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Escalade des tensions régionales : redonner à la diplomatie malienne sa juste place

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Entre crise ouverte avec l’Algérie et tensions passées avec la Côte d’Ivoire, le Mali accumule les contentieux diplomatiques. Si les raisons diffèrent, le constat reste le même : l’outil diplomatique, censé prévenir et apaiser, peine à jouer pleinement son rôle. Dans un contexte régional fragile, le silence ou l’effacement des canaux de dialogue interroge.

 

Dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2025, l’armée algérienne annonce avoir abattu un drone militaire, accusé d’avoir violé son espace aérien. Le Mali conteste cette version, affirmant que l’appareil opérait dans ses propres frontières.

 

En quelques jours, les ambassadeurs sont rappelés, les contacts suspendus, les tensions cristallisées. Une nouvelle crise s’installe, alimentée par des différends anciens autour du rôle de l’Algérie dans le processus de paix malien, et d’une souveraineté de plus en plus affirmée par Bamako au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES).

 

Cette rupture ne se limite pas aux chancelleries. Elle affecte aussi, de manière diffuse, des centaines de ressortissants, des commerçants transfrontaliers, des étudiants en programme d’échange ou des familles binationales, soudain plongés dans l’incertitude. La diplomatie, en retrait, ne joue plus pleinement son rôle de passerelle.

 

En juillet 2022, le Mali vivait déjà une autre impasse diplomatique, cette fois avec la Côte d’Ivoire. L’arrestation de 49 soldats ivoiriens à l’aéroport de Bamako avait provoqué une onde de choc dans la région. La crise dure six mois, ponctuée de déclarations fermes, d’incompréhensions tenaces, avant que le Togo ne parvienne à obtenir leur libération. L’épisode laisse des traces durables dans les relations bilatérales et dans la perception du Mali comme partenaire diplomatique.

 

Ces deux affaires, bien que distinctes, révèlent une tendance selon laquelle les mécanismes classiques de dialogue semblent de plus en plus contournés, voire neutralisés. Et pourtant, dans d’autres contextes, la diplomatie a su démontrer qu’elle restait un levier décisif de sortie de crise.

 

 

 

En 2018, l’Éthiopie et l’Érythrée, après deux décennies d’hostilité silencieuse, ont signé un traité de paix historique, grâce à une volonté politique affirmée et au soutien discret de l’Union africaine. Cette même année, les deux Corées, séparées par une frontière surmilitarisée et des décennies de méfiance, ont engagé un rapprochement diplomatique inédit.

 

En 2020, les Accords d’Abraham ont permis à plusieurs États arabes de normaliser leurs relations avec Israël, brisant un statu quo diplomatique vieux de plusieurs générations. Même dans des contextes asymétriques ou fragiles, la diplomatie a montré qu’elle pouvait ouvrir des brèches.

 

Ces expériences partagent un point commun démontrant une stratégie patiente, souvent discrète, portée par des diplomates aguerris et soutenue au plus haut niveau de l’État. À l’inverse, dans le Sahel actuel, la diplomatie donne souvent l’impression d’être réduite à un outil réactif, utilisé par à-coups, lorsque la crise est déjà installée.

 

Défendre ses intérêts sans rompre les ponts

 

Depuis son retrait de la CEDEAO, le Mali s’est inscrit dans une logique d’affirmation souveraine, qui a pu renforcer certaines postures de repli. Le ministère des Affaires étrangères, peu visible, peine à s’imposer dans la gestion des tensions, tandis que les ambassadeurs sont rappelés sans perspectives claires de médiation.

 

Dans un monde où les relations se nouent autant dans les salons discrets que sur les tribunes publiques, cette absence de dialogue diplomatique risque de fragiliser encore davantage la position du pays sur la scène régionale.

 

Pourtant, réinvestir dans une diplomatie forte, lucide et stratégique ne serait pas un renoncement. Ce serait au contraire un acte de souveraineté réfléchi, permettant au Mali de défendre ses intérêts sans rompre les ponts. La parole diplomatique n’est pas un luxe, c’est un outil d’influence. Elle ne remplace pas les armes, mais elle peut éviter qu’elles ne deviennent la seule option, disait un penseur.

 

Alors que le Sahel traverse une période de recomposition profonde, il est temps de redonner à la diplomatie sa juste place. Non comme une façade, mais comme un levier de stabilité et de projection. Car aucune paix durable ne se construit sans dialogue, et aucune souveraineté ne se maintient sans vision.

 

Cheick B. CISSE

Le wagadu

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