Endimanché aux couleurs du parti Ennahdha, Simon Slama se fond parmi les autres membres de la liste islamiste dans la ville de Monastir. Sa présence est toutefois singulière, puisqu’il s’agit du seul candidat de confession juive des municipales en Tunisie.
Coup de “com” pour les uns, preuve d’ouverture du mouvement islamiste pour d’autres: même s’il n’arrive qu’en 7e position d’une liste qui ne part pas favorite, sa candidature a fait couler beaucoup d’encre à l’approche du scrutin du 6 mai.
Dès le premier jour de campagne, cet artisan de 54 ans s’est joint aux autres candidats pour taper joyeusement des mains sur des rythmes orientaux, lors d’une réunion publique à Monastir, ville côtière de l’est tunisien.
“Toute ma famille était contre mon choix. Mon frère était en colère et ma femme est restée des jours à ne pas m’adresser la parole, mais j’ai su les convaincre”, affirme à l’AFP Simon Slama, en souriant timidement et en serrant nerveusement ses mains.
Le symbole est fort, venant de l’une des dernières familles juives de la région. “Il est issu des anciennes familles, il a ses racines à Monastir (…) et il connaît les problèmes de la ville”, argue Chokri ben Janet, la tête de liste d’Ennahdha à Monastir, la ville du père de l’indépendance, Habib Bourguiba.
M. Slama assure avoir choisi par conviction Ennahdha, qu’il qualifie de “mouvement le plus actif et le plus sérieux sur la scène politique”.
– “Strip-tease politique” –
“Ennahdha a changé de stratégie, ce n’est plus un parti religieux, c’est un parti civil”, poursuit ce réparateur de machines à coudre, costume bleu et chemise blanche, les couleurs du parti.
De fait, après une première expérience mitigée au pouvoir dans le sillage de la révolution de 2011, le mouvement n’a de cesse de faire valoir sa modération.
Associé au sein de l’actuel gouvernement à son grand rival d’hier –Nidaa Tounes, le parti créé par le président Béji Caïd Essebsi–, Ennahdha n’a pas soutenu un projet de loi criminalisant la normalisation avec Israël, qui n’a finalement pas été soumis au vote cet hiver.
Dans le cadre de ces premières élections locales depuis la chute de la dictature, il a promu comme têtes de liste des femmes ne portant pas le voile.
En écho à cette stratégie politique, les adversaires d’Ennahdha accusent le parti d'”exploiter” la candidature de M. Slama.
Ce parti “fait du strip-tease politique”, a lancé à la radio Borhane Bssaïs, chargé des affaires politiques à Nidaa Tounès.
Mais, pour d’autres, cette candidature marque aussi la volonté des Tunisiens de confession juive d’exister politiquement à l’occasion de ces municipales, qui seront suivies en 2019 des législatives et de la présidentielle.
“Cette candidature est une fierté pour la communauté” juive, affirme René Trabelsi, organisateur du pèlerinage juif de la Ghriba, du nom de la plus célèbre synagogue de Djerba (sud).
“Elle a donné une belle image de la Tunisie ouverte qu’on veut partager”, ajoute cet homme d’affaires, dont le nom avait un temps circulé en 2013 pour le poste de ministre du Tourisme.
– “Le Coran et la Torah” –
Par sa candidature, Simon Slama juge pour sa part avoir “enlevé une angoisse aux citoyens juifs tunisiens”, en les incitant à “vivre leur vie normalement”.
S’il est élu, il affirme qu’il prêtera serment “sur deux livres”, le Coran et la Torah.
En Tunisie, si cette candidature témoigne du fait que les citoyens de confession juive peuvent pratiquer librement leur religion, elle ne masque pas un manque d’intégration dans la vie politique.
Dans son histoire, la Tunisie a connu des ministres et députés de confession juives. Mais depuis l’ère Bourguiba, leur participation politique est restée minime.
Forte de plusieurs centaines de milliers d’âmes avant l’indépendance, la communauté juive en Tunisie est de seulement 1.200 de nos jours, qui vivent notamment sur l’île de Djerba.
Certains responsables politiques et associatifs regrettent par ailleurs que la confession d’un candidat soit à ce point mise en exergue.
Cette médiatisation témoigne de “cette obsession que nous avons tous de juger sur une chose aussi intime que la conviction religieuse”, dit Yamina Thabet, responsable de l’Association tunisienne de soutien des minorités.
Elle déplore en outre que la Constitution tunisienne de 2014, tant louée à l’étrange, interdise “à ce même candidat juif de se présenter à l’élection présidentielle” (article 74).
Candidat en 2011 sur une liste pour l’Assemblée constituante, Jacob Lellouche, président d’une association militant pour la sauvegarde du patrimoine judéo-tunisien, renchérit: “La sexualité et la religion, ce sont des choses personnelles”.
AFP