Édito faire
Cette question, d’ordinaire, nous nous la posons en deux circonstances : pour exprimer notre impuissance ou pour manifester notre perplexité face à un choix, une décision devant être prise. Particulièrement, à la suite du romancier russe Nikolaï Tchernychevski, Lénine l’a reprise pour en faire le titre d’un de ses essais. Il intervenait dans un débat pour trancher entre les bolchéviques d’une part, les économistes et les anarchistes d’autre part. Renvoyant dos à dos les partisans d’une amélioration des conditions d’existence pour faire évoluer la Russie et les partisans de l’action spectaculaire isolée pour mettre fin au tsarisme, Lénine répond à la question en recommandant la nécessité d’une organisation se fixant trois objectifs : concevoir et produire des idées, les vulgariser et sensibiliser en vue d’une vaste mobilisation afin de « transformer l’état des choses actuelles. » C’était en 1901.
En ce mois de juin 2017, nous, Maliens, pourrons reprendre la question à notre compte. En effet, face à la réalité actuelle, comment ne pas nous la poser ? Un examen rétrospectif paraît utile pour répondre à la question car, un problème dont on a fait l’historique est un problème résolu à moitié.
De 1992 à ce jour, trois présidents « démocratiquement élus » se sont succédé à la tête de l’Etat. Chacun d’eux a eu son passage au pouvoir perturbé par la rébellion. En 2012, le Pacte National a été signé. Présenté comme l’unique bouée de sauvetage, il s’est révélé inopérant. Ni la rencontre de Bourem, ni la cérémonie de la Flamme de la Paix ne furent suffisantes pour empêcher la reprise des hostilités en 2006. Pour y mettre fin, nous avons repris le chemin d’Alger pour signer un nouvel accord consacrant l’autonomie de la région de Kidal, précisant les actions à entreprendre pour promouvoir son développement.
L’Accord d’Alger signé, le Nord fut démilitarisé, pratiquement abandonné. Cela eut comme conséquences : le développement du trafic sous plusieurs de ses formes mafieuses et l’installation d’Al Qaeda sur notre territoire. Pourquoi rien ne fut-il entrepris pour lutter contre ces deux facteurs négations de l’autorité de l’Etat ? Les historiens répondront, peut-être, un jour, à cette question. Pour l’instant, retenons que l’Accord n’a pas empêché la constitution du MNLA, la reprise de la rébellion et, événement inédit, l’invasion du territoire national par les djihadistes, sa partition de fait.
Mars 2012 : l’Etat s’est totalement effondré, la République est cassée en deux, trois « puissances » se partagent le Nord. Le Mali est en voie de disparition. La Communauté internationale intervient. Les djihadistes sont contrecarrés dans leur dessein, mais le MNLA est remis en selle. Obligation nous est faite de négocier, et cela, suprême humiliation, sous l’égide de notre agnat. Des négociations sort l’Accord préliminaire de Ouagadougou. L’élection présidentielle, voulue et imposée par la France, a lieu. Un candidat en sort vainqueur avec plus de 70% des suffrages. Il a, par conséquent, tous las atouts en main pour restaurer la paix, l’unité nationale, l’ordre et la stabilité. Mais l’homme a des comptes personnels à régler. Plutôt que de rassembler, il exacerbe les divisions. Dès son discours d’investiture, le ton est donné ; se trouvent visés, implicitement, deux maires du District. Quelques jours après, certains opposants sont traités de « Hassidi ».
L’Accord de Ouagadougou du 13 juin 2012 a permis une relative stabilisation de la situation. Sa mise en œuvre demandait à être poursuivie. Dans une de ses dispositions, il précise : « Après l’élection du Président de la République et la mise en place du Gouvernement, les parties conviennent d’entamer un dialogue inclusif pour trouver une solution définitive à la crise ». Le nouvel élu n’en n’a cure, fait comprendre : « Je ne discuterai pas avec des hommes en armes », « Nul rebelle ne se hissera à ma hauteur », « Je ne me laisserai pas trimballer. » La résultante d’une telle attitude se révélera néfaste. C’est, en particulier, la débâcle de Kidal. Et, de nouveau, le chemin d’Alger. Après l’adoption d’une Feuille de route, deux documents sont produits. Aucun d’eux ne donne satisfaction. Un troisième nous est imposé, intitulé Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger. Deux ans après sa signature, il inspirera Entente pour la mise en place des autorités intérimaires. Il est présenté devant le Conseil de Sécurité qui applaudit « des dix doigts de la main » et demande sa mise en œuvre. De nouveau, c’est l’échec. Les autorités intérimaires sont installées mais demeurent non fonctionnelles.
A la date d’aujourd’hui, plus de dix textes ont été signés avec les rebelles. Tous sont restés caducs. Ne tirant nullement les leçons de cette série de déconvenues, nos gouvernants nous sollicitent pour légitimer une révision constitutionnelle. Les raisons évoquées pour justifier cette révision ne manquent pas de faire sourire : créer une Cour des Comptes, installer un Sénat, empêcher le nomadisme politique. Ce sont là, dit-on, des mesures censées renforcer l’ancrage démocratique. Les oppositions, parlementaire et extraparlementaire, s’insurgent. Aux tenants du « Non, an tè son a bana ; touche pas à ma constitution » font face, ceux du « Oui, an son na ». Comment tout cela va-t-il se terminer après les démonstrations de force de part et d’autre ?
La fracture conduit à revenir à la question posée dès le départ et d’y répondre. Il semble que nous en soyons arrivés en un point où, ni un homme, ni un groupe d’hommes, ne détient la solution du problème. Nous avons pris des engagements, nous ne saurions l’ignorer. Mais, face à l’impasse devant laquelle nous nous trouvons, constituer un front national ne contribuerait-il à faire avancer le débat dans le sens d’une pérenne sortie de crise ? Il nous importe de mettre fin aux clivages qui nous divisent, de nous retrouver pour penser par nous-mêmes et pour nous-mêmes afin de nous fixer, dans l’unité, des objectifs et les moyens pour atteindre ces objectifs. Mettons fin à l’infantilisme qui consiste à nous en remettre aux Puissances d’Argent, baptisées Communauté internationale et assumons-nous. Voilà ce qu’il nous faut faire.
Édito faire
LA REDACTION
Source: Le Sursaut