L’immeuble IPM de Kalabancoro, l’un des bâtiments loués par l’Université des Lettres et des Sciences humaines de Bamako (ULSHB), pour donner des cours à ses étudiants, est devenu trop coûteux pour l’ULSHB. Il coûte par mois 27.848.000 Fcfa, soit 334 176.000 de FCFA par an. Avec plus de dix mois d’impayés de retard, le Recteur de l’ULSHB, Pr Idrissa Soiba Traoré, a décidé de résilier le contrat avec le propriétaire de l’immeuble IPM. Mais cette mesure ne semble pas être du goût du comité Aeem de la Faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation (FSHSE) qui avait pourtant donné son avis favorable quand le rectorat a informé les différents acteurs de l’école (chefs de structures, des départements, syndicats d’enseignants et l’Aeem), le 26 février dernier. Qu’est ce qui explique la volte-face du comité Aeem de la FSHSE? Comment est venue l’idée de quitter l’IPM ? Qu’est-ce que cette démarche apportera à l’ULSHB? Les réponses sont données à ces interrogations par le Pr Idrissa Soiba Traoré dans l’interview qui suit.
Le Républicain: Quelles sont les motivations profondes qui ont poussé l’ULSHB à la rupture du contrat qui le lie avec le propriétaire de l’immeuble IPM de Kalabancoro?
Pr Idrissa Soiba Traoré : Je suis heureux de recevoir « Le Républicain » pour essayer d’éclairer la lanterne des gens par rapport à une situation qui est en train de prendre une proportion assez inquiétante, qui relève beaucoup plus de calomnie. Nous pensons que nos interventions vont permettre d’édifier les gens pour que chacun puisse retrouver la part de vérité. Il s’agit d’analyser profondément la question. Je reviens simplement que suivant le contrat de bail signé depuis l’année universitaire 2014-2015 entre l’ULSHB et le propriétaire de l’immeuble IPM sise à Kalabancoro, il y a eu d’énormes efforts qui ont été déployés par le rectorat pour faire face aux frais de location. Cette charge éducation de l’IPM s’élève à 27.848.000 FCFA par mois, toutes taxes comprises. Sinon le contrat véritable est de 23.400.000 FCFA. Mais si on ajoute les 18% des impôts, on arrive 27.848.000 FCFA. C’est ce que nous payons au promoteur de l’immeuble IPM depuis trois ans. Il s’est trouvé qu’au mois de mai dernier, nous avons eu des difficultés financières pour payer la location. Il a fallu que nous prenions deux mois d’une autre rubrique pour pouvoir payer cette charge. Nous avons appelé le promoteur de l’IPM pour lui notifier que la situation devenait intenable pour nous. On ne pouvait plus payer. Je vous avoue sincèrement que la fin de ce mois d’avril nous fera dix mois d’arrières, de crédits, d’impayés sur nous. Cela fait l’équivalent d’un montant de 278. 480.000 FCFA. C’est aujourd’hui qu’on quitte officiellement l’IPM. Et ce que l’État donne comme frais de location ne permet pas de couvrir les frais. Il nous faut aller chercher une dizaine de millions pour compléter. C’est pour vous dire, qu’à partir du mois d’avril, l’argent qui a été donné pour 2020 est fini. Et nous avons décidé de quitter l’IPM. Mais nous constatons qu’il y a des campagnes qui s’organisent contre cette initiative. Et pourtant, ce n’est pas une mesure solitaire. J’ai informé tous les chefs de services en leur expliquant les dépenses dans l’IPM, en leur montrant en termes de planification, l’impossibilité de pouvoir payer. Je me pose la question avec dix mois d’arriérés non payés, pourquoi rester ? En plus des chefs de services, nous avons informé les chefs de départements par rapport à cette nouvelle donne. Avec eux aussi, nous avons démontré les raisons de notre démarche. Ils nous ont dit que si c’est ça, ils ne peuvent pas nous dire de rester. Car si on ne peut pas payer, on quitte. Le problème c’est ça. On ne peut pas payer, donc on ne peut pas rester. C’est aussi simple que ça. Nous avons rencontré les deux syndicats d’enseignants, à savoir, celui de la Faculté des lettres, des langues et des sciences de langage (FLSL) et la Faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation (Fshse) pour expliquer la situation. Ils n’ont trouvé aucun problème à cela. Nous avons également informé les deux syndicats AEEM de notre université qui sont aussi des partenaires à nous. Ils nous ont même dit c’était une bonne décision car les frais de location étaient exorbitants. C’est plus d’un mois après, que le comité AEEM de la FSHSE nous a saisi par une lettre pour dire qu’ils ne sont pas d’accord. Mais je vous informe qu’ils n’ont rien à avoir avec ça. Même les enseignants n’ont rien à avoir avec ça avec tout le respect que je dois aux enseignants. Je suis de ce corps-là. Car c’est comme le jour où le gouvernement va décider de partir à Sikasso, Taoudéni ou Kidal, nous allons partir. Ceux qui ne veulent pas partir, ils vont chercher à aller dans un autre service. Parce que l’État ne peut donner les moyens qu’il n’a pas. L’Aeem n’a pas à intervenir dans les questions d’infrastructures. Nous sortons de l’IPM car on n’a pas les moyens de supporter le coût. A l’IPM, nous payons par an : 334.176.000 FCFA. Et ce que l’État donne en ce qui concerne la charge locative n’atteint pas ça. Nous sommes allés chercher jusqu’à 60.000.000 FCFA sur une autre rubrique. Il se trouve aujourd’hui que nous sommes en face d’un fait capital. Comme pour vous dire que cette décision n’a pas été prise dans la précipitation, elle n’a pas été prise au hasard. Depuis deux ans, nos effectifs vont decrescendo, c’est-à-dire, démunis. Je vous donne des exemples frappants. A la Flsl, en 2018-2019, on avait 5623 étudiants. Mais en 2019-2020, on se retrouve avec 3763 étudiants. Pour comprendre plus, on prend la faculté des sciences humaines. On a l’habitude de recevoir en licence1 : en 2017-2018 1409 étudiants ; en 2018-2019 on a eu 1124 étudiants. Les chiffres de 2019-2020 après avoir prolongé les inscriptions à cinq reprises sont de 451 étudiants. En section anthropologie, c’est pareil. Je vous donne l’avant dernier chiffre. En 2018-2019 on avait 1078 étudiants en licence 1 et en 2019-2020 pour le même département, en première année, on a 603 étudiants. En psychologie, en 2018-2019 on avait 127 étudiants. 2019-2020 on a 57 étudiants. Philosophie, en 2018-2019, on avait 292 étudiants. Et cette année on se retrouve avec 119 étudiants. Donc les effectifs ont diminué à peu près de plus de 50%. Il se trouve qu’au niveau de cette faculté, tous les efforts avaient été concentrés au niveau de l’IPM. On a eu l’impression qu’il n’y a pas de salles à Kabala. Mais l’État a mis à la disposition de l’Ulshb des nouveaux locaux qui sont issus de la coopération sino malienne. Nous avons fait des inventaires et on a trouvé plus de dix salles qui ne sont pas du tout utilisées. Il y a huit autres salles disponibles qui peuvent être mises à notre disposition. Ce qui fait 18 salles. En décidant de quitter l’IPM on s’est rabattu sur la Chaine grise Niamakoro comme alternative. Là, on a mis à notre disposition 18 salles avec deux amphis. Là, on paye comme location moins de 2 millions de FCFA par mois. En ajoutant les 18% des impôts, on sera à moins de 3 millions de FCFA par mois. On a négocié huit salles à l’immeuble Ballo. Donc ces deux réunis feront 3 à 4 millions par mois. Ce qui nous permettra de compenser le vide. Je voudrais dire avec précision que la gouvernance universitaire aujourd’hui signifie qu’il faut rationaliser les ressources, non seulement humaines, mais aussi financières. Si nous devons rester à l’IPM parce que nous étions condamnés à cause des effectifs pléthoriques qu’on avait. Aujourd’hui, par le fait que ces effectifs baissent, nous devons donc trouver une autre alternative. Il n’y pas d’autre solution. On ne peut pas rester toujours dans la quête de l’argent pendant que ce qui est donné n’est pas aussi utilisé rationnellement. C’est ce que nous sommes en train de faire en bonne intelligence en collaboration avec tous les acteurs.
Quelles sont les nouvelles démarches entreprises par votre service pour mettre les étudiants et les enseignants dans les meilleures conditions de travail ?
Les nouvelles démarches, c’est les salles que nous avons ici qu’on va tenter d’utiliser rationnellement. Vous savez, il y a des études qui ont été faites au temps de l’Université de Bamako, et même en début de scission de l’Université en 2012 qui ont montré que les locaux qui sont là, si nous les utilisons rationnellement, on peut faire l’économie de la location. Nous allons miser d’abord sur ce qu’on a. L’État nous a permis de construire l’institut Confucius sur la colline. Des centaines des millions ont été injectés dans cette réalisation. Un institut qui nous offre deux grandes salles et un amphi de 200 places. C’est une nouvelle disposition prise qui rentre dans la satisfaction de l’enseignant. La Chaine grise. Elle est ce qu’elle est. Elle n’offre pas les conditions paradisiaques, mais même à IPM, je rappelle qu’à maintes reprises, les enseignants nous ont interpellés de quitter l’Ipm car les conditions d’hygiène, de coupures fréquentes d’électricité, et autres n’étant pas réunies. Mais comme la Chaine grise n’est pas chère, nous allons nous débrouiller avec ça. Dans le cadre du budget d’investissement, l’État va nous offrir 12 salles de classes. Quand cela serait effectif en 2021, je pense que ça peut permettre de résoudre le problème. La planification est très bien faite pour qu’on ne soit pas dans les conditions difficiles. D’ailleurs, même si nous sommes dans les conditions difficiles, je voudrais que les gens comprennent qu’on est dans l’ère de la modernité, et que enseigner et étudier aujourd’hui ne signifie pas forcément rester entre les quatre murs. Aujourd’hui, vous voyez avec la continuité pédagogique que le Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique vient d’initier, montre qu’à la longue, on va développer les cours en ligne. L’enseignement si vous voulez à travers les tics. Je rappelle que 200 ans avant Jésus Christ des écoles ont été expérimentés qui ne sont pas forcément dans les quatre murs. Aristote se promenait avec les apprenants dans la nature. Je reviens en disant que nous avons des effectifs qui diminuent considérablement plaide pour qu’on quitte l’IPM.
Combien cette nouvelle démarche doit coûter à l’ULSHB ?
Ce que nous aurons à payer c’est d’abord la Chaine grise, et l’immeuble Ballo. Franchement, les deux vont nous coûter moins de cinq millions de FCFA par mois. Donc si nous faisons le calcul sur les 12 mois, ça va faire à peu près 60 millions de FCFA. C’est à peu près les trois mois qu’on aura investis dans l’IPM. En plus, il y a les bâtiments du ministère.
Selon nos informations, les étudiants ne sont pas partants pour la rupture de ce contrat. Est-ce qu’ils ont été associés aux démarches de cette rupture ?
Nous avons appelé les deux comités AEEM de notre université le 26 février dernier pour une rencontre. Le secrétaire général de la FLSL est venu, celui de la Fshse s’est fait représenter par trois personnes ayant été empêché ce jour. Après, il m’a appelé pour me dire qu’ils lui ont fait la restitution de la rencontre, qu’ils sont d’accord de l’initiative. Et un mois quelques jours après, je ne comprends pas ce retournement de veste de leur part aujourd’hui. Le secrétaire général de la Fshse est venu me voir quand on a commencé de quitter l’IPM qu’il n’était pas d’accord. Je lui ai dit qu’on quitte l’IPM parce qu’on ne peut pas payer l’IPM. Je lui ai dit aussi qu’on a plusieurs mois d’impayés aussi et que religieusement ce n’est pas normal.
Quel appel avez-vous a lancé à la communauté universitaire ?
A la communauté universitaire, je voudrais dire à tout un chacun de savoir raison garder. Cela est très capital. Je voudrais leur dire également que, quand nous sommes dans la gestion de l’université, on doit être toujours dans les démarches qui sont innovantes. C’est-à-dire, qui sont dynamiques, qui sont novatrices. Et ces démarches doivent consister toujours à améliorer l’existant. Nous nous inscrivons absolument dans cette perspective. Nous sommes conscients de nos faiblesses, de nos erreurs, nous sommes conscients aussi que tout ce travail ne peut pas aller sans trébuchement, sans tâtonnement, sans également d’erreurs. Mais avec le soutien de tout un chacun, nous y parviendrons. Au niveau de l’enseignement supérieur, nous faisons partie de la crème de l’intelligentzia de ce pays. C’est nous qui devons montrer les meilleures démarches. Quand il y a des problèmes qui se posent aux universités et que ces problèmes n’ont pas eu de solutions, c’est que nous ne voulons pas réfléchir. Il faut que nous réfléchissions. Les résultats de ces réflexions peuvent être les solutions aux problèmes. Nous nous inscrivons dans cette dynamique. Nous sommes dans cette réflexion aujourd’hui qui nous a amené à une gouvernance de temps, par rapport à la gestion de nos ressources.
Par Hadama B. Fofana
Le Républicain