Dans son écrasante majorité, l’Assemblée nationale du Mali a suivi la Commission ad hoc chargée de l’examen de la mise en accusation de l’ancien président Amadou Toumani Touré devant la Haute cour de justice dans ses conclusions. Vendredi soir, 104 députés ont voté en faveur de la résolution pour l’abandon des poursuites pour des faits qualifiés de haute trahison.
Ainsi s’éteint une affaire qui a défrayé la chronique et tenu l’opinion en haleine de ses débuts en décembre 2013 à son épilogue ce 16 décembre 2016.
Du coup, c’est un grand pas qui vient d’être franchi dans le processus de réconciliation dans lequel notre pays est engagé depuis septembre 2013, plus particulièrement après la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali en mai-juin 2015.
Dans la suite logique de cette dynamique, des indicateurs forts ont été donnés par le président Ibrahim Boubacar Kéïta au détour de cérémonies officielles présidées par lui comme lors de l’inauguration de l’hôpital de Mopti et des journées paysannes 2015 et 2016. A chacune de ces occasions, IBK a fait un clin d’œil à son frère ATT, des actes positivement appréciés par les Maliens.
L’abandon des poursuites contre l’ancien président, exilé à Dakar, n’est certes que justice, mais surtout, il consacre une victoire de la démocratie malienne dans un contexte où la vraie réconciliation commence tout d’abord par celle entre tous les chefs d’Etat de notre pays.
Le mérite en revient en premier lieu aux membres de cette brave commission ad hoc qui n’ont pas tremblé devant un dossier hautement politique. Et pour cause, ATT était accusé de :
– avoir facilité la pénétration et l’installation des forces étrangères sur le territoire national, notamment en ne leur opposant aucune résistance
– avoir détruit ou détérioré volontairement un outil de défense nationale
– avoir participé à une entreprise de démoralisation de l’armée caractérisée par les nominations de complaisance d’officiers et de soldats incompétents et au patriotisme douteux à des postes de responsabilité au détriment des plus méritants entraînant une frustration qui nuit à la défense nationale,
– s’être opposé à la circulation du matériel de guerre
– avoir participé à une entreprise de démoralisation de l’armée, malgré la grogne de la troupe et des officiers rapportée et décriée par la presse nationale
– avoir laissé détruire, soustraire ou enlever, en tout ou partie, des objets, matériels, documents ou renseignements qui lui étaient confiés, et dont la connaissance pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale.
Là, on note juste, à la place des faits de haute trahison, une énumération d’infractions pénales faisant totalement fi du fait qu’on se trouve dans un contexte de répréhension d’actes liés à l’exercice de fonctions présidentielles s’inscrivant dans une logique politique et non judiciaire. Faute de preuves de la responsabilité de l’ancien président dans ses investigations, la commission ad hoc a conclu qu’il n’y a pas lieu de poursuivre ATT pour haute trahison. Avis partagé en bloc par les députés vendredi soir.
Plainte contre ATT ;
Le verdict de Bagadadji !
Avec 104 (sur 127 votants) voix pour, 5 contre et 6 abstentions, l’Assemblée nationale, lors de sa plénière du vendredi 16 décembre dernier, a décidé de ne « pas donner une suite favorable à la mise en accusation de l’ancien président de la République Amadou Toumani Touré ». Un ouf de soulagement pour ces nombreux Maliens qui savaient, depuis belle lurette, le président ATT blanc comme neige. Le même sentiment se lisait sur les visages dans l’hémicycle où certains députés n’ont pas manqué de saluer cet épilogue heureux et qui libère, aussi bien moralement que physiquement, l’ancien président Touré.
Des mois durant, ce dossier était pendant devant l’Assemblée nationale. Depuis le 26 février 2015, faut-il rappeler, la Commission ad hoc chargée de l’examen de la mise en accusation de l’ancien président Amadou Toumani Touré devant la Haute cour de justice était arrivée à la conclusion qu’il n’y a ni preuves matérielles, ni autres éléments d’appréciation sur ATT pour ce qui est des accusations portées contre lui. Mais il a fallu dix mois pour que les députés, qui avaient déjà pris connaissance des conclusions la Commission ad hoc désignée à cet effet, se décident (enfin) à débattre, en séance plénière, ce rapport et dégager la conduite à tenir.
Une heure de temps aura suffi pour évacuer le dossier, du reste vide. La commission ad hoc, par la voix de son rapporteur, Bréhima Béridogo, a d’abord présenté sa résolution, dans laquelle n’apparaît nulle part la responsabilité pénale de l’ancien président.
Reprenant, pratiquement mot pour mot la conclusion du rapport de février 2015, la résolution votée par les élus indique: « (…) , à la question de savoir quelle est la responsabilité pénale de l’ancien Président Amadou Toumani Touré dans la commission des infractions citées, la Commission Ad hoc n’a pas eu de preuves matérielles… il a été difficile voire impossible de réunir les éléments d’appréciation sur l’Ancien Président de la République pour ce qui est des accusations portées contre lui ». En terme clair, la commission, après examens des pièces et l’audition des personnes ressources, n’a pu établir aucune preuve, c’est-à-dire d’éléments en charge contre ATT sur les faits infractionnels cités ou toute autre infraction assimilable. Mieux, la commission a rappelé qu’aucun texte malien ne définit le crime de haute trahison, et que ce chef d’accusation est un terme à connotation politique.
Résultat sans appel
Ainsi, « après en avoir délibérer, l’Assemblée a décidé de ne pas donner suite favorable à la demande de mise en accusation de l’ancien président de République ATT ».
Cette conclusion implacable n’a quasiment surpris, dans son bien-fondé, aucun Malien qui a vécu au pays pendant ces quinze dernières années. Au contraire, elle a été appréciée et salué par les tous les citoyens, qui louent surtout le courage des membres de la commission. D’autant plus que la mise en accusation de ATT pour haute trahison avait été montée de toutes pièces, d’une part, pour nuire à un homme qui avait eu pour seuls torts d’accéder au pouvoir par les voies et les moyens les plus appropriées (les urnes), d’aimer son pays et sa patrie, de refuser d’engager le pays dans une guerre contre des fils du pays (les rebelles) et des forces extérieures (les terroristes et les djihadistes). Et d’autre part, pour détourner l’attention des populations des vraies priorités d’un régime qui, à seulement trois mois d’exercice du pouvoir, croulait sous le poids de dossiers brûlants.
Au-delà de simples citoyens, même les députés, présents dans la salle Aoua Keïta, ont appréciée et saluée cette décision qui « participent à la réconciliation nationale ». Seul Kalilou Ouattara, le désormais député de l’Adp-Mali, a estimé qu’il fallait donner une suite favorable à cette demande de poursuite contre ATT.
Avant de procéder au vote, dont le mode a donné lieu à de chaudes discutions, il a été demandé aux députés membres de la haute Cour de justice de se retirer. Aussitôt fait, chacun des 127 députés (les absents avaient donné des procurations) sont passés, un à un, pour glisser leur bulletin dans l’urne. Au dépouillement, le résultat fut sans appel : 104 élus ont voté pour l’adoption de la résolution. Ainsi prend fin le feuilleton qui a démarré le 27 décembre 2013. Ce jour-là, l’opinion nationale et internationale apprenait avec stupeur et indignation un communiqué du gouvernement malien qui ouvrait ainsi : « L’Assemblée nationale, siège de la Haute Cour de Justice, vient d’être saisie par la lettre n°285/PG-CS du 18 décembre 2013, d’une dénonciation des faits susceptibles d’être retenus contre Amadou Toumani Touré, ancien Président de la République pour haute trahison ». Ce pamphlet, le plus controversé de l’histoire du Mali, égrène une demi-douzaine de chefs d’accusation retenus contre ATT à qui on reproche, entre autres, d’:avoir facilité la pénétration et l’installation des forces étrangères sur le territoire national… ; avoir participé à une entreprise de démoralisation de l’armée caractérisée… ; avoir détruit ou détérioré volontairement un outil de défense nationale ; avoir laissé détruire, soustraire ou enlever, en tout ou partie, des objets, matériels, documents ou renseignements ; et s’être opposé à la circulation du matériel de guerre. Ces chefs d’accusation retenus, maladroitement rangés au titre de la haute trahison, mais qui relèvent en fait au regard de l’article 95, de la catégorie des crimes et délits tirés du code pénal, sont tout simplement ridicules, parce qu’ils font totalement fi du fait qu’on se trouve dans un contexte de répréhension d’actes liés à l’exercice de fonctions présidentielles s’inscrivant dans une logique politique et non judiciaire.
Paradoxalement, à la même période, le gouvernement élargissait certains rebelles et terroristes et levait les mandats d’arrêt d’autres chefs rebelles.
Tout le monde sait que ATT n’est pas coupable
C’est un jour historique dans l’histoire politique du Mali. En effet, avec mes 22 ans d’expérience au parlement, c’est la première fois que je vois les députés voter avec une telle unanimité une décision politique de cette importance. Le choix des élus du peuple ne m’a pas surpris. Il ne fait que refléter la volonté du peuple. Tout le monde sait que le président Amadou Toumani Touré n’était pas responsable des faits qu’on lui reprochait. C’est un patriote qui a toujours défendu le Mali et ses intérêts. Qui dans ce pays ayant des responsabilités n’a pas collaboré avec ATT ? Là où on le juge, on doit juger la majorité de la classe politique malienne. Heureusement que le bon sens a prévalu. Tout le monde est revenu à la raison pour le bonheur du Mali. En ces moments durs que traverse notre pays, c’est l’heure de réconcilier tous les fils et filles du Mali. Le temps n’est pas aux querelles inutiles mais à la mutualisation des efforts pour sortir le pays de l’ornière. Donc je suis content, extrêmement satisfait de la décision de la représentation nationale de ne pas donner suite à cette affaire.
Amadou Cissé, député URD
Les députés ont compris…
Je suis très ému par cette décision, une décision courageuse prise pour l’intérêt supérieur du Mali. Une décision qui va au-delà des contingences politique et politicienne. Maintenant les choses sont claires. Dieu merci, le dossier n’a pas été gérer politiquement, il a été gérer comme il le faut. Les députés ont compris. Ils sont à saluer pour leurs sens de responsabilités. Le président Amadou Toumani Touré n’a pas trahi le pays comme l’a confirmé la commission. C’est aussi l’occasion de féliciter l’ensemble de la classe politique qui s’est prononcée en âme et conscience en appliquant strictement les textes en la matière. Ce vote doit être aussi le début d’une nouvelle ère de paix durable de réconciliation pour tous les maliens. ATT a toujours été un soldat de la paix et de la démocratie.
Moussa Timbiné, députe RPM
J’espère qu’ATT puisse revenir au bercail
C’est un beau jour pour la démocratie malienne. Ce vote est issu d’un processus tout à fait indépendant. Parce que si vous regardez au plus haut niveau de l’Etat, les responsables n’ont aucunement influencé la commission ni les groupe parlementaires qui étaient censé débattre de la question. D’abord au niveau des commissions qui ont travaillé dans la plus grande transparence et liberté. Puis au niveau de la plénière les débats se sont déroulée de façon vraiment démocratique. Comme je l’ai dit nous n’avons pas reçu de consigne venu d’en haut, ceci est la preuve que la démocratie s’enracine dans nos mœurs politiques. En cela je tenais à remercier le chef de l’Etat, Ibrahim Boubacar Keita pour son comportement républicain et démocratique et dire également que c’est le lieu de saluer l’Assemblée nationale pour avoir accepté de débattre sur un sujet aussi sensible. En effet, l’Assemblée pouvait mettre ce dossier explosif dans un tiroir et renvoyer la question aux calendes grecques, mais elle a préféré en débattre dans la plus grande sérénité. Je voudrais aussi féliciter l’ancien chef de l’Etat, Amadou Toumani Touré d’être blanchi au niveau de la représentation nationale vu le manque d éléments en son encontre, j’ose espérer que dans un bref délai, qu’il puisse rentrer au bercail et venir renforcer le processus de paix et de réconciliation. Et que lui et le président Keita puissent se donner la main pour inviter l’ensemble du peuple malien à aller davantage dans le sens de la réconciliation. Je suis très satisfait et content.
LES COULISSES DE L’ASSEMBLEE
Isaac menace d’annuler le vote
Vendredi tard dans la nuit, alors que le vote de la résolution sur une éventuelle mise en accusation de l’ancien Président ATT était en cours, le Président de l’Assemblée nationale, Isaac Sidibé qui avait du mal à calmer les ardeurs des députés, a menacé d’annuler le processus de vote.
En clair, plus ils votaient par appel public, plus les députés s’empressaient à s’exprimer.
Cependant, c’est la détermination des députés, certainement pressés de rendre à ATT son honneur qui semblait irriter le Président de l’Assemblée.
Sur le champ, Isaac Sidibé qui voyait mal l’empressement des élus à boucler ce dossier, a tout simplement menacé d’annuler le vote, soi-disant pour le remettre jusqu’au lendemain.
Finalement, l’honorable Yaya Sangaré, de l’Adema-Pasj remettra Isaac dans ses petits souliers.
«Non, Monsieur le Président, aucune disposition de la loi ne vous octroie le pouvoir d’annuler un vote en cours sur une résolution ».
De son perchoir, Isaac qui n’a pas apprécié cette remarque de l’honorable Sangaré l’invite au micro. Malgré tout, Yaya Sangaré n’abdiquera point.
Lors du décompte, la surprise fut grande : Ce sont 104 députés sur les 117 appelés à voter qui seront favorables à l’innocence du Président Amadou Toumani Touré.
Source: L’aube