Salve d’interpellations suivies de gardes à vue illimitées, dénonciations et connexions gênantes au sommet, désaveux de la tutelle par la justice, etc. Après deux semaines d’enquêtes et de ballet inédit au Pôle économique et financier, le dossier spectaculaire des groupes électrogènes et du carburant d’EDM-S.A aura probablement détourné les regards de l’essentiel sans le dénouement attendu. Une énième prolongation des gardes à vue est intervenue, ce week-end, plongeant l’affaire dans une nouvelle vague d’incertitudes et d’énigmes avant la comparution annoncée de nombreux responsables devant la Cour suprême. On y dénombre l’ancien ministre de l’Energie, Lamine Seydou Traoré, dont l’interpellation est sans doute à l’origine de l’enchevêtrement. C’est son audition, en tout cas, qui semble avoir ouvert la boîte de Pandore en entraînant les enquêtes préliminaires dans une surprenante bousculade de responsables au portillon du Pôle économique et financier. En plus des membres du Conseil d’administration d’EDM au grand complet, la vague n’a épargné même le ministre des Finances en fonction, que les enquêteurs ont entendu en vertu de l’article 604 du code de procédure pénale. Celui-ci dispose, en effet, que les dépositions des membres du gouvernement en exercice, à défaut d’une autorisation expresse par décret pris en conseil des ministres, peut se faire en déplaçant le dispositif de son audition à domicile. Pour le ministre Alfouseini Sanou, des informations concordantes font état d’un interrogatoire effectué à l’Hôtel des Finances sans toutefois permettre de démêler l’écheveau sur le sulfureux marché des groupes électrogènes. Les enquêteurs, selon nos sources, restent sans réponse adéquate sur les conditions de décaissement d’environ quatre (4) des six (6) milliards de francs CFA consentis pour l’acquisition d’une trentaine environ d’engins destinés à faire passer la période de pointe en 2023. Des indiscrétions et déballages il ressort, en revanche, qu’une première livraison de 13 groupes défectueux a été entièrement remplacée par le fournisseur, lequel confie n’avoir été réglé que pour une avance d’1,8 milliards de francs CFA. Et pourtant, selon certains documents abondamment diffusés sur les modalités de son deal avec EDM SA, les paiements étaient censés respecter une périodicité trimestrielle sur neuf (9) de l’année écoulée. Par qui et dans quelle poche a alors atterri la manne en souffrance s’il se trouve qu’elle a été réellement mobilisée ? L’énigme reste intacte surtout qu’il ressort de l’ébruitement de procès-verbaux de réunion que les ficelles du nébuleux marché étaient tirées depuis la présidence de la République. D’où les présomptions d’un blocage que beaucoup attribuent aux tournures d’un dossier gênant pour les autorités pour au moins deux raisons apparentes : le malaise du cas Lamine Seydou Traoré dont l’audition a dû provoquer des descentes impressionnantes du ministre de la Défense dans les locaux du Pôle, puis le coup asséné à la sincérité de la croisade anti-corruption d’autant que les personnes impliquées sont toutes des émanations du pouvoir actuel.
La Transition paraît également gênée aux entournures par la faible teneur des dénonciations accablantes en rapport avec les 59 citernes prétendument détournées de leurs destinations. Après une brève accalmie, la puissante détonation provoquée par l’arrestation de camionneurs a en effet rejailli au Pôle par l’interpellation de plusieurs personnalités dont l’ancienne cheffe du Bureau des Produits Pétroliers. En dépit d’une grogne latente de ses collègues contre l’inconsistance des faits retenus contre la personne, la garde à vue de la douanière Saran Diakité a été prolongée en même temps que celle des autres, même si nos sources indiquent qu’elle ne figure pas au nombre des personnalités attendues aujourd’hui lundi à la Cour suprême. Et pour cause : le dossier du vol massif d’hydrocarbures, est manifestement dénué de toute consistance, à en croire une source bien introduite selon laquelle les enquêtes ont conclu pour les 59 citernes que les livraisons de la période sous contrôle sont intégralement arrivées à leurs destinations respectives. Il s’agit, selon la même source, de 78 cargaisons de carburant entièrement réceptionnées dans les différentes centrales d’EDM. Cette cinglante dissonance entre les enquêteurs et l’autorité politique décrédibilise manifestement la thèse du détournement des citernes sur la tutelle d’EDM ainsi que le département de la justice ont défendu mordicus. En dépit de l’absence criante d’indices concordants sur la consistance de ses dénonciations accablantes, les services et rabatteurs de la ministre Bintou Camara, vraisemblablement à dessein, auront persisté à entretenir dans l’opinion les suspicions d’un vol qui s’est révélé imaginaire. Une posture digne d’un mensonge d’Etat à laquelle le département de la justice s’est montré solidaire en la confortant à coups d’assurances sur la pertinence des accusations de la tutelle d’EDM SA. Le ministre Kassogué en personne est en effet monté au créneau, dans le sillage de son passage sur les canaux télévisuels d’Etat, pour tenter de sauver la face de sa collègue en diluant le dossier des 59 citernes fictifs dans une autre affaire de régularisation par des fournisseurs.
Mais il paraît évident, au résultat, que le grand vacarme savamment entretenu n’aura servi qu’à masquer une défaite devant les défis structurels de la crise énergétique par ses manifestations conjoncturelles.
A KEÏTA
Le Témoin