Pour son rapport de l’année 2017, l’ancien bureau du Vérificateur Général a procédé à une vérification de performance des procédures de création, d’ouverture et de fonctionnement des établissements privés d’enseignement. Cette mission de vérification a relevé des dysfonctionnements et insuffisances qui se sont traduits par des manquements dans l’application des textes en vigueur ainsi que dans les mécanismes de suivi et de contrôle. Ces manquements sont de nature à compromettre l’atteinte des objectifs d’économie, d’efficience et d’efficacité nécessaires au bon fonctionnement des établissements privés d’enseignement. Comme pour dire qu’une Omerta couvre les procédures de création, d’ouverture et de fonctionnement des établissements d’enseignements privés.
La mission a relevé de graves manquements dans l’application des dispositions législatives et règlementaires encadrant les processus de création, d’ouverture et de fonctionnement des établissements d’enseignements privés. Ainsi, le rapport fait remarquer que les Gouverneurs accordent des autorisations de création d’établissements privés d’enseignement en l’absence de carte scolaire. Le ministère de l’Education n’ayant pas fixé les modalités d’élaboration de la carte scolaire, les décisions de création de ces établissements s’appuient uniquement sur les avis techniques des Académies d’Enseignement (AE) et des Centres d’Animation Pédagogiques (CAP). Pour le rapport du Bureau de Vérificateur général, la création des établissements en l’absence de carte scolaire, favorise une installation anarchique et ne permet pas une utilisation efficiente desdits établissements.
Aussi, le ministère en charge de l’Education nationale accorde, à des établissements privés d’enseignement, des autorisations d’ouverture non conformes. Il a accordé des autorisations d’ouverture alors que les dossiers d’ouverture validés ne contiennent pas des documents requis tels que, notamment, le plan détaillé des locaux et des installations sanitaires, l’attestation indiquant que l’intéressé dispose d’une caution bancaire ou d’un compte alimenté d’un montant égal au moins aux charges de fonctionnement d’un semestre de l’établissement et la copie certifiée conforme du titre de propriété des locaux ou le contrat de bail et le reçu certifiant le paiement d’au moins un trimestre de loyer. Car, l’octroi d’autorisation d’ouverture sur la base de dossiers incomplets, aboutit à l’installation d’établissements privés d’enseignement qui n’offrent pas de conditions requises de formation et d’apprentissage. En outre, le ministère n’a pas élaboré de cahier de charges pour les ordres d’enseignement secondaire et fondamental, contrairement aux exigences de la loi relative aux établissements privés d’enseignement en République du Mali. L’absence de cahier de charges ne favorise pas la détermination et le suivi des obligations qui incombent aux établissements privés d’enseignement, ce qui ne permet pas d’apprécier l’efficacité desdits établissements.
Aussi, le rapport note que le Département ne respecte pas la réglementation en matière d’orientation des élèves. Les critères d’éligibilité sur la base desquels il oriente les élèves de l’Etat ne reposent pas sur des dispositions législatives et règlementaires. En conséquence, sur la période sous-revue, le nombre d’élèves orienté par établissement varie de manière disproportionnée d’une année scolaire à une autre. En outre, des établissements d’enseignement secondaire général ont reçu plus d’élèves orientés que d’autres, alors qu’ils ont obtenu moins de points, suivant les critères d’éligibilité établis par le ministère de l’Education Nationale. Cette incohérence est perceptible dans plusieurs quartiers du District de Bamako et de la Région de Koulikoro. De plus, des établissements d’enseignement secondaire, bien qu’éligibles et disposant d’infrastructures scolaires adéquates, n’ont reçu aucun élève orienté de l’Etat, alors que des établissements nouvellement créés mais ne remplissant pas les critères de capacité d’accueil, en ont bénéficié.
Par ailleurs, la grille de notation utilisée par la commission d’orientation n’attribue que 5 points sur 100 au critère de résultats des examens alors qu’elle prévoit 25 points pour le critère d’administration de l’établissement, 30 points pour les infrastructures et les équipements, pour l’environnement de l’établissement et 30 points pour le personnel. Ainsi, des établissements privés d’enseignement secondaire affichant des résultats d’examen en dessous de la moyenne annuelle reçoivent des élèves de l’Etat. L’absence de critères pertinents, constants et cohérents entraîne des orientations ne reposant pas sur des exigences de performance.
Les dispositions réglementaires encadrant la création et l’ouverture des établissements privés présentent des insuffisances
En effet, les textes régissant le processus de création des établissements privés d’enseignement ne prévoient pas d’incompatibilité pour la qualité de déclarant. En effet, des personnes, partie-prenantes des processus de création, d’ouverture, d’orientation et de contrôle peuvent devenir également des promoteurs d’établissements privés d’enseignement. Aussi, des fonctionnaires ou autres agents publics en activité sont promoteurs d’établissements privés d’enseignement. Pour le rapport, l’ouverture du secteur de l’enseignement à tous les statuts, en l’absence de dispositions réglementaires encadrant les conditions d’accession à la qualité de déclarant constitue un frein à l’efficacité de la gestion administrative et pédagogique des établissements privés d’enseignement. De plus les textes relatifs aux établissements privés d’enseignement au Mali ne donnent aucune définition de la reconnaissance d’utilité publique au-delà de ces conditions d’obtention. Car, l’absence de définition de la notion d’utilité publique favorise, par conséquent une interprétation dans son application.
Egalement, le Département ne s’assure pas du respect, par les établissements privés, des nouvelles dispositions réglementaires des établissements privés d’enseignement créés et ouverts, avant l’adoption de la loi en vigueur relative aux établissements privés d’enseignement au Mali. Il en résulte que ces derniers ne remplissent pas toutes les conditions exigées par la loi, notamment les certifications des services d’assainissement d’eau et d’électricité. La non-régularisation des autorisations de création et d’ouverture des établissements privés d’enseignement ne permet pas de s’assurer de la mise en œuvre et du respect des conditions d’hygiène et d’assainissement par les établissements privés d’enseignement.
Manquements relevés dans les mécanismes de suivi et de contrôle du fonctionnement des établissements privés
Ici, le rapport indique que le ministère de l’Education Nationale n’effectue pas un suivi efficace des établissements privés d’enseignement. Ainsi, de nombreux établissements privés d’enseignement ne respectent pas les dispositions réglementaires relatives à leur fonctionnement. Concernant la tenue des documents de gestion, sur les 61 établissements visités par la mission, 29 ne tiennent pas de registres d’employeur soit 48%, 19 de registre de paiements soit 31% et 23 de registre de note soit 38%. Et, il est connu de tous que la non-tenue des registres obligatoires est un manquement aux obligations redditionnelles des directeurs et ne garantit pas la transparence dans la gestion des établissements concernés.
Concernant la gestion du personnel, sur les 61 établissements visités, 95% ne disposent pas de personnel enseignant dont le tiers, au moins, est permanent. En outre, des établissements privés emploient des enseignants détenteurs de fausses attestations de réussite. Aussi, l’emploi exclusif des enseignants vacataires et des enseignants non qualifiés est une entorse à la règlementation en vigueur et ne garantit pas la continuité et la qualité des enseignements.
Concernant les équipements et les infrastructures, plus de 80% des établissements visités ne disposent pas d’ateliers de travaux pratiques, de laboratoires et de bibliothèques. L’exercice de l’enseignement secondaire en l’absence de bibliothèques et de salles équipées destinées aux travaux dirigés ou pratiques ne favorise pas la préparation des élèves pour les épreuves générales, techniques et expérimentales et par conséquent diminue les performances scolaires.
Le rapport note que le Département de l’Education nationale ne maîtrise pas le nombre et l’état de fonctionnement des établissements privés d’enseignement. En effet, des établissements ayant reçu des élèves de l’État ne commencent à fonctionner que lorsque les Académies d’Enseignement de Bamako le décèlent. Ainsi, des établissements ont encaissé des montants indus de frais scolaires et de demi-bourses sans assurer en contrepartie, la formation et l’encadrement des élèves. La non-maitrise de la situation des établissements privés d’enseignement conduit à l’orientation des élèves dans des structures non fonctionnelles. Les échéances de paiement des frais scolaires ne sont pas respectées. Sur la période sous revue, c’est-à-dire 2013 à 2016, les paiements de frais scolaires sont effectués en retard par rapport au calendrier initialement prévu. Et, les retards de paiement peuvent engendrer des difficultés dans le fonctionnement des établissements qui encadrent majoritairement des élèves orientés par l’État.
Le Département n’exerce pas de contrôles sur le processus de paiement des frais scolaires et des demi-bourses
Le rapport 2017 du Bureau du Vérificateur Général note que les montants des frais scolaires et demi-bourses, dus, sont différents de ceux réellement payés à des établissements privés d’enseignement secondaire sur la période. En effet, il existe des écarts importants entre les effectifs des états de paiement et les effectifs réels ayant suivi des formations dans lesdits établissements. Des promoteurs d’établissements privés établissent des projets d’états surévalués en termes d’élèves. Le rapport trouve que les Académies d’Enseignement qui sont les interlocutrices des établissements transmettent les états produits par ces derniers, sans aucun contrôle formel, aux directions nationales concernées pour vérification et validation. Les directions à leur tour ne procèdent qu’à un contrôle de conformité portant sur les numéros matricules des élèves sans d’autres types de vérification. Les paiements de frais scolaires et de demi-bourses sur la base d’effectifs fictifs ont causé des préjudices financiers à l’État sur la période sous revue. Toutes ces insuffisances dénotent une absence de procédures de traitement et de contrôle formelles des dossiers de paiement des frais scolaires et des demi bourses, ce qui ne garantit pas l’efficacité et l’efficience de ce processus.
Il importe de retenir que, les dépenses effectuées au titre des frais scolaires et de formation -y compris les demi-bourses- s’élèvent à 38,5 milliards de FCFA pour la période allant de 2013 à 2016. Par ailleurs, au titre de la rentrée scolaire 2015-2016, sur un total de 17 467, on dénombre 3 165 établissements privés d’enseignement fondamental ayant reçu 16% de l’effectif total des élèves, estimé à 3 037 015. Pour la même période, sur un total de 1 242, on compte 1 147 établissements privés d’enseignement secondaire ayant accueilli 64% de l’effectif total des élèves estimé à 317 656.
Selon le rapport, l’Inspection Générale de l’Education Nationale et l’Inspection Pédagogique Régionale de l’Enseignement Secondaire n’assurent pas pleinement leurs missions. En effet, dans le cadre des contrôles administratifs, pédagogiques et financiers, des établissements privés d’enseignement n’ont pas fait l’objet de mission d’inspection depuis leur création. Cette contre-performance des structures d’inspection s’explique par l’insuffisance des ressources humaines, matérielles et financières nécessaires à l’exécution des missions qui leur sont assignées. La non-opérationnalisation des services d’inspection empêche la détection et la prévention des dysfonctionnements liés au fonctionnement des établissements privés d’enseignement et peut freiner l’atteinte des objectifs du MEN.
Alors, vivement la bonne application des textes en la matière.
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Dieudonné Tembely
Source: Inf@Sept