoir seize (16) ans. Jeune fille brillante, première de sa classe, elle a été contrainte d’arrêter prématurément les études durant les vacances scolaires. Les vacances sont généralement les moments propices pour ce genre de mariage, car écarte toute éventualité ou velléité de négociation ou de report.
Les enseignants, les directeurs d’école qui sont considérés comme les personnes qui peuvent avoir une influence sur leur décision n’étant pas présents au moment les grandes vacances, la voie est désormais libre pour mettre en pratique leur plan machiavélique. Ainsi, par la force des choses, la jeune fille et sa maman n’ayant aucun moyen pour constituer le trousseau de la future épouse ne voient d’autres solutions que d’envoyer dans l’immédiat la fille en exode dans une grande ville pour subvenir à ce besoin urgent au risque d’être humiliée ou stigmatisée dans la famille comme la femme n’ayant pas pu conséquemment constituer le trousseau de sa fille.
Voilà ce schéma, il est classique et 70% des cas d’exode de filles se retrouvent dans ce cas de figure. C’est pourquoi les frontières entre mariage d’enfant, déscolarisation des filles et exode sont vraiment étroites et intimement liées. Parce que les causes de l’un sont les conséquences de l’autre et les conséquences de l’un sont les causes de l’autre. C’est ce triptyque qui plombe le cursus scolaire de bon nombre de jeunes filles en milieu rural. Elles sont obligées d’abandonner les bancs sans le vouloir pour faire l’aide-ménagère ou la domestique pour sauver l’honneur de leurs mamans. Ce n’est donc pas de gaité de cœur si ces jeunes filles se retrouvent à Bamako ou ailleurs pour trouver un petit revenu leur permettant de constituer leur trousseau.
Une fois en ville, elles peuvent facilement tomber dans les mailles des réseaux mafieux qui peuvent les exploiter sur tous les plans, entre autres exploitation non- paiement des salaires et à temps, violences physiques et psychologiques: les insultes, abus sexuels, mensonges, injustices, emprisonnements arbitraires. Ce tableau n’est pas exhaustif. Obnubilées sinon hantées qu’elles sont par la recherche effrénée de ce trousseau de malheur, elles deviennent une proie une cible idéale pour certains employeurs sans vergogne qui souvent les traitent comme de vulgaires opportunistes.
C’est, là tout le sens des nombreux réseaux, ONG et Associations de protection des droits des jeunes filles domestiques et migrantes qui trouvent leurs raisons d’être, compte tenu des innombrables cas de violations dont elles font l’objet en longueur de journée dans les grands centres.
Selon un rapport de la Banque mondiale «ton paradis, mon enfer», je cite «chaque famille de la capitale Bamako dispose d’une ou des aides-ménagères» pour une ville d’environ trois millions d’habitants le calcul est facile.
Malgré les énormes efforts déployés par les organisations et associations pour la protection et la défense des droits humains, cette situation reste inquiétante.
Pour mesurer l’ampleur de ces violations et contribuer à la protection des droits des aides domestiques, le Centre de recherche et d’action sur les droits économiques sociaux et culturel, en collaboration avec ADDADE Mali et d’autres acteurs concernés, a entrepris en 2021 une étude sur la situation dans la capitale malienne.
Le rapport fait état de la précarité chronique que subissent les travailleuses domestiques. Très souvent, des jeunes filles baignent dans un environnement de travail informel ou leurs droits et libertés sont systématiquement violés par les employeurs.
L’étude a permis de mettre en exergue de graves manquements à l’application des règles du travail comme la Convention 189 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et des violations des droits et libertés des travailleuses domestiques dont la grande majorité est âgée entre 15-25 ans (64,7%) et entre 12-15 ans (31,37%). Aucune de ces filles interrogées ne dispose de contrat écrit, ni n’est déclarée aux organismes de sécurité sociale ou de contrôle.
Le caractère informel du secteur expose les travailleuses domestiques à des conditions de vie et de travail difficiles au sein du domicile de sécurité du lieu de travail, traitements dégradants. Malgré la surcharge de travail, le salaire payé par les employeurs est très en deçà du salaire minimum garanti. L’étude a aussi démontré que 93,5% des travailleuses domestiques perçoivent moins de 27 000 F CFA.
Après les révélations de cette étude, il devient alors urgent et impérieux d’organiser et de professionnaliser le secteur car elle est une niche d’emploi à explorer par le pays qui peut résorber le chômage. La réticence de la plupart des jeunes à s’engager dans ce secteur réside dans son inorganisation. Dès lors que la purge sera faite dans le secteur, les jeunes s’engageront car un adage dit: «il n’y a pas de sots métiers, il n’y a que de sottes gens».
B.S
Inter de Bamako