La nouvelle loi électorale pose problème, et même de sérieux problèmes plus qu’elle n’en résout. Décriée par l’opposition malienne (qui avait même saisi la Cour constitutionnelle d’une requête en annulation avant de se voir déboutée), la société civile et l’opinion nationale au fait du droit constitutionnel et de la chose politique, la loi n°2016-048 portant loi électorale a été néanmoins promulguée par le président de la République le 17 octobre 2016.
Pourtant, pour Dr Brahima Fomba, Chargé de Cours aux Facultés de Droit de l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB), cette loi soulève déjà une série de questions qui semblent avoir été totalement ignorées par le gouvernement et qui risquent de créer des blocages à l’avenir. Entre autres interrogations : Quelle loi électorale va régir les élections communales du 20 novembre 2016 ? Le constitutionnaliste soulève nombre d’autres questions et argumente.
Après le rejet le 13 octobre 2016 par la Cour constitutionnelle dans son Arrêt n° 2016-12/CC du 13 octobre 2016 de la requête de l’opposition demandant l’annulation de la loi électorale, le Président de la République a aussitôt promulgué le 17 octobre 2016 la loi n°2016-048 portant loi électorale. Cette loi désormais en vigueur est partie intégrante de notre droit positif, alors même qu’elle soulève déjà une série de questions dont on peut légitimement se demander si celles-ci ont réellement fait l’objet de réflexion approfondie de la part du gouvernement.
S’AGIT-IL D’UNE NOUVELLE LOI OU D’UNE LOI MODIFICATIVE : DES DECALAGES MONSTRES ENTRE LES ARTICLES (NOUVEAUX) ET (ANCIENS)
Cette question n’est pas superflue, même si sa portée au plan juridique paraît finalement limitée et n’emporte pratiquement pas de conséquences. Pour autant elle n’est pas dénuée d’intérêt, dans la mesure où la pratique au Mali ou ailleurs a toujours opéré une différence entre la présentation formelle d’une nouvelle loi et d’une loi modificative.
Il faut le rappeler, l’option de la part du gouvernement pour la formule de loi nouvelle plutôt que de loi modificative ne s’expliquerait que par son interprétation littérale simpliste de l’Accord d’Alger (voir avant- dernier tiret de l’Annexe I sur la Période intérimaire) où il est écrit : « Le gouvernement prendra toutes les dispositions nécessaires pour faire adopter par l’Assemblée nationale …une nouvelle loi électorale ». En réalité, c’est la compréhension quelque peu servile de cette disposition qui nous vaut aujourd’hui cette nouvelle loi électorale n°2016-048 du 17 octobre 2016.
Le gouvernement a oublié qu’à la même Annexe I, au Point intitulé « Objectifs et durée de la période intérimaire », il est écrit au 2ème tiret : « De réviser la loi électorale de manière à assurer la tenue aux niveaux local, régional et national …. d’élections en vue de la mise en place des organes prévus par le présent Accord ». « Réviser la loi électorale » n’implique pas nécessairement l’élaboration formelle d’une nouvelle loi dès lors qu’on prend en compte les tripatouillages exigés par l’Accord d’Alger. D’ailleurs s’agit-il d’une loi modificative ou d’une nouvelle loi ? Si l’on voulait faire un peu d’humour, on répondrait qu’il s’agit des deux à la fois ! On comptabilise ainsi de manière formelle dans la nouvelle loi n°2016-048 du 17 octobre 2016, soixante un (61) « Articles (Nouveaux) ». C’est du jamais vu ! En fait, il n’existe pas de formulation « Article (Nouveau) » dans une nouvelle loi. La formulation « Article (Nouveau) » est plutôt la marque de fabrique des lois modificatives.
Ce qui est encore paradoxal, c’est que tous les articles modifiés ne sont pas enregistrés comme des articles (Nouveaux), comme c’est entre autres le cas des articles suivants : article 4 où la désignation des partis politiques se fait désormais suivant une répartition égale entre l’opposition et la majorité ; article 5 qui prévoit le démembrement régional de la CENI ; article 14-tiret 1….
Le pire dans cette négligence innommable, c’est que la quasi-totalité des articles estampillés Articles(Nouveaux) n’ont absolument rien à voir avec les articles anciens qu’ils sont censés avoir modifié. Pour ne pas en donner une liste exhaustive qui serait ahurissante, il suffit, pour s’en convaincre, de se borner à la comparaison entre les articles 22, 23 et 35 (Nouveaux) et (Anciens) entre lesquels il n’existe aucune concordance. C’est la preuve évidente qu’on ne s’est pas rendu compte qu’entre la loi n°0-044 du 4 septembre 2006 et la nouvelle loi traitée à tort comme une loi modificative, il y a un décalage des numérotations qui commence juste après l’article 18.
COMMENT VA-TON APPLIQUER LES DISPOSITIONS CONTRADICTOIRES RELATIVES A LA REPRESENTATION DES PARTIS POLITIQUES AU SEIN DE LA CENI ?
Le législateur et le gouvernement, s’ils ne l’ont pas fait volontairement, semblent avoir manqué de suite dans les idées, relativement à la question de la représentation des partis politiques au sein de la CENI.
L’on se rappelle que les débats sur cette question, avait assez vite débouché sur un consensus quant à l’abandon du mode de représentation équitable très controversé entre les partis politiques de la majorité et ceux de l’opposition. L’article 4 de la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant loi électorale confirme effectivement cette innovation en précisant à son premier tiret que la CENI est composée de « dix (10) membres désignés par les partis politiques suivant une répartition égale entre les partis politiques de la majorité et ceux de l’opposition ». Des doutes persistent toutefois quant à l’abandon réel de la règle insensée de l’équité dans la compostions partisane d’une structure censée suivre et superviser le gouvernement constitué par la majorité politique. Car au dernier alinéa de l’article 5 de la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 consacré aux démembrements de la CENI, il est écrit : « La désignation des représentants des partis politiques se fait suivant une répartition équitable entre l’opposition et la majorité ». Ainsi donc, la représentation des partis politiques au sein de la CENI se conjugue à la fois au double mode de l’équité et de l‘égalité ! Chassé par la porte, le fameux principe d’équité aurait-il donc pris sa revanche en faisant ainsi irruption par la petite fenêtre de cet alinéa ? La question demeure posée.
QUELLE LOI ELECTORALE VA REGIR LES COMMUNALES DU 20 NOVEMBRE 2016 ?
C’est la question la plus cruciale qui menace potentiellement la légalité même des élections communales du 20 novembre 2016. Sauf erreur de notre part, le Département des élections n’avait pas connu depuis ces derniers temps une telle configuration où un collège électoral est convoqué sous l’égide d’une loi électorale qui est abrogée en cours de processus électoral et remplacée par une nouvelle loi électorale. C’est le cas de figure actuel, car la loi électorale référencée dans le décret de convocation du collège électoral pour le scrutin communal du 20 novembre 2016 est bien la loi n°06-044 du 4 septembre 2006 modifié. Alors que l’organisation technique de ce scrutin est en cours, la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant loi électorale à son Article 210(Nouveau)-sic ! dispose : « La présente loi abroge toutes dispositions antérieures contraires, notamment la loi n°06-044 du 4 septembre 2006 modifiées par la loi n°2011-085 du 30 décembre 2011, la loi n°2013-017 du 21 mai 2013 et la loi n°2014-054 du 14 octobre 2014 ». En d’autres termes, la loi n°06-044 du 4 septembre 2006 a disparu de l’ordonnancement juridique du pays. Mais pour autant a-t-elle définitivement cessé de produire tout effet juridique ? Le gouvernement ne semble pas avoir appréhendé tous les enjeux de cet imbroglio juridique d’autant plus complexe que la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 n’a pas prévu de dispositions transitoires auxquelles on a généralement recours dans ces circonstances. Il argumentait ainsi dans son mémoire en défense comme on peut le lire dans l’Arrêt n°2016-12 /CC du 13 octobre 2016 sur la nouvelle loi électorale : les auteurs de la requête en annulation de la loi électorale « ne peuvent pas prétendre ignorer que la loi électorale applicable aux élections prévues pour le 20 novembre 2016 est bien celle en vigueur au moment du dépôt des candidatures, en l’occurrence la loi n°06-044 du 4septembre 2006 modifiée, en raison ……..de la non applicabilité de la loi aux situations en cours pour défaut de dispositions transitoires et de dispositions rétroactives ». Comment ne pas être stupéfait par la fragilité d’une telle argumentation ! L’équation juridique renvoie en réalité à la problématique pour le moins délicate de l’application de la loi dans le temps, en rapport avec le principe de droit en apparence simple selon lequel la loi « n’a pas d’effet rétroactif » et « ne dispose que pour l’avenir ».
Les juristes savent que c’est seulement au prix d’exceptions qu’une loi nouvelle ne s’applique pas aux situations antérieures à son entrée en vigueur et ne régi que les conséquences des situations juridiques postérieures à cette entrée en vigueur.
Dans le pratique, la question est beaucoup plus compliquée que ne le présente le gouvernement qui se doit de préciser lesquels des actes juridiques d’ordre règlementaire notamment, déjà posés ou à poser le sont sous l’égide de l’ancienne loi et sous l’égide de la nouvelle loi électorale.
Quid de la recomposition de la CENI, de la création des démembrements régionaux, du vote anticipé des militaires, du vote de l’électeur à visage découvert, de l’interdiction du téléphone portable et de tout appareil électronique dans le bureau de vote, des nouvelles restrictions sur les campagnes électorales, etc…
Au regard de ces nombreuses question, l’argument évoqué plus haut que le gouvernement a développé devant la Cour constitutionnelle et qui se fonde entre autres sur « la non applicabilité de la loi (nouvelle) aux situations en cours pour défaut de dispositions transitoires et de dispositions rétroactives » pourrait lui jouer un mauvais tour. Un effet boomerang en quelque sorte.
Dr Brahima FOMBA
Université des Sciences Juridique et Politiques de Bamako (USJPB)
Chargé de Cours aux Facultés de Droit