Mali Course contre montre
La présidentielle aura lieu le 29 juillet. Une gageure pour le gouvernement, qui dispose de cinq mois pour organiser le scrutin dans un climat sécuritaire tendu et alors qu’une partie du pays échappe au contrôle de l’État.
Tout Bamako bruissait de rumeurs ces derniers mois. Certains redoutaient un report de la présidentielle. D’autres évoquaient la mise sur pied d’un gouvernement d’union nationale, voire d’un régime de transition. Face à la multiplication des attaques, de Mopti à Kidal en passant par Tombouctou, beaucoup de Maliens s’interrogeaient: pourront-ils se rendre aux urnes, en juillet prochain, pour élire leur président? Réponse leur a été donnée à la mi-février par Soumeylou Boubèye Maiga. Lors d’une tournée dans le centre du pays, le Premier ministre – et fidèle lieutenant du président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) – a annoncé que le premier tour se tiendrait bien le dimanche 29 juillet, comme prévu.
Pour le pouvoir en place, il ne pouvait en être autrement. IBK ne le dit pas encore publiquement, mais il sera, sauf coup de théâtre, candidat à un second mandat. Ne pas être en mesure d’organiser l’élection dans les délais constitutionnels aurait été un aveu d’échec pour celui qui promettait de restaurer l’État de droit après la crise qui a ébranlé le pays en 2012-2013.
À la présidence et dans les ministères, une course contre la montre est désormais lancée. Il reste cinq mois aux autorités pour organiser des élections crédibles sur un territoire immense, dont certaines zones échappent toujours au contrôle de l’administration et de l’armée. Sécurité, logistique, financement, réclamations de l’opposition… Les défis à relever sont nombreux.
Craintes sécuritaires
Cinq ans après le début de l’opération française Serval, la situation sécuritaire reste très tendue. Les principales katibas jihadistes se sont rapprochées, en 2017, pour former le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, commandé par Iyad Ag Ghaly. Bien implantées dans le nord et le centre du pays, elles mènent des attaques aussi régulières que meurtrières contre les Forces armées maliennes (Famas), les Casques bleus de la Minusma ou, plus rarement, les soldats français de la force Barkhane. Le bilan est parfois très lourd, comme à Soumpi, au sud-ouest de Tombouctou, où 14 militaires maliens ont perdu la vie le 27 janvier. Les civils ne sont pas épargnés par la violence. Deux jours avant cette attaque, 24 personnes périssaient dans l’explosion de leur bus sur une mine près de Boni.
Dans ce climat anxiogène, et alors que les jihadistes maîtrisent parfaitement le terrain et les techniques de guérilla, les forces maliennes auront pour lourde tâche de sécuriser les bureaux de vote. Dans les zones du Nord où les Famas ne sont pas déployées, les autorités entendent s’appuyer sur les groupes armés signataires de l’accord de paix d’Alger. Elles espèrent également que la force conjointe du G5 Sahel, qui se concentrera sur les zones frontalières, sera opérationnelle d’ici là. La Minusma, dont le mandat consiste aussi à assister le processus électoral, pourrait de son côté mobiliser plus de 7000 militaires et policiers pour le scrutin.
La sécurisation du centre du pays, bien plus peuplé que le Nord (et donc avec davantage de bureaux de vote), sera une préoccupation majeure de cette élection. A Mopti, Soumeylou Boubèye Maîga a promis que l’État allait déployer tous les moyens pour y parvenir. Son gouvernement a mis sur pied un « plan de sécurisation » des régions du Centre, qui prévoit un renfort des effectifs militaires grâce à un soutien financier de 500 millions de F CFA (762 000 euros), ou encore le déploiement de préfets dans les zones où l’administration est absente. «Nous avons déjà fait des progrès, soutient une source à la présidence. Depuis l’interdiction de circuler à moto ou en pick-up dans plusieurs cercles, au début de février, le nombre d’attaques a chuté. »
Parallèlement, les autorités ont lancé un dialogue avec les responsables civils, communautaires ou encore religieux du Centre. Objectif: s’assurer de leur soutien et pacifier cette région souvent secouée par des tensions communautaires. Le professeur Ali Nouhoum Diallo, ancien président de l’Assemblée nationale et figure respectée de la communauté peule, joue ainsi les médiateurs.
La logistique, un casse-tête !
Le premier tour est donc prévu le 29 juillet, et l’éventuel second deux semaines plus tard, le 12 août. Ce calendrier doit permettre l’investiture du nouveau chef de l’État avant le 4 septembre, soit cinq ans jour pour jour après celle d’IBK. Mais la période, imposée en 2013 par les partenaires internationaux du Mali, est loin d’être idéale : elle correspond à l’hivernage. À cette saison, beaucoup de Maliens sont plus préoccupés par leur champ que par la politique, et les inondations peuvent rendre certaines zones inaccessibles.
Entre ces paramètres et les menaces sécuritaires, les observateurs craignent que, comme en 2013, nombre d’électeurs — surplus de 7 millions attendus aux 7 urnes – n’aient pas la possibilité de voter. À Bamako, on assure que tout sera mis en œuvre pour que chaque Malien puisse s’exprimer. « Les gens évoquent les mêmes difficultés qu’il y a cinq ans, mais les choses ont évolué. L’État est mieux structuré, a plus de moyens et plus d’expérience », affirme un proche d’IBK, qui met en avant le déroulement des élections communales de 2016, où, selon lui, «seule une cinquantaine de communes» n’ont pu voter sur plus de 700.
L’armée malienne dispose désormais de quelques avions et hélicoptères, qui pourront être utilisés pour acheminer du matériel électoral vers les centres de vote les plus reculés. De son côté, la Minusma restera un maillon logistique essentiel pour l’organisation du scrutin. Dotée de moyens aériens variés, elle aidera à distribuer le matériel et à transporter les personnels électoraux à travers le pays. Elle travaille aussi à finaliser la construction de 11 entrepôts de stockage de matériel électoral dans le Nord et dans le Centre. «Nous avons déjà plusieurs équipes qui travaillent sur la présidentielle. Nous sommes confiants : le timing était beaucoup plus serré en 2013, quand nous avions dû gérer les élections en deux mois », confie une source onusienne à Bamako.
Un fichier à mettre à jour
Depuis la fin de 2017, un recensement des « nouveaux majeurs » est en cours pour leur permettre de voter à la présidentielle. Cette révision exceptionnelle des listes électorales est censée se terminer au début de mars – un délai jugé parfois tardif par les observateurs. A tire de comparaison, le Sénégal, qui tiendra sa prochaine présidentielle en février 2019, a calé ces opérations de recensement du 1er mars au 30 avril 2018.
Une fois cette étape bouclée, le fichier électoral devrait être audité et mis à jour, probablement par des experts de l’Organisation internationale de la francophonie. Réclamé par l’opposition, cet audit devrait être conduit d’ici à la fin d’avril.
Le gouvernement envisage également de produire de nouvelles cartes biométriques pour remplacer les cartes Nina (numéro d’identification nationale), utilisées depuis 2013. « Le lieu et le numéro du bureau de vote y seraient inscrits, ce qui permettrait de régler les problèmes d’orientation des électeurs », explique le général Siaka Sangaré, délégué général aux élections. Cette option mettrait aussi un terme aux interrogations entourant le surplus de production de 900 000 cartes Nina commandées en 2013, pointé dans le rapport du Vérificateur général en 2014.
D’après Mohamed Ag Erlaf, le ministre de l’Administration territoriale, l’hypothèse de nouvelles cartes est sérieusement envisagée, mais aucun appel d’offres n’a pour l’instant été lancé. « Le processus peut être rapide, garantit-il. Quand l’audit du fichier électoral sera terminé, la production de nouvelles cartes pourra démarrer. Nous pouvons donc envisager le début de leur distribution en juin. »
Qui va payer
Selon les premières estimations du gouvernement, le budget global pour l’organisation des élections en 2018 (la présidentielle donc, mais aussi les législatives et des élections locales) est d’environ 96 milliards de F CFA. Une enveloppe qui couvre les dépenses de toutes les institutions impliquées dans l’organisation de ces scrutins: le ministère de l’Administration territoriale, la commission électorale, la Délégation générale aux élections, la Cour constitutionnelle… L’État malien ne bénéficie pas d’aides extérieures directes pour financer les élections, mais il pourra, explique une source au sein de l’exécutif, se servir des sommes annuellement versées par ses partenaires internationaux pour boucler le budget.
Les futurs candidats devront, eux, payer une caution de 25 millions de F CFA, contre seulement 10 millions de FCFA lors de la dernière présidentielle. Cette caution leur sera remboursée par l’État s’ils parviennent à récolter plus de 5 % des suffrages exprimés au premier tour. S’ajoute à ces frais l’éventuel coût de production de nouvelles cartes d’électeurs. Selon nos estimations, il reviendrait à environ 10,5 millions d’euros (en se fondant sur 1,50 euro par carte, pour 7 millions d’électeurs).
L’opposition veille
Comme souvent à l’approche d’une présidentielle sur le continent, les opposants alertent sur les risques de fraude. En passe d’obtenir satisfaction sur l’audit du fichier électoral, ils attendent encore des garanties sur de nombreux autres paramètres, comme la méthode de compilation des résultats ou les moyens d’empêcher un électeur de voter plusieurs fois. « Nous essayons de contrer toutes les techniques de fraude, explique Soumaila Cissé, président de l’Union pour la république et la démocratie (URD) et chef de file de l’opposition. Nous avons par ailleurs demandé que les représentants de l’opposition aient davantage de responsabilités dans les bureaux de vote le jour du scrutin. » À la fin de novembre 2017, son parti s’inquiétait du « renouvellement précipité de plus de la moitié du corps préfectoral et de la totalité des préfets des régions de Kayes et de Tombouctou ». Face au poids du ministère de l’Administration territoriale, qui a la haute main sur l’organisation des élections au Mali, les opposants réclament un renforcement des prérogatives de la commission électorale.
Depuis le début de février, des réunions ont lieu chaque semaine au ministère de l’Administration territoriale entre membres de la majorité et membres de l’opposition pour revoir la loi électorale avant la présidentielle. À l’issue de ces discussions, une proposition de relecture du texte devrait être soumise au gouvernement, puis à l’Assemblée nationale.
Enfin, l’opposition compte sur la présence de nombreux observateurs étrangers, et notamment ceux de l’Union européenne (UE), pour garantir la transparence et la crédibilité du scrutin. Or la venue d’une mission d’observation électorale de l’UE au Mali n’est pas encore validée: le 22 janvier, lors d’une réunion à Bruxelles, les responsables européens ont indiqué aux autorités maliennes qu’ils n’enverraient pas d’observateurs tant que leurs recommandations formulées en 2013 ne sont pas mises en œuvre.
BENJAMIN ROGER
Jeune Afrique
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UN POUR TOUS ET TOUS POUR UN ?
Les leaders de l’opposition le répètent haut et fort: tout ce qui compte est de battre IBK pour obtenir l’alternance et « sauver le Mali ». Conscients qu’ils devront unir leurs forces, ils travaillent à un projet d’alliance. Certains espèrent même aboutir à une candidature unique. Reste à trouver celui qui pourrait faire consensus — et surtout obtenir des autres qu’ils retirent leur candidature à son profit —, et là rien n’est gagné… Parmi les principaux opposants figurent Sournaïla Cissé, président de l’Union pour la république et la démocratie (URD) et challenger malheureux d’IBK en 2013; Tiébilé Drame, président du Parti pour la renaissance nationale (Parena); Modibo Sidibé, président des Forces alternatives pour le renouveau et l’émergence (Fore An Ka Wili); Moussa Mara, président de Yelema ; ou encore Moussa Sinko Coulibaly, un général qui a récemment quitté l’armée.
Jeune Afrique
Mali Course contre montre
Source : Le Républicain