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Le Liban, un pays à genoux

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Les crises successives et la catastrophe du 4 août, qui a détruit une partie de Beyrouth, plongent le Liban dans un désordre qui risque d’atteindre le point de non-retour.

De notre correspondant à Beyrouth, 

« Meubles, voiture, bijoux, nous avons tout vendu. Nous partons avec les enfants au Canada ! » Au lendemain de la double explosion qui a détruit une partie de Beyrouth, le 4 août, Hiba et son époux ont décidé de quitter le Liban pour « recommencer à zéro sous des cieux plus cléments ».

Les histoires de jeunes ou de familles qui veulent partir foisonnent. Chacun connaît un voisin, un ami ou un proche qui a choisi d’aller refaire sa vie ailleurs.
Le Liban est devenu une terre inhospitalière pour de nombreux Libanais. « C’est un pays maudit. Il ne connaîtra jamais la paix et la stabilité », lance Hiba, la quarantaine, sur un ton triste. Le Liban est surtout un pays à genoux. Secoué par des crises multiformes depuis l’automne dernier, il s’enfonce tous les jours davantage dans un chaos destructeur.

Un système à bout de souffle

Le pays est frappé depuis octobre dernier par la pire crise économique de son Histoire. Le système, maintenu en vie artificiellement pendant des années à coups d’ingénieries financières inventées par le controversé gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, et des emprunts payés très cher, est arrivé à bout de souffle. Toute l’économie reposait sur une gigantesque pyramide de Ponzi, qui s’est effondrée comme un château de cartes.

Le budget de l’État, la balance des paiements, la balance commerciale… tous les indicateurs économiques étaient déficitaires depuis des années. L’économie de rente, encouragée et institutionnalisée, a détruit au fil des ans les secteurs productifs. Le Liban importait, en 2019, plus de 80% de ses besoins, pour 17 milliards de dollars, et n’exportait que pour 2,6 milliards.

Les fonds nécessaires pour financer ce système étaient fournis par la diaspora ou par des investisseurs privés ou institutionnels, attirés par les taux d’intérêt alléchants offerts par les banques, qui étaient à leur tour grassement rétribuées par la BDL. Une grande partie de l’argent servait au financement des besoins de l’État, otage d’une classe politique corrompue, passée maître dans les pots-de-vin, les détournements de fonds, les délits d’initiés, le clientélisme et le népotisme. Des abus de pouvoir encouragés et couverts par le système dit du « confessionnalisme politique », basé sur une répartition entre chrétiens et musulmans des fonctions politiques et des postes administratifs.

La machine s’est cassée il y a dix mois. Les Libanais ont découvert avec stupéfaction que leurs épargnes n’existaient plus que sur papier. Les banques ont commencé à rationner les retraits en devises avant de les stopper définitivement. Un économiste libanais de renom, Dan Azzi, a inventé le terme « Lollar », qui signifie le « dollar libanais ». Il s’agit des dépôts en dollars américains dans les banques, qui ne valent plus, en réalité, que le tiers de leur valeur effective. En quelques semaines seulement, des centaines de milliers de Libanais ont vu fondre le labeur de leur vie.

Un mouvement de contestation non structuré

La situation a atteint un tel degré de déliquescence que les Libanais ont laissé éclater leur colère, le 17 octobre. Le mouvement de contestation contre la classe politique, accusée de corruption et d’incurie, s’est amplifié au fil des semaines, poussant le Premier ministre Saad Hariri à la démission, le 29 octobre.

Toutefois, ce mouvement n’est pas parvenu à se structurer en force de changement. Les mesures prises pour lutter contre la propagation de la pandémie du coronavirus ont aggravé la situation, comme partout au monde. Des milliers d’entreprises et de sociétés ont fermé et des dizaines de milliers de personnes ont perdu leur emploi.

► À lire aussi : Pourquoi le Liban s’enfonce dans la crise économique

La dépréciation de la monnaie nationale face au dollar a détruit le pouvoir d’achat de la population, provoquant une envolée des prix des produits de consommation.
Plombé par les contradictions internes et soumis à de fortes pressions extérieures, le gouvernement de Hassane Diab, qui a succédé à Saad Hariri, n’a pas réussi à mettre en œuvre un vaste plan de réforme économique et financière, qu’il a adopté au forceps en avril. Des pénuries de mazout, de produits alimentaires et le durcissement du rationnement de l’électricité transforment le quotidien de la majorité des Libanais en calvaire.

« La classe politique a plongé le pays dans l’instabilité politique et dans la faillite économique et a institué la culture de la corruption, déclare à RFI Antoine Sfeir, docteur en droit international. Elle est réfractaire à toute modernisation et n’a procédé à aucune des réformes exigées pour mettre en œuvre la Conférence CEDRE (qui a accordé à Paris, en avril 2018, des promesses d’aides et de prêts de 11 milliards de dollars au Liban). C’est une preuve irréfutable de l’indifférence et de l’irresponsabilité de cette classe politique à l’égard de l’intérêt de l’État et des citoyens. »

Une négligence et une incompétence criminelles

C’est dans ce contexte que le pays est frappé par la catastrophe du 4 août. Cent soixante-quatorze personnes sont tuées et plus de 6 500 blessées dans une double explosion de 2 700 tonnes de nitrate d’ammonium entreposées dans un hangar du port, au mépris des mesures de précaution les plus élémentaires. La déflagration cataclysmique a détruit une partie de Beyrouth et jeté dans la rue plus de 300 000 personnes, désormais sans-abri. Le port est très largement détruit, la ville offre un spectacle apocalyptique, comme frappée par un séisme dévastateur. Les dégâts matériels sont estimés à 15 milliards de dollars par le président de la République, Michel Aoun.

Cette catastrophe, imputée à la négligence des dirigeants politiques et à l’incompétence des responsables administratifs, provoque la colère des Libanais. En dépit de la destruction d’une partie de la capitale et bravant le danger du coronavirus, des milliers de Libanais sous le choc réclament, les 8 et 9 août, le départ des dirigeants et le jugement des responsables de la tragédie. Des simulacres de potence sont dressés dans le centre-ville de Beyrouth, où sont symboliquement pendues des poupées à l’effigie des principales personnalités politiques, y compris Michel Aoun et Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. Une partie de la colère est canalisée vers le Hezbollah, notamment par des personnalités chrétiennes, comme le chef de l’ex-milice des Forces libanaises Samir Geagea ou le chef du parti Kataëb (droite chrétienne) Samy Gemayel. Ce dernier démissionne du Parlement avec deux autres députés de sa formation, dans l’espoir de provoquer un effet boule de neige pour imposer des élections législatives anticipées. Le but est de reprendre avec ses alliés la majorité parlementaire, perdue lors du scrutin de mai 2018. Cette majorité est aujourd’hui composée du Courant patriotique libre (CPL) fondé par Michel Aoun, du Hezbollah et du mouvement Amal chiites, et de leurs alliés de différentes communautés.

Samir Geagea et Samy Gemayel se posent aujourd’hui en fer de lance de la bataille contre le Hezbollah qu’ils accusent de tous les maux et dont ils exigent le désarmement de la branche militaire. Le parti de Hassan Nasrallah affirme conserver ses armes pour défendre le Liban contre « le danger israélien ».
Une dizaine de députés sur les 128 que compte le Parlement claquent la porte, mais la manœuvre est neutralisée par le chef du législatif, Nabih Berry, qui est la plus importante figure politique chiite de l’État. Le gouvernement, lui, ne résistera pas à la pression de la rue et de l’opposition parlementaire. Hassane Diab démissionne le 10 août après avoir été lâché par Nabih Berry.

Le vide au pouvoir exécutif

Le Liban se retrouve aujourd’hui avec une vacance au niveau du pouvoir exécutif, à un moment crucial de son Histoire. Et rien ne montre qu’un nouveau Premier ministre sera nommé dans les jours qui viennent, puisque Michel Aoun n’a toujours pas convoqué des consultations parlementaires contraignantes pour le choix d’un successeur à Diab.

Les contacts et les tractations devraient toutefois reprendre à ce sujet après que l’échéance du verdict du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) dans l’assassinat de Rafic Hariri, tant appréhendée par les Libanais, soit passée sans incident.
Le TSL a affirmé, le 18 août, ne pas disposer de « preuves » sur la responsabilité des dirigeants du Hezbollah et de la Syrie dans l’attentat de février 2005, et a acquitté trois des quatre inculpés, membres présumés du Hezbollah.

La crise politique intervient alors que la pandémie du coronavirus connaît un grave rebond après avoir été contenue les premiers mois. Mercredi 19 août, la barre symbolique des 10 000 personnes infectées a été franchie avec 581 nouvelles contaminations, ce qui porte à 10 347 le nombre de cas et 109 décès. Cette explosion des infections est largement due, selon les autorités sanitaires, aux manifestations et au chaos consécutifs à la catastrophe du 4 août. Sévèrement touché par la double explosion avec quatre hôpitaux hors service à Beyrouth, le secteur hospitalier est saturé. Le gouvernement a donc ordonné mardi 18 août un confinement de dix-sept jours, à partir du 21 août, couplé à un couvre-feu de 18h à 6h.

Et comme si tous ces malheurs ne suffisaient pas pour mettre le Liban à genoux, la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale (ESCWA) a publié, mercredi 19 août, des chiffres alarmants. Selon cette commission, le taux d’extrême pauvreté au Liban est passé entre 2019 et 2020 de 8% à 23%. Le rapport de l’ESCWA indique que plus de 55% de la population libanaise vit désormais dans la pauvreté et peine à subvenir à ses besoins de base. Deux millions sept cent mille personnes sont considérées comme pauvres, en gagnant moins de 14 dollars par jour.

Face à ce tableau cauchemardesque, des Libanais veulent voir une lueur d’espoir dans la venue à Beyrouth, après la catastrophe du 4 août, de dirigeants et de diplomates du monde entier. C’est Emmanuel Macron qui a ouvert le bal le 6 avril, suivi de nombreux ministres et diplomates, dont le numéro 3 du département d’État américain, David Hale.

« Ça montre que le monde ne nous a pas complètement abandonnés », s’enthousiasme Ziad, un cadre d’entreprise qui vient de rentrer du Qatar après avoir perdu son emploi. Mais tous n’affichent pas cet optimisme. « Le Liban se situe au cœur d’une zone où se déroule une confrontation liée aux voies d’acheminement du pétrole et du gaz et de grands partenariats régionaux. Les Occidentaux viennent sous l’impulsion des Américains pour contrer l’influence de la Chine et de la Russie », déclare l’éditorialiste Ghaleb Kandil. Si des enjeux géopolitiques de cette importance viennent se greffer aux problèmes internes du Liban, le retour de la stabilité dans le pays sera presque une mission impossible.

RFI

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