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Respect des libertés et des droits de l’homme : Bouaré, sans langue de bois

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La rubrique ‘’La Grande interview du mois’’ de Ziré, votre hebdomadaire préféré d’analyses, d’enquêtes et d’informations générales, reçoit ce mois M. Aguibou Bouaré, président de la Commission nationale des Droits de l’Homme (CNDH). Dans cet entretien à bâton rompu, M. Aguibou Bouaré parle des missions de la CNDH ; des violations des droits de l’homme au Mali et invite les autorités nationales à protéger les défenseurs des droits de l’homme dans leurs missions. C’est une interview exclusive, réalisée en partenariat avec le site d’informations générales, ‘’www.afrikinfos-mali.com’’. Lisez plutôt !

 

Ziré : Monsieur le président, présentez-vous à nos chers lecteurs !

 

 

Aguibou Bouaré: Je m’appelle Aguibou Bouaré, je suis le président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH).

 

Ziré : Parlez-nous à présent de la CNDH, notamment ses rôles et missions !

Aguibou Bouaré : La Commission nationale des Droits de l’Homme est une autorité administrative indépendante, créée par la loi 2016/036 du 07 juillet 2016. Elle a différentes missions qui lui sont assignées par sa loi de création. Elle a notamment pour mission de promotion et de protection des droits de l’homme.

 

La Commission nationale des Droits de l’Homme est également, le mécanisme national de la prévention de la torture. Dans d’autres pays, ce sont deux institutions différentes. Il y a l’institution nationale des Droits de l’Homme d’un côté et il y a le mécanisme de prévention de la torture de l’autre. Mais au Mali, on a fusionné les deux, c’est donc la Commission nationale des Droits de l’Homme qui représente ces deux institutions.

 

Dans ce cadre, on est investi de la mission de protection. A ce titre, nous recevons des plaintes individuelles et collectives relatives à des allégations de violations de droits de l’homme. La loi 2016/036 du 07 juillet 2016 nous recommande de mener des enquêtes, des investigations pour établir la véracité des faits et puis de tout faire pour mettre fin aux violations constatées. En plus de cela, la loi fait de nous les conseils de l’Etat en matière de droit de l’homme. Donc, nous sommes censés être l’Institution spécialisée sur la problématique des droits de l’homme, même si dans la pratique nous ne sommes pas très souvent sollicités. Donc, à ce titre, les avis que nous donnons sont des avis techniques, ce sont des recommandations avisées sur la base des instruments juridiques nationaux, régionaux et internationaux. Bref, c’est dire que, ce que nous posons comme acte n’est pas le fruit de nos réflexions personnelles, mais résulte des engagements du Mali, à commencer même par la Constitution du pays.

 

 

Au titre de la promotion des droits de l’homme, nous sommes chargés de former, d’informer, de sensibiliser et de communiquer sur tout ce qui est droits de l’homme. C’est pour dire que même cette interview est aussi une opportunité que vous avez offerte à la CNDH. L’objectif, c’est d’instituer une culture des droits de l’homme au Mali. Parce que vous vous rendrez compte que la majorité de la population n’a pas encore compris ce que c’est que le droit de l’homme.

 

Dans la plupart des cas, quand on parle de droits de l’homme, les gens parlent d’idées occidentales, avec notamment des chroniqueurs qui avancent des argumentaires qui ne tiennent pas la route créant la confusion. Parce qu’avec une population qui est déjà à majorité analphabète, si ceux qui ont été à l’école encore continuent d’entretenir le flou ou la confusion sur des problématiques qu’ils ne maîtrisent pas, ça ne nous facilite pas la tâche. A ce titre, nous avons commandité également des études sur des thématiques spécifiques, par exemple sur la question de l’esclavage, sur la question des violations des droits de l’homme au centre ; etc.

 

En ce qui concerne le mécanisme national de la prévention de la torture, nous sommes autorisés par la loi de faire la visite de tous les lieux de privation de liberté, notamment les maisons centrales d’arrêts ; les commissariats ; les brigades de gendarmeries, y compris la Sécurité d’Etat (S.E), même si, à ce jour, nous buttons à un mur à ce niveau, malgré tout le plaidoyer qu’on a fait auprès des différentes autorités. Donc, c’est un peu ça, notre mission. L’objectif, c’est de lutter contre la torture ; d’humaniser les conditions de détention et faire respecter les droits des personnes privées de liberté.

 

Ziré : Vous avez tantôt parlé des instruments juridiques nationaux et internationaux, dites-nous à ce niveau, quels sont les organismes nationaux et internationaux de défense de droits de l’homme avec lesquels vous collaborez ?

Aguibou Bouaré : Merci vraiment pour cette question. Il faut peut-être que même les autorités le sachent tout comme la population. C’est la loi de création de la CNDH qui lui recommande de promouvoir le partenariat avec toutes les organisations de défense de droits de l’homme, qu’elle soit nationale, régionale ou internationale. C’est écrit dans la loi et elle précise de façon très claire et nette. Hors, quand nous entretenons ces genres de rapports, les gens déduisent que nous sommes en relation avec les ennemis du Mali. Vraiment, ce sont des débats de bas niveau alors que les gens peuvent prendre la précaution de lire au moins les textes de création de la Commission pour connaître ses prérogatives et ses missions.

 

Même la Constitution du Mali proclame les sacrifices que le pays est prêt à consentir pour réaliser l’unité africaine et la coopération internationale. Ce sont des domaines sur lesquels il y a une réglementation déjà claire. Donc, la CNDH collabore avec toutes les organisations de défense des droits de l’homme qu’elle soit de la société civile, qu’elles soient des organisations non gouvernementales (ONG), qu’elles soient nationales, régionales ou internationales.

 

Ziré : Monsieur le président, revenez sur la question de violation des droits de l’homme. Quand peut-on réellement parler de violations de droits de l’homme ?

Aguibou Bouaré : On parle de violations de droit de l’homme, lorsque des atteintes ou des violations sont commises par des acteurs étatiques. Donc, la violation des droits de l’homme sont à distinguer des abus de droits de l’homme. Les abus de droits sont imputables aux acteurs non étatiques. Par exemple, les membres des mouvements armés, les terroristes, etc. Quand eux, ils perpétuent des violations de droits de l’homme, on parle d’abus de droits. Mais lorsqu’il s’agit des militaires ou des acteurs étatiques, des fonctionnaires de l’État qui commettent des exactions, là on parle de violation des droits de l’homme.

 

À côté de ces deux concepts, il y a un autre concept qu’on appelle également, les atteintes aux droits de l’homme, ce qui peut être assimilé à des infractions entre particuliers. Par exemple, lors des mouvements de contestation, lorsque les gens s’en prennent aux édifices publics, ça, ce sont des actes d’atteintes aux droits privés ou les manifestants eux-mêmes se poignardent, cela fait partie des atteintes aux droits de l’homme. Tous ces concepts méritent d’être expliqués pour une meilleure compréhension des populations.

 

Ziré : M. Aguibou Bouaré, depuis 2020, nous sommes dans un régime exceptionnel. Dites-nous, qu’en est-il du respect des droits de l’homme actuellement au Mali ?

Aguibou Bouaré : Eh bien, nous savons, avec les régimes d’exception, nous craignons les dérives. C’est le plus grand risque. Généralement, c’est pour cette raison que les gens s’en pressent de condamner, mais pour autant cela ne veut pas dire qu’un régime d’exception doit s’adonner aux violations des droits de l’homme ou doit porter atteintes aux libertés individuelles et collectives. A ce titre, nous nous pensons qu’il y a eu suffisamment d’épreuves. Le Mali a été suffisamment éprouvé par rapport aux questions des droits de l’homme. Tout n’est pas lié à la nature du régime, il y a beaucoup qui ont un rapport avec la lutte contre le terrorisme. Il y a aussi la question de l’esclavage par ascendance. Ça c’est entre les communautés.

 

Maintenant par rapport au régime actuel, il y a des menaces, il y a des alertes sur un certain nombre de libertés. Généralement même au-delà des régimes d’exception, tous les régimes ont tendance à priver les populations à la liberté d’expression, de la liberté de manifester, etc.

 

 

Je rappelle quand même, il a fallu qu’on joue notre rôle sous le régime déchu de feu Ibrahim Boubacar Keita, paix à son âme. A l’époque, on n’a pas arrêté de recommander à l’État de laisser les personnes jouir de leurs droits, de leurs libertés de manifester, de leurs libertés d’expression. On peut dire quelque part que c’est la jouissance de ces libertés et de ces droits qui a eu raison de ce régime. Donc, la rupture de l’égalité institutionnelle, on sait comment ça s’est passé. C’était suite à beaucoup de mouvements de contestations, de manifestations et d’expressions.

 

Donc, c’est dire que tout régime se doit de respecter les droits fondamentaux. Pour la simple raison que la Constitution du Mali de même que la Charte consacre les premières dispositions aux droits fondamentaux. Pour parler de la Constitution, ses vingt premiers articles sont consacrés aux droits de l’homme. La question de droit de l’homme contrairement aux clichés et aux préjugés, c’est vraiment une question d’ordre national et africain qui n’a rien avoir avec une idée occidentale ou une invention occidentale, contrairement aux mauvais commentaires.

 

Le Mali est la patrie de la Charte de Kouroukanfouga pour ne donner que cet exemple. En plus, lorsque nous nous demandons le respect de droits de la personne humaine, il s’agit des personnes qui résident au Mali, notamment sur le territoire malien, singulièrement des citoyennes et des citoyens maliens. On ne demande pas à respecter les droits d’un Français, d’un Chinois ou d’aucun étranger sur leur territoire, cela n’est pas de notre ressort. Eux, ils ont d’autres mécanismes pour assurer la protection de leurs droits. Tout ce que nous recommandons, tout ce que nous faisons comme défense des droits de l’homme, c’est par rapport aux Maliens qui résident sur le territoire malien.

 

Ziré : Vous insistez beaucoup sur les mauvaises appréciations de vos actions. Qu’est-ce que vous déplorez le plus ?

Aguibou Bouaré : Ce que nous déplorons, tout d’abord, en plus de l’insuffisance des moyens, c’est l’incompréhension de la mission d’une institution nationale des droits de l’homme. Souvent même notre mission n’est pas comprise par certaines autorités, c’est ce qui est déplorable. On le dit dans un état de droit, nul n’est censé ignorer la loi. Ce sont les lois de la République, les lois qui ont été votées par les représentants du peuple.

 

Si on se rend compte que même certaines autorités ignorent les prérogatives d’une telle institution, au point de traiter l’Institution parfois de rouler pour l’extérieur, de rouler pour les ennemis du pays, vraiment ce sont des réflexions qui sont de nature à faire révolter. Dans un pays qui se veut état de droit et à certains niveaux de responsabilités, si vous voyez les interventions, les commentaires sur des questions qui sont pourtant claires et réglementées par les lois du pays, cela est vraiment déplorable.

 

Ziré : M. le président, récemment, une femme malienne, du nom de Mme Haïdara Aminata Dicko a fait l’objet de polémique après avoir tenu un discours au nom de la société civile à l’ONU. Quelle appréciation faites-vous de cette situation ?

 

Aguibou Bouaré : À priori, l’appréciation que nous faisons est que c’est une citoyenne malienne et à ce que je sache, en plus de cela, elle a donné son opinion. A cela, il faut ajouter qu’il existe au Mali une loi qui protège les défenseurs des droits de l’homme. Hors la dame répond très clairement aux critères d’un défenseur des droits de l’homme à la lecture d’une loi 2018. Donc à ce titre, nous ne pouvons qu’estimer qu’elle est un défenseur ou une défenseuse des droits de l’homme et qu’elle est dans son rôle.

 

 

Cela rejoint un peu la question précédente, si nous voyons qu’il y a d’autres appréciations de cette intervention allant jusqu’à la haine, à la violence contre une citoyenne malienne pour la simple raison qu’elle a donné son opinion, c’est inquiétant. C’est pour cette raison que nous devons multiplier les campagnes de sensibilisation et d’information pour que tout le monde comprenne.

 

Par rapport à la question de société civile, les gens n’avaient pas compris, heureusement qu’il y a eu beaucoup d’explication ces derniers temps. Pour la société civile, personne n’est obligé de militer au sein d’une faîtière. On peut être membre de la société civile, individuellement ou à travers des associations, soit collectivement. Donc même ce critère, je pense que si on avait consulté les spécialistes, on pense qu’on allait commettre certaines erreurs. Sans juger le fond du discours de la dame, je pense que c’est une défenseuse des droits de l’homme qui mérite plutôt la protection de l’État, parce que dans la loi qui régit les défenseurs des droits de l’homme, c’est l’État qui doit les protéger dans l’exercice de leurs fonctions. Cette loi dit en plus que tous les défenseurs des droits de l’homme bénéficient d’une sorte d’immunité dans l’exercice de leurs fonctions, mais si nous entendons à gauche et à droite que c’est l’Etat même qui veut engager des poursuites contre un défenseur des droits de l’homme, cela nous nous inquiète. Donc, nous pensons que les recommandations pertinentes doivent être adressées aux autorités, pour une meilleure compréhension de la problématique des droits de l’homme et pour un meilleur respect des textes de la République.

 

Ziré : Le Mali vit une crise multiforme depuis plus d’une décennie. A-t-il connu une ou des formes de violation de droit de l’homme qu’il n’avait connue(s) auparavant ?

Aguibou Bouaré : Oui, naturellement et il y a beaucoup d’abus qui sont imputables aux groupes terroristes. Le Mali n’a pas connu ça dans son passé lointain. C’est depuis la dernière décennie que nous assistons à des cas de violations et d’abus grave des droits de l’homme et cela reste tout de même inquiétant. A cela, il faut aussi ajouter d’autres sortes de critères, tel que l’incitation à la haine, à la violence. Je touche du bois, il faut craindre la guerre civile que Dieu nous en garde.

 

C’est pour cette raison que nous sortons régulièrement ces derniers temps pour alerter, pour sensibiliser, pour expliquer afin que la population fasse beaucoup de retenue surtout sur les réseaux sociaux où vraiment on constate un usage abusif de la liberté de la parole. N’importe qui s’assoit derrière un téléphone pour inciter les gens à la haine et à la violence. Mais ce qu’ils doivent savoir, c’est que les traces de toutes ces vidéos existent. Nous avons ouvert un dossier pour documenter. Toutes ces personnes qui sont en train de commettre des infractions, d’incitation à la violence, à la haine à travers les vidéos ou les écrits, nous sommes en train de les rassembler. Le jour où la justice adviendra ce sont des éléments qu’on va sortir naturellement. L’État c’est une continuité et ce n’est pas une question d’un seul jour ou de cinq ans.

 

Ziré : Toujours en lien avec la crise, quelle est la région du Mali la plus touchée en matière de violations de droit de l’homme et pourquoi ?

Aguibou Bouaré : En plus des régions du Nord, il y a naturellement les régions du centre du Mali. Mais, au-delà de tout ça, l’insécurité commence à se propager un peu partout dans le pays. Il y a la région de Kayes qui est touchée par l’esclavage par ascendance et souvent avec des violations très graves qui peuvent même porter atteinte aux droits à la vie. Il y a eu des cas de morts, des violations consécutives à l’esclavage par ascendance.

 

Ziré : Parlant de la région de Kayes, ces dernières années des communautés de la région ont subi ou continuent de subir des pratiques esclavagistes. Quel commentaire spécifique faites-vous sur ce sujet ?

Aguibou Bouaré : Bon à ce niveau également, c’est déplorable pour un pays qui vit dans une telle crise et il se trouve qu’il y a des citoyens qui traitent d’autres citoyens d’esclaves. Je pense que cela est inadmissible. On l’a dit à plusieurs reprises et on a fait des recommandations à l’État à travers le ministère de la Justice et des Droits de l’homme, heureusement que, je salue au passage le ministre de la justice Mamoudou Kassogué et avant lui le ministre Malick Coulibaly, des actes sont en train d’être posés dans le cadre de la lutte contre ces pratiques.

 

Donc c’est tout simplement inadmissible qu’un Malien traite un autre d’esclave, qu’un noir traite un autre d’esclave alors que ces personnes sont d’ailleurs d’une communauté qui a une forte représentation au niveau de la diaspora, en occident un peu partout dans le monde et le blanc ne peut même pas avoir un regard déplacé sur eux, sinon ils crient au racisme ou à la xénophobie. Mais, ce sont eux qui viennent dans leur propre pays et qui prétendent réduire un autre Malien en esclavage. Cela n’est pas du tout possible. Des actes sont en train d’être posés comme je l’ai dit tantôt, il y a des personnes qui ont été interpellées et bientôt il y aura des Assises spéciales sur cette situation afin de situer les responsabilités et puis on est en train de relire les textes, notamment le code pénal pour insérer et criminaliser l’esclavage.

 

Ziré : Monsieur le président, récemment, un rapport de l’ONU sur le Mali a fait couler beaucoup d’encre. Vous en tant que spécialiste, dites-nous, qu’est-ce que l’on peut reprocher à ce document ?

Aguibou Bouare : Encore une fois, les rapports du Haut Commissariat de droits de l’homme ou les rapports des ONG, des Organisations de défense des droits de l’homme en général ne datent pas d’aujourd’hui, encore moins de ce régime. Dans tous les pays du monde, il y a des rapports qui sont produits sur la situation des droits de l’homme. D’ailleurs, le Mali, à travers le ministère de la Justice, est en train de préparer sa participation à l’examen périodique universel. Cet exercice se passe à Genève et ça permet à chaque pays de faire l’état des lieux en matière de droits de l’homme.

 

Donc, ce ne sont pas des choses nouvelles et puis un rapport ne veut pas dire que c’est la bible ou le coran, le contenu c’est suite à des missions d’enquêtes et d’investigations et selon des méthodologies qui sont connues. Ce n’est pas la même méthodologie que l’instruction judiciaire, c’est ce qui trompe beaucoup de personnes. Lorsqu’ils voient ces rapports, il y a certains qui crient au scandale en demandant souvent où sont les témoins, quelles sont les preuves, etc., alors que les organisations de défenseurs des droits de l’homme dans la méthodologie d’investigations sont tenues de respecter du moins de protéger leurs sources. Ne jamais révéler leurs sources, c’est à peu près comme la presse. Donc, pour rien au monde, ils ne vont révéler leurs sources.

 

 

Maintenant, si un tel rapport sort, il revient à l’État parce que d’abord avant que le rapport ne sorte, c’est toujours soumis aux autorités pour demander leur avis et leur observation et c’est après cette phase qu’un rapport définitif est produit et publié. Même à ce niveau, on peut continuer à contester en commanditant par exemple une autre enquête contradictoire, mais il faut que cette enquête soit crédible, il faut que cette commission d’enquête soit composée de personnalités indépendantes et crédibles, c’est à ce niveau que ça se joue sinon produire un rapport c’est normal, c’est d’ailleurs souhaité et souhaitable et le rapprochement de la périodicité de la production d’un rapport est lié à l’intensité de la crise. Il peut y avoir des pays où on produit deux rapports dans l’année. Mais dans un pays où il y a une crise multiforme, naturellement c’est une surveillance rapprochée. C’est pourquoi, les rapports sortent de façon régulière et rapprochée.

 

Il y a certains qui pensent que c’est un argument pour dire qu’il y a un acharnement contre le Mali, ça ne tient pas la route. Il faut que les gens viennent demander à la source les informations pour mieux comprendre les concepts.

 

Ziré : Dans votre intervention, vous avez beaucoup parlé de la protection des défenseurs de droits de l’homme. Aujourd’hui au Mali, comment percevez-vous cette protection ?

Aguibou Bouaré : Bon, en fait jusqu’à une période relativement récente, les organisations de défenseurs des droits de l’homme travaillaient de façon plus ou moins sereine. Mais, ces derniers temps avec les incitations à la haine, à la violence, on a l’impression qu’on est en train de les jeter en pâture et l’on a l’impression que l’État ne recadre presque jamais. C’est cette situation qui est inquiétante et qui est déplorable. Mais pour autant, nous ne baisseront pas les bras parce que nous sommes investis de ces missions-là par la loi et nous sommes en train de vouloir approcher les autorités pour faire le plaidoyer afin que tout le monde respecte les lois de la République. Ça c’est l’exigence d’un État de droit aussi.

 

Ziré : M. Bouaré, il y a tout juste quatre mois vous avez présenté un rapport sur le centre, et vous faites régulièrement des communiqués à l’endroit du gouvernement sur beaucoup de cas de violations de droits de l’homme. Aujourd’hui, est-ce qu’on peut dire que vos recommandations sont prises en compte ?

Aguibou Bouaré : Effectivement, notre travail a un impact certain. J’ai parlé de nos recommandations, qui sont notifiés à l’État et chaque année on fait un rapport annuel assorti des recommandations pertinentes. Et nous suivons la mise en œuvre de ces recommandations, en plus des communiqués. Les communiqués, c’est dans le sens de la prévention et nous savons que les autorités en tiennent compte parfois. Au-delà de cela, nous n’hésitons pas à demander audience auprès de tel ou tel ministre pour venir discuter des questions brûlantes de droits de l’homme. J’ai parlé des réformes du code pénal par rapport à l’esclavage, c’est le fruit un peu de nos contributions parce que nous avons sollicité cela plusieurs fois, et même par rapport à la question du droit à l’éducation, nous avons eu quelques fois à nous impliquer pour la gestion de certaines crises au niveau de l’école.

 

Les droits de la femme, naturellement on est en train de pousser pour l’adoption d’une loi qui sanctionne les violences basées sur le genre et cela avait atteint un niveau avancé mais à cause des pressions d’une certaine classe sociale nous avons été un peu bloqués. Mais pour autant, nous n’avons pas renoncé et nous allons continuer à pousser. Bref, c’est dire que le travail a un impact sur le terrain et un impact certain. Mais, on ne peut pas dire que l’idéal est atteignable en matière de droit de l’homme. Il y a toujours un idéal à poursuivre, mais qui n’est jamais atteint.

 

Ziré : M. le président, est-ce qu’on peut dire que la CNDH est vraiment indépendante dans sa mission ?

Aguibou Bouare : Ça c’est une question importante. La notion de l’indépendance, c’est le concept même crucial d’une institution nationale des droits de l’homme. Il n’y a pas qu’au Mali qu’il y a l’institution nationale des Droits de l’Homme et les critères d’appréciation d’une institution nationale des droits de l’homme, c’est-à-dire une CNDH, c’est l’indépendance dans les actions, mais surtout l’impartialité et l’objectivité.

 

Jusque-là, je crois que nous sommes à même de jouer notre participation, c’est à l’opinion d’apprécier, c’est à la communauté nationale d’apprécier. Mais au plan international, je suis convaincu que nous jouissons d’une crédibilité qui nous a valu d’être accrédité au statut “A” qui est le statut le plus élevé des institutions nationales des droits de l’homme dans le monde en matière de compétence, de crédibilité, d’impartialité, d’indépendance et d’objectivité. L’indépendance ne veut pas dire de s’opposer à son pays. L’indépendance, c’est avoir le courage de donner des conseils et d’aviser les autorités et les conseils que nous donnons sont tous assis sur les instruments juridiques. On ne se lève jamais pour aller dire ”faites ceci” sans invoquer l’existence d’une loi, d’un décret ou d’une ordonnance. Donc, c’est sur la base de ces textes que nous faisons le travail.

 

 

Malheureusement, dans nos pays ce problème se pose au niveau des institutions. Les gens oublient parfois leurs missions, ils oublient parfois leurs serments parce que, avant de commencer ce travail, nous avons prêté serment au niveau de la Cour suprême, de faire ce travail de façon indépendante, impartiale et objective. Il y a certaines de nos sorties qui sont incomprises. Les gens pensent qu’on dit le contraire de ce que le gouvernement a dit. Non, ce n’est pas ça. Nous tenons vraiment aux respects de notre serment et nous essayons de jouer notre rôle de conseil, c’est-à-dire de prévenir les violations des droits de l’homme au Mali et aux bénéfices des populations qui résident au Mali.

 

Ziré : Vous affirmez clairement qu’il n’y a pas d’ingérence politique ?

Aguibou Bouaré : Eh bien, je pense qu’il y a des tentatives détournées, mais à ce jour, il faut reconnaître et la vérité est de dire que nous n’avons pas reçu d’instructions formelles ou de menaces formelles adressées à la CNDH. Cependant, de façon informelle, il nous revient parfois que certains de nos actes ne sont pas appréciés, notamment certains de nos communiqués. Mais, nous ne faisons que notre travail en âme et conscience. Donc, jusqu’à preuve du contraire, nous tenons le cap, nous tenons à notre indépendance, à notre impartialité. Maintenant après nous, l’État pourra mettre d’autres personnes qui pourraient être manipulées. Mais, on n’en est pas encore là.

 

Ziré : M. Aguibou Bouaré, nous arrivons au terme de cet entretien. Quel est votre conseil à l’ensemble de la population malienne sur la question des droits de l’homme ?

Aguibou Bouaré : Le conseil pour moi, c’est vraiment d’inviter les populations à mieux s’intéresser à la question des droits de l’homme ; à se rendre compte de l’importance des droits de l’homme. Contrairement à beaucoup de clichés qui circulent, la tâche ne nous est pas facile d’autant plus que la majorité de la population n’est pas instruite. Mais pour autant, nous invitons les populations à s’intéresser à la question des droits de l’homme et à venir à la source aux besoins à la CNDH pour prendre des bonnes informations crédibles.

 

Encore une fois, les droits de l’homme ne sont pas une invention occidentale. Les droits de l’homme ont commencé en Afrique particulièrement au Mali avec notamment la Charte de Kouroukanfouga. En plus de cela, les droits de l’homme sont consacrés dans la Constitution malienne, les vingt premiers articles de la Constitution sont consacrés aux droits de l’homme et nous ratifions les différents traités, notamment la Charte africaine des droits de l’Homme et la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

 

Lorsque nous appelons à respecter les droits fondamentaux, c’est au Mali et ce sont les populations maliennes qui sont concernées. Il faut que chacun de nous sache que nul n’est à l’abri d’un abus. Le respect protège tout le monde. J’ai coutume de donner des exemples, pour justifier que nul n’est à l’abri de la violation de son droit. Vous prenez l’exemple sur le régime d’Ibrahim Boubacar Keita, parce que notre mandat date de cette période c’est pourquoi je donne cet exemple. Lors des manifestations du M5-RFP, il y a beaucoup de personnalités politiques et civiles qui ont été détenues arbitrairement au Camp I et nous sommes allés pour défendre leurs droits. Certains sont Premiers ministres aujourd’hui, d’autres sont ministres de la République ou sont appelés à d’autres responsabilités publiques. On ne dirait pas de nom, mais ce sont des exemples palpables.

 

Autre exemple, après la rupture de l’égalité constitutionnelle, les premiers responsables de cette transition, notamment le président Bah N’Daw et Moctar Ouane ont connu des situations de violations de leurs droits. Nous sommes sortis encore pour réclamer leurs droits. Nous ne demandons pas de les libérer, mais de suivre la procédure judiciaire. S’il leur est reproché quelque chose, d’engager des poursuites judiciaires qu’il faut.

 

Pour terminer avec les exemples, d’abord, vous savez à quel point la sécurité d’Etat est crainte. Mais, le tout premier directeur de la sécurité d’Etat, après le coup d’Etat, s’est retrouvé dans une situation de disparition forcé. Là aussi, il a fallu qu’on sorte pour réclamer que l’affaire soit judiciarisée.

 

C’est juste pour dire que nul n’est à l’abri. Que tu sois civil ou militaire ou que tu sois puissant ou faible, un jour viendra où tu peux être confronté à des situations de violations des droits de l’homme. Donc, que les gens sortent de la philosophie des droits de l’homme qui rappelle l’histoire d’autres réalités ; il s’agit des droits au sens propre du terme.

 

Entretien réalisé par Amadou KODIO et Ousmane BALLO

 

Source: Ziré

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