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Mohamed Bazoum, Président de la République du Niger : « La télécommande est entre nos mains, pas entre celles de la France »

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Mohamed Bazoum, ici en 2016, a été désigné comme le candidat du PNDS pour la présidentielle 2021 au Niger.

 

Président du Niger depuis avril 2021, Mohamed Bazoum est l’un des derniers chefs d’Etat au Sahel à ne pas être arrivé au pouvoir par un coup d’Etat. Il est aussi l’un des meilleurs alliés de Paris dans cette région. Il se considère comme soutenu par la France et non soumis à elle dans la lutte contre les jihadistes au Sahel. Dans un entretien au « Monde », le Chef de l’Etat nigérien estime que son pays est « dans une dynamique de contrôle » face aux jihadistes.

 

Depuis son départ du Mali, l’armée française s’est en partie redéployée au Niger. Comment jugez-vous la collaboration qui s’est mise en place avec vos soldats ?

 

Mohamed Bazoum : Nous menons des opérations à notre frontière avec le Mali qui se passent dans d’excellentes conditions. C’est vrai que nous ne sommes pas dans un contexte de belligérance très forte, mais le service est assuré de façon tout à fait satisfaisante. Des patrouilles sont menées ensemble, avec l’utilisation des moyens des uns et des autres et, quand nous avons besoin de moyens que nous n’avons pas, en particulier aériens, c’est la France qui nous soutient.

 

L’efficacité de leur action n’est-elle pas limitée par le fait que vous ne pouvez plus mener des opérations transfrontalières au Mali, où peuvent se replier les djihadistes ?

 

Oui, bien sûr, mais nous respectons la frontière du Mali. L’idéal aurait été que nous soyons dans des conditions de coopération opérationnelle avec tous nos voisins. C’est ce que nous nous efforçons de faire avec les Burkinabés. Ils ont quelques soucis pour le moment mais, dès qu’ils seront prêts, nous reprendrons les opérations conjointes. Ce n’est malheureusement pas le cas pour le moment avec le Mali, avec lequel nous n’avons plus de relations militaires.

 

Ne craignez-vous pas que le redéploiement de l’armée française au Niger exacerbe le sentiment antifrançais qui s’exprime chez vous comme ailleurs dans la région ?

 

Quand nous éliminons seize terroristes le 11 novembre, en quoi cela pourrait-il provoquer un sentiment contre les Français ? Bien au contraire. Nous avons une petite opinion à Niamey, qui s’exprime par moments mais qui ne mobilise guère les foules. En ce qui concerne l’ensemble du Niger, je n’ai pas l’impression d’avoir affaire à un sentiment antifrançais d’envergure. Si c’était le cas, j’aurais été bien plus prudent. J’ai été élu, mon parti fait face à des élections tous les cinq ans et nous ne ferons jamais rien qui soit de nature à nous mettre en porte-à-faux avec notre opinion.

 

Vous avez annoncé des négociations avec des groupes djihadistes. La présence de l’armée française au Niger n’hypothèque-t-elle pas ces discussions ?

 

Non, pas du tout. Nous avons la télécommande entre nos mains. Elle n’est pas dans celles de la France. C’est grâce à ces discussions que nous avons une relative accalmie dans la zone d’Abala, dans la région de Tillaberi et dans certains endroits proches de la frontière avec le Burkina Faso. Nous sommes dans une dynamique que nous contrôlons.

 

Une bonne partie de vos voisins, le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, sont aujourd’hui dirigés par des militaires. Vous avez échappé à une tentative de coup d’Etat avant votre prestation de serment. Redoutez-vous un effet domino ?

 

Nous ne le craignons pas, parce que nous avons des situations totalement différentes. La tentative de coup d’Etat au Niger ne pouvait pas se justifier par le fait que nous avons été incapables de faire face à l’insécurité générée par l’existence de groupes terroristes à nos frontières. Les raisons avaient à voir avec l’élection présidentielle. Certains dans l’armée pensaient alors pouvoir usurper le pouvoir par la force, mais je crois que leurs échecs successifs ont fait que dans notre armée, plus personne ne songe à ce genre d’aventure.

 

Comment analysez-vous le recul des valeurs démocratiques sur le continent africain ?

 

J’ai des grandes ambitions pour mon pays

 

Le continent africain n’est pas un isolat. Il y a aujourd’hui un reflux des valeurs démocratiques et une montée en puissance de forces libérales aux Etats-Unis, en Europe et à une échelle encore plus importante en Afrique. En Afrique, malheureusement, ce phénomène international coïncide aussi, pour certains pays, avec le moment de l’évaluation de l’expérience démocratique, qui a duré à peu près trente années. Il y a eu tant de régimes incompétents qui se réclamaient de la démocratie. Il y a eu tant de pratiques de mauvaise gouvernance que, dans un contexte international marqué par la montée en puissance des idées non démocratiques, des militaires peuvent vouloir venir prendre le pouvoir impunément et mettre les pays dans des situations d’impasse terrible.

 

Craignez-vous que la guerre en Ukraine détourne les Occidentaux de la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel ?

 

Je n’ai pas cette crainte, parce que je n’ai pas l’impression, à part la France, que les pays occidentaux mettent beaucoup de moyens dans le combat contre le jihadisme en Afrique.

 

Vous insistez sur la nécessité de développer votre économie comme meilleur moyen de lutter contre la tentation djihadiste. Vous organisez, du 20 au 25 novembre à Niamey, un sommet de l’Union africaine sur l’industrialisation. Comment faire en sorte que cette ambition se concrétise ?

 

Cela peut être en effet une grande messe de plus avec beaucoup d’incantations qui ne sont pas suivies d’effets. Cela ne doit pas pour autant nous empêcher de nous réunir sur ce thème. En Afrique. Nous devons ouvrir les yeux sur ce qui s’est passé avec la Covid-19 et ce qui est en train de se passer avec la guerre en Ukraine. Nous avons compris que nous sommes dépendants pour trop de choses, même pour notre alimentation alors même que nous avons un potentiel particulièrement important, notamment dans le domaine agricole. Il est urgent que nous réfléchissions ensemble et que nous mettions en œuvre des politiques qui nous permettent justement de ne plus subir les effets de ce qui peut se passer ailleurs.

 

Selon vous, l’Afrique doit pouvoir utiliser ses richesses en hydrocarbures pour son développement. Est-ce que les pressions des pays du nord pour réduire le réchauffement climatique pourraient élargir la fracture nord-sud ?

 

Sur ce débat, nos partenaires des pays développés n’ont pas conscience qu’ils nous font des propositions qui ne sauraient nous convenir. Nous aurions pu les écouter si, et seulement si, le capital nécessaire pour la promotion des énergies renouvelables était à notre portée. On nous dit qu’investir dans les énergies fossiles ne sera pas rentable d’ici à quelques années parce qu’elles vont produire une électricité qui ne sera pas vendable. Nous sommes d’accord, mais alors il faut convaincre le secteur privé des pays industrialisés, les Etats, les banques internationales de développement, de s’entendre pour faire en sorte que nous disposions de capitaux nous permettant d’investir dans les énergies renouvelables. Puisque ce n’est pas le cas, nous ne pouvons que recourir aux énergies fossiles.

 

Nous devons répondre à nos besoins aujourd’hui, pas d’ici à dix ans ou quinze ans. J’ai de grandes ambitions pour mon pays. Je veux investir dans l’éducation, l’agriculture, mais comment le ferais-je si je ne dispose pas du minimum de ressources nécessaires, que je ne peux avoir que si je vends du pétrole ?

 

Je vais vendre du pétrole en 2023 et je vais accroitre les quantités de pétrole que je dois vendre. Tant que c’est la seule ressource que j’ai pour promouvoir le développement de mon pays, j’y aurai recours. Après, Dieu reconnaitra les siens.

 

Propos recueillis par Cyril Bensimon (Djerba, Tunisie, envoyé spécial)

 

Source: Le Challenger

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