Mohamed Kouraji était dans sa maison à Raqa pour préparer le retour de sa famille quand son père a été tué par une mine. Dans l’ex-bastion du groupe Etat islamique (EI) en Syrie, c’est devenu un drame banal.
“J’avais promis à ma femme qu’on reviendrait une fois que j’aurais nettoyé la maison”, confie le jeune homme de 26 ans, blessé, son corps frêle allongé sous des couvertures qui ne laissent dépasser que son visage aux yeux écarquillés.
Les jihadistes ont été chassés de Raqa (nord) en octobre, mais la mort rôde toujours.
Sous les décombres ou dans les immeubles ravagés par les combats, la multitude de mines qu’ils ont laissées derrière eux fauchent quotidiennement la vie des habitants ayant fait le pari du retour.
Certains sont blessés ou tués “en ouvrant leur frigidaire ou leur machine à laver, en déplaçant un gros sac de sucre abandonné ou simplement en ouvrant la porte de leur chambre à coucher”, relève Human Rights Watch (HRW).
Dans la maison de M. Kouraji, rentré depuis plus de deux mois, le détonateur de la mine était dissimulé sous un Coran.
“C’était terrifiant. J’ai été projeté chez les voisins, un mur est tombé sur mon père”, se souvient le jeune blessé, père de deux enfants, dont l’aîné a trois ans.
Il exhibe ses jambes, sur lesquelles des attelles ont été posées et des vis plantées dans ses tibias.
– ‘Business lucratif’ –
Les milliers de familles pressées de rentrer à Raqa n’ont d’autres choix que de déminer leur quartier avec les moyens du bord.
Elles pointent du doigt l’impuissance des autorités installées par les Forces démocratiques syriennes (FDS), la coalition de combattants arabes et kurdes syriens soutenue par les Etats-Unis qui a reconquis la ville.
Face à la lenteur des opérations de déminage, des particuliers louent leurs services aux habitants, réclamant parfois jusqu’à 100 dollars par intervention, une petite fortune pour une population ruinée par le conflit.
“C’est devenu un business lucratif, à cause de la négligence des responsables, et nous, on n’a pas les moyens”, lâche amèrement Hamed Saleh, 28 ans.
A cause des mines, il a condamné l’accès à une partie de sa maison. “A tout moment, si un chat passe, une mine peut exploser, ça fait très peur”, se lamente-t-il.
Dans la ville ravagée par les combats et les frappes aériennes de la coalition internationale anti-EI, un semblant de vie a fait son apparition.
Devant un immeuble éventré, des petits vêtus de pull-over trop grands pour eux fouillent à mains nues un tas de décombres, au milieu de barres de fer déglinguées et de tôles ondulées.
Des hommes munis de pioches et de pelles déblaient les gravats d’un immeuble. Parfois, ils sortent des explosifs encore intacts.
– ‘Enfermés à la maison’ –
Cette semaine, HRW a tiré la sonnette d’alarme: entre le 21 octobre et le 20 janvier, “les mines ont blessé au moins 491 personnes, dont 157 enfants, et de nombreuses victimes sont décédées”.
“Dans un seul district, une assemblée de quartier reçoit environ dix demandes par jour pour une inspection de domicile. Les autorités locales ne peuvent mener que dix opérations par semaine, dans toute la ville”, a souligné l’ONG dans un communiqué.
Goh Mayama, un responsable sur le terrain de Médecins Sans Frontières (MSF), assure que sa clinique reçoit chaque jour en moyenne six personnes blessées par l’explosion d’une mine. Selon lui, près d’un quart des blessés décèdent.
Les FDS assurent avoir déminé une partie de la ville, notamment les hôpitaux et les écoles, mais le commandant Lokmane Khalil souligne l’ampleur de la tâche: “Il y a beaucoup de mines, ça va prendre du temps”.
Il estime aussi que les habitants portent une part de responsabilité.
“On était contre le retour des civils” dans la ville, “mais ils ont fait pression car ils vivaient dans des conditions difficiles”, notamment dans des camps de déplacés, dit-il.
Le commandant Khalil précise que ses hommes sont formés au déminage par les pays membres de la coalition internationale antijihadistes, qui regroupe notamment les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni.
Mais Abou Mohammed se plaint de l’inaction des autorités. “On va chez les responsables pour qu’ils viennent enlever les obus et les mines mais personne nous écoute”, se lamente-t-il.
Ce quadragénaire interdit à ses trois enfants de sortir dans la rue: “Je les enferme à la maison pour qu’une mine n’explose pas à leur passage”.
AFP