Malgré des efforts institutionnels louables pour redorer son blason, la Justice a toujours du mal à faire l’unanimité auprès des justiciables quant à ses décisions. L’équilibre de la balance est toujours remis en cause. La récente grève (6-10 juin 2024) du Syndicat national des banques, assurances, microfinance, établissements financiers, entreprises pétrolières et commerces du Mali (SYNABEF), suite à l’incarcération de son secrétaire général (et secrétaire général adjoint de l’Union nationale des travailleurs du Mali/UNTM), a relancé le débat sur la crédibilité et l’indépendance de notre Justice !
Le Secrétaire général du Syndicat national des banques, assurances, microfinance, établissements financiers, entreprises pétrolières et commerces du Mali (SYNABEF) et secrétaire général adjoint de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), Hamadoun Bah, s’est retrouvé en prison suite à une plainte d’un tiers (un autre syndicaliste). Une plainte faite au Pôle économique et financier qui a aussitôt émis un mandat de dépôt. «Comment un problème syndical s’est-il retrouvé au Pôle économique alors qu’il n’y a aucune information financière» ? C’est la question que beaucoup d’observateurs se sont posés.
Pour certains experts juridiques, le pôle aurait dû se dessaisir de la plainte puisque d’autres juridictions sont mieux indiquées pour ce genre de conflit. Pour d’autres, «cette affaire pouvait être réglée au plan administratif par la justice ou le ministère du travail»! Et il se trouve que le syndicaliste embastillé s’était illustré dans une vidéo qui a fait le buzz par une dénonciation (pourtant pertinente) de certaines pratiques qui ne peuvent que ternir davantage l’image de la magistrature. Il y dénonce les arrestations et les incarcérations utilisées par certains «juges véreux» comme un moyen de chantage. Une «attaque» que les magistrats n’ont visiblement pas digéré et attendaient l’occasion de le lui faire payer. Cette plainte est donc tombée comme du pain béni. Le hic, elle avait été retirée le jour où le procureur du Pôle économique a émis le mandat de dépôt contre Hamadoun Bah. Difficile alors de donner tort au Synabef et à l’UNTM, dont les responsables crient au règlement de compte.
Malheureusement les secteurs des banques, assurances, microfinance, commerces et entreprises pétrolières ont été paralysés pendant quatre jours (6 au 10 juin 2024) par «l’arrêt immédiat du travail» aussitôt décrété par une réunion extraordinaire du Bureau exécutif du Synabef. Un coup dur pour une économie déjà à l’agonie suite à de longs et pénibles mois de crises sanitaires et aujourd’hui énergétique. Après 4 jours de grève et de pression, la justice a finalement libéré le Secrétaire général du Synabef sans que l’action publique contre lui ne soit pour autant éteinte. Cette affaire a en tout cas relancé le débat sur la crédibilité et l’indépendance de notre Justice !
«L’indépendance du juge n’est pas dans les textes, mais dans la valeur morale de la magistrat lui-même, dans sa probité, dans sa compétence, dans sa conscience professionnelle… Il cesse vraiment d’être indépendant le jour où il prend l’argent de la corruption…», conseillait aux magistrats le regretté président Modibo Kéita. «L’indépendance de la magistrature ne se décrète pas, elle ne vaut que par la conscience individuelle de chaque juge, que par l’idée qu’il se fait de sa propre liberté et de sa dignité d’homme face à l’histoire», a une fois déclaré feu Mamadou El Béchir Gologo, compagnon de lutte de Modibo Kéita. «Nous avons un peuple admirable, capable d’accepter tous les sacrifices pourvu que ceux-ci soient équitablement répartis. Ce qui peut le décourager, le démobiliser, le révolter, c’est l’injustice…», avait aussi précisé le père de l’indépendance du Mali.
Facteur de stabilité et de développement d’une nation
Il est évident que la justice a un rôle primordial à jouer dans la stabilité et le développement d’un pays si elle parvient réellement à s’ériger en vrai rempart contre la corruption, la délinquance financière, l’impunité… Ce qui fait de son renouveau un axe stratégique important de la refondation en cours dans notre pays depuis mai 2021. En la matière, force est de reconnaître que des efforts louables sont consentis au niveau institutionnel. Et ceux-ci commencent à porter leurs fruits. La preuve est la «cérémonie historique» qui s’est déroulée le 20 mai 2024 et que des observateurs considèrent comme «un tournant décisif» dans l’histoire de la justice malienne. Il s’agit de la remise officielle des rapports annuels d’activités 2022 et 2023 de tous les services centraux et assimilés du ministère de la Justice et des Droits de l’Homme. Elle symbolise, aux yeux de beaucoup d’observateurs, l’engagement du gouvernement à instaurer «une justice plus transparente, responsable et efficace au service du peuple».
Comme l’a souligné le Secrétaire général du département, Dr. Boubacar Sidiki Diarrah, cet événement marque «l’avènement d’une nouvelle ère de transparence et de responsabilité» au sein de la justice malienne. A ce titre, au-delà des chiffres et des statistiques, ces rapports témoignent de la volonté des acteurs de la justice de rompre avec les pratiques du passé en instaurant «une culture de résultats au sein du système judiciaire».
«Notre mission est noble et notre responsabilité immense… Nous devons continuer à œuvrer pour une justice juste, équitable et accessible à tous», a martelé le ministre Mamoudou Kassogué à la cérémonie du 20 mai 2024. En effet, pour totalement redorer son blason, tous les acteurs de la justice doivent être aujourd’hui conscients de la nécessité de lui permettre de jouer pleinement ses trois missions essentielles consistant à protéger, décider et sanctionner. Autrement, afin de préserver la vie en société, la justice protège les citoyens, arbitre les conflits et sanctionne les comportements interdits.
De nos jours, ils sont nombreux les Maliens qui souhaitent que la justice cesse de se mettre au service d’intérêts particuliers. Il y va de sa crédibilité. Et comme le leur demandait le regretté président Modibo Kéita, nos magistrats doivent toujours agir en sorte que «tous ceux qui sortiront du Palais de justice après une sentence disent : justice a été rendue» ! Certes qu’un verdict ne fera que très rarement l’unanimité. Mais, être déjà accepté par une grande majorité serait un bon point pour la crédibilité du juge et, par ricochet, peut rehausser l’image de la justice.
Moussa Bolly
Le Matin