Le Président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme du Mali (CNDH), Aguibou Bouaré a bien voulue nous accorder une interview à bâtons rompus sur la situation des Droits de l’Homme au Mali, avec en filigrane le rapport du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies sur Mourah. Sans langue de bois, il a dressé le tableau de la situation des droits de l’Homme au Mali avant d’étayer les éléments et les objectifs d’un rapport d’enquête en droit de l’Homme. Lisez plutôt !
Le Sursaut : Veuillez-vous présenter à nos lecteurs. Aguibou Bouaré : je suis le Président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme du Mali et du Mécanisme National de Prévention de la Torture. L’Institution nationale des droits de l’Homme que je préside est créée par la loi avec les missions de protection, de promotion des droits humains et de prévention de la torture. Nous avons également la charge de protéger les défenseurs des droits de l’Homme.
La loi nous charge de conseiller l’Etat sur toutes les questions de droits de l’Homme, de lui donner des avis techniques et formuler des recommandations.
Comment se portent les Droits de l’Homme au Mali?
A.Bouaré : La situation des droits de l’Homme continue d’être préoccupante au Mali malgré certains efforts du Gouvernement. Les violations et abus des droits de l’Homme que l’on peut relever sont entre autres, les atteintes au droit à la vie et à l’intégrité physique en lien souvent avec la lutte contre le terrorisme; les atteintes aux droits à la santé, à l’éducation. Il y’a aussi, les restrictions de l’espace civique et politique, notamment les atteintes à la liberté d’expression, à la liberté de presse; nous avons enregistré de nombreux cas d’allégations d’enlèvement, de disparition forcée, de torture. La problématique de l’esclavage par ascendance persiste, certains droits des personnes privées de liberté ne sont pas respectés (droit au médecin, droit à la visite extérieure, mauvais traitements, dépassement de délai de garde à vue ou de détention provisoire…).
Au nombre des acquis, on peut noter certains efforts du département de la Justice, notamment les instructions du ministre de tutelle aux parquets pour mieux lutter contre l’esclavage par ascendance, l’organisation des assises spéciales sur les crimes en lien avec l’esclavage et les verdicts dissuasifs prononcés, l’achèvement de la prison de Kenieroba pour décongestionner un peu les autres prisons souvent surpeuplées, la relecture des codes de procédure pénale et pénal. À cela, il faut ajouter la prise en compte de l’obligation de respecter les droits de l’Homme dans les communiqués des forces de défense et de sécurité, de nombreuses formations de ces dernières en droit international humanitaire, le renforcement des équipements militaires pour mieux lutter contre le terrorisme…Qu’est-ce que vous pouvez dire sur le récent rapport du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies sur Mourah? A.Bouaré : Juste préciser tout d’abord que les droits de l’Homme sont une science enseignée et qu’il n’est pas donné à tout le monde de spéculer dans ce domaine comme cela est courant malheureusement dans notre pays maintenant.
Les droits de l’Homme tirent leur fondement des obligations nationales et des engagements internationaux du Mali ; ces engagements ont été souscrits ou ratifiés, en toute indépendance et en toute souveraineté par notre pays.
Malheureusement, de nos jours la rigueur est une denrée rare, tout le monde est expert en tout et opine sur tout ; cela est d’autant plus regrettable que l’on induit en erreur tant les populations à majorité analphabètes que les autorités.
Pour revenir au Rapport de l’ONU sur Mourah, il faut d’abord expliquer ce que c’est l’ONU. Elle est l’organisation des Nations unies dont le Mali fait partie ; elle est créée par la Charte des Nations unies ratifiée par le Mali et s’imposant donc à lui. L’ONU est composée de différents organes notamment l’assemblée Générale composée de tous les pays membres dont le Mali. Le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme est une émanation de l’assemblée générale de l’ONU; la Division des droits de l’Homme de la MINUSMA relève du Haut-Commissariat aux droits de l’homme dont le siège est à Genève. Les Maliennes et les Maliens (civils et militaires) travaillent dans les organes et les Missions similaires de l’ONU à travers le monde. C’est dire que cette Division des Droits de l’Homme opérant au sein de la MINUSMA est loin d’être une imposition occidentale tout comme la MINUSMA.
La confusion, la passion, l’émotion, l’ignorance font que les populations et certaines autorités ne comprennent pas.
De même, il est important de préciser que la MINUSMA est au Mali de par une résolution de l’ONU, ses missions sont clairement définies et elle est présente avec le consentement du Mali. Il en est de même pour les missions et attributions de la Division des Droits de l’Homme qui a produit ce rapport. La production d’un rapport est bien dans les missions de cet organe et ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il produit un Rapport sur la situation des droits de l’Homme. Pour rappel, il y a eu le rapport sur Bounty qui avait épinglé les Forces Barkhane de la France, à l’époque le gouvernement était du même avis que Barkhane pour contester ce rapport.
En son temps, en vertu de notre indépendance, de notre impartialité, de notre objectivité, nous avons recommandé la mise en place d’une commission d’enquête indépendante.
Cette fois-ci également, c’est notre position à partir du moment où une divergence ou contestation apparaît.
Pour éclairer la lanterne des uns et des autres, il faut rappeler que les méthodologies en matière d’enquêtes en droit de l’homme sont connues, enseignées, certifiées. Donc l’on ne peut pas avec légèreté remettre en cause avec des arguments du genre “l’usage du conditionnel, les témoignages etc.”
Pour ceux qui ont un minimum de connaissance dans ce domaine, ils savent que l’on ne peut utiliser que le conditionnel par ce que tant qu’une personne n’est pas jugée et condamnée, elle jouit de la présomption d’innocence même après son inculpation, à fortiori dans un rapport d’enquête.
De plus, le témoignage est bien un mode de preuve y compris devant la justice, on parle de preuve testimoniale. Je comprends que c’est par ignorance que beaucoup de personnes spéculent.Pour autant, je ne suis pas en mesure ni de confirmer ni d’infirmer le contenu d’un rapport dont je ne suis pas l’auteur. Lorsque je décide de rejeter, la rigueur et le professionnalisme m’imposent de produire un autre rapport avec les garanties de crédibilité, d’indépendance et d’impartialité.
Alors, en ma qualité de conseil de l’Etat ayant prêté serment de m’acquitter de ma fonction avec impartialité, indépendance et objectivité, je reste convaincu que l’Etat du Mali attend mieux de moi que des invectives, des injures, des spéculations politico- philosophiques comme si l’on était sur un terrain de propagande politique.
Par ailleurs, contrairement à certaines spéculations, nous n’en sommes pas à la phase de la CPI; un rapport doit donner lieu à la saisine de la justice pour les investigations judiciaires et la compétence est celle des juridictions nationales; c’est lorsque les juridictions nationales ne peuvent ou ne sont outillées pour juger que la compétence des juridictions internationales est invoquée en vertu du principe de la complémentarité.
C’est cela l’avis technique ; je ne suis pas sûr que les invectives, les spéculations politiques aient un impact sur le cours des enquêtes en matière de violations ou d’abus des droits de l’Homme. « La justice internationale a la mémoire longue », disait l’autre.
Je tiens à informer que les objectifs d’un rapport d’enquête en droit de l’homme n’est rien d’autre que l’établissement des faits, l’identification des présumés auteurs et la lutte contre l’impunité.
A contrario, l’objectif n’est pas d’incriminer toute l’armée encore moins jeter le discrédit sur tout un pays. Seuls les éléments qui seraient coupables des violations allégées et leurs complices et commanditaires répondront de leurs actes.
Quelle est la doléance qui vous tient à cœur aujourd’hui, à formuler auprès des Hautes Autorités du pays?
A.Bouaré : Juste rappeler notre recommandation de mise en place d’une commission d’enquête indépendante et réitérer mon soutien aux Forces de défense et de sécurité dans le combat noble contre le terrorisme mais dans le strict respect des droits de l’Homme et du droit international humanitaire.
A rappeler que l’Etat a l’obligation de respecter et faire respecter les droits et les biens de toute personne résidant sur le territoire malien. Nul n’est à l’abri de la violation de ses droits.
Que Dieu bénisse le Mali !
Interwiew réalisée par Fatoumata Coulibaly
Source: Le Sursaut