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« Monsieur le président, abandonnez votre projet de Constitution, la stabilité du Mali en dépend ! »

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Alors qu’une plateforme de la société civile demande à Ibrahim Boubacar Keïta de rebrousser chemin avant mardi à minuit, Kamissa Camara, chercheuse à Harvard, interpelle le chef de l’Etat.

Depuis plusieurs semaines, un projet de révision constitutionnelle crée la controverse au Mali et menace la stabilité politique, institutionnelle et sociale du pays. Le nouveau texte donne des pouvoirs additionnels au chef de l’Etat, ce qui, du fait d’un contexte politique fragile, noie d’autres mesures positives proposées par le projet de Constitution.

Malgré des manifestations pacifiques répétées et massives dans les grandes villes, la lettre ouverte d’un ancien groupe rebelle et vos rencontres avec les religieux, les familles fondatrices de Bamako et les sages, le projet semble suivre son cours. Maintenant que les tensions sont vives et que le pays est en alerte, aurez-vous la sagesse d’écouter votre peuple afin de sauver la fin de votre mandat, le Mali et, avec lui, la région du Sahel ?

La plateforme « Antè a Bana-Touche pas à ma Constitution » radicalise elle aussi sa position. Si vous refusez de rebrousser chemin et d’abandonner ce projet de révision constitutionnelle avant le mardi 15 août à minuit, la plateforme – composée des forces vives de la nation – « se réserve le droit d’exiger la démission immédiate et sans condition du président de la République ». Les mots sont tranchés, la démarche aussi.

Si la nouvelle Constitution était approuvée, le chef de l’Etat pourrait cumulativement nommer les présidents de la Cour constitutionnelle et celui de la Cour des comptes, ainsi qu’un tiers des futurs sénateurs. Le président de la Cour constitutionnelle était jusque-là élu par ses pairs et le président de la Cour des comptes nommé par le président. Le Sénat étant une nouvelle institution créée par la nouvelle Constitution, la prérogative de nomination d’un tiers de ses membres s’ajouterait à la majorité présidentielle qui siège déjà au Parlement.

« Le contrat de confiance est brisé »

Monsieur Le Président,

Les Maliens vous ont confié leur avenir avec un niveau de confiance qu’aucun président n’a eu dans le passé. Ce contrat qui nous lie vous interpelle-t-il aujourd’hui autant que le jour de votre élection ?

En 2013, en pleine crise sécuritaire et politique, les Maliens vous avaient plébiscité avec près de 80 % des voix… du jamais vu ! Toutefois, depuis votre élection, votre régime aura fait parler de lui, au Mali et à l’étranger, plus en mal qu’en bien. Problèmes sécuritaires, gouvernance financière douteuse, tentatives superficielles de réconciliation avec l’opposition et j’en passe. L’introduction d’un projet de révision, juste une année avant les présidentielles de 2018, est non seulement impopulaire, il ne fait qu’accroître les risques d’instabilité du pays et de toute la sous-région. Pire : celui-ci brise de fait le contrat de confiance qui vous liait tant bien que mal au peuple malien depuis 2013.

En poussant ce projet de Constitution, Monsieur le Président, vous touchez à la ligne rouge que les Maliens ont tracée pour vous et vous ont signifiée jusque-là pacifiquement. C’est cette même ligne rouge que le gouvernement malien avait clairement établie avec les groupes rebelles avant le début des négociations d’Alger, afin d’éviter toute discussion sur une division, même théorique, du territoire malien. Vous en souvenez-vous ? Par conséquent, même si le vote référendaire donne en principe une opportunité idéale aux Maliens pour se prononcer pour ou contre la nouvelle Constitution, la Constitution de 1992 reste forte dans son symbole car pour elle, les Maliens se sont littéralement sacrifiés. Pour les Maliens donc, les articles qui garantissent la démocratie et les pouvoirs du chef de l’Etat sont aussi intangibles que les frontières du Mali le sont pour vous et votre gouvernement.

En poussant ce projet de Constitution, Monsieur le Président, vous avez de fait inversé les rapports de forces. Ce sont les Maliens qui décideront désormais de votre sort car ils ont décidé que vous ne déciderez plus du leur. En effet, les Maliens vous ont perçu comme un président au grand cœur, visiblement très sensible aux compliments et surtout aux critiques. Malgré votre bonne volonté et votre statut de président démocratiquement élu, ce projet de Constitution vous donne l’air d’un président qui a soif de pouvoir. L’image que vos concitoyens ont de vous devrait vous permettre de mesurerl’impact de vos décisions. L’image que votre peuple vous renvoie devrait vous servir de boussole.

« La boîte de Pandore est ouverte »

En poussant ce projet de Constitution, Monsieur le Président, vous fragilisez l’accord de paix d’Alger. Paradoxalement, l’objet premier de la révision constitutionnelle était la prise en compte de la représentativité de toutes les régions du Mali dans les instances de prise de décision, telles que décrites et garanties dans l’accord de paix d’Alger. Hier seulement, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) s’est exprimée publiquement et pour la première fois sur le projet de Constitution, en demandant à ce que celui-ci inclue certaines dispositions contenues dans l’accord. La boîte de Pandore étant maintenant ouverte, attendez-vous à des revendications justifiées de toutes les parties prenantes aux négociations d’Alger.

Avec ce projet de Constitution, Monsieur le Président, le Mali continue d’être le maillon faible au Sahel. Dans une région aussi instable où les attaques terroristes font maintenant partie du quotidien, vous avez réussi à détourner l’attention du plus important : situation sécuritaire fragile, chômage endémique des jeunes. De ces sujets-là, on en fait quoi ?

Ce bras de fer laissera sans aucun doute des marques indélébiles dans vos relations avec vos citoyens. Le plus sage serait de surseoir à ce projet et de revenir dans quelques mois, si Allah vous l’accorde, avec un projet de texte qui porterait les fruits de plusieurs mois de dialogue avec les Maliennes et Maliens qui ne demandent en fait qu’à voir leur pays stable et prospère.

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Source: Le Monde

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