Grève des magistrats, mise en demeure des importateurs de gaz pour non paiement des subventions, insuffisance de fonds pour payer les heures supplémentaires des enseignants du supérieur, retard de paiement des subventions pour les écoles privées et le pire, “pas d’argent au Trésor”, sont autant de facteurs indiquant qu’au delà de la simple difficulté passagère, l’État serait au bord du dépôt de bilan. Ces indices et le déficit énorme d’environ 440 milliards de francs CFA (loi de finance 2019) corroborent l’idée selon laquelle l’Etat court à sa perte.
Le dépôt de bilan est une notion propre au droit des entreprises, plus particulièrement au droit des entreprises en difficulté. Aussi, la notion est-elle impropre à qualifier la situation actuelle de l’Etat mais le terme est employé ici par assimilation. La faillite d’un Etat est plus éventuelle que réelle. En effet, le dépôt de bilan est généralement synonyme de liquidation d’une entreprise, or un Etat ne saurait disparaître en raison de son endettement. On a vu le cas de la Grèce. Le monde entier a vu des familles en larmes pour la baisse de leurs pouvoirs d’achat, la perte de leurs logements. Mais nos ménages font face à cela tous les jours que Dieu fait. Nous ignorons ce qu’est le pouvoir d’achat, nous payons, c’est tout. Pourtant, la «faillite» de l’État malien nous intéresse au plus haut point. Si nous avons appris à vivre avec son insolvabilité légendaire (Pays Pauvre et Très Endetté-PPTE), nous pensons avoir le droit constitutionnel de nous indigner face au silence coupable de certaines institutions dont la mission principale est justement de faire la lumière sur tout fait de nature à porter atteinte aux intérêts du peuple malien.
Voyons en premier lieu ce qu’est une faillite, ensuite on tentera d’expliquer pourquoi l’État malien serait-il au bord de la faillite.
D’abord sa cessation de paiement, encore une notion spécifique au droit des entreprises en difficulté, est incontestable et incontestée. En effet, débiteur de nombreuses créances échues et exigées, l’État malien, si l’on devait lui appliquer la notion de cessation de paiements (en dépit des réserves de crédit ou de ressources d’origine minière), est dans une situation exécrable. Cette cessation de paiements qu’il traîne depuis des décennies, est en phase de creuser un gouffre financier sans précédent. Bien sûr, les nombreux projets de lois en faveur des conventions de prêt de plusieurs milliards pourraient atténuer le phénomène sans l’endiguer. Ces prêts ayant été déjà affectés à des dépenses particulières, ni les magistrats, ni les gaziers, ni même les enseignants du supérieur n’en bénéficieront. On trouvera bien des solutions de substitution, quitte à laisser d’autres trous que l’on comblera, tant bien que mal plus tard. C’est ainsi que ça marche !
Mais restons concentrés sur le présent. La grève des magistrats a été l’occasion des révélations terribles. Des vérités ou accusations fallacieuses, ces révélations nous donnent des indices pertinents sur les causes de la faillite en perspective de notre État. La mauvaise gestion des deniers publics, alors même qu’on avait promis d’améliorer la gouvernance et, le silence coupable de ceux qui doivent dénoncer, y sont pour beaucoup.
Je n’accuse personne même si le silence gardé sur un délit est aussi grave et punissable (au titre de la complicité passive, art. 25 Code pénal) que le délit dénoncé tardivement pour se venger ou pour faire chanter. Par ailleurs, le silence du parlement, après la délation, me laisse pantois ! Peut-être qu’il y aurait des interpellations les jours à venir pour donner la chance à l’exécutif de se défendre, ça serait, en tout cas, la preuve de l’utilité de nos honorables membres de l’Assemblée. Je sais que l’’institution croule sous le poids du travail et de la préparation des campagnes. La tâche épuisante d’étudier quelques projets de lois (et très peu de propositions) ne laisse certainement pas de place à la possibilité de vaquer à d’autres occupations. Puis, à quoi bon jeter de l’huile sur le feu inutilement ? Peut-être pour jouer le jeu de la démocratie ou tout simplement rester fidèle aux termes du mandat de représentation. En tout cas, cela éviterait qu’au delà de l’immunité de juridiction de l’article 613 Code de procédure pénale, on ne contribue à mettre en place une immunité totale.
Trois milliards 500 millions dû aux gaziers, cela correspond étrangement au montant qui aurait disparu selon nos magistrats. Coïncidence ou lien de causalité, difficile à dire. Mais si à une pénurie de gaz, quoique le charbon et le bois soient des palliatifs, s’ajoute un refus de rentrer des promoteurs d’écoles privées, les ménages pourraient envahir les rues de Bamako. Alors la belle investiture pourrait ressembler à une farce. Mais allons ! Ne soyons pas trop alarmistes. Ce n’est pas à un vieux singe que l’on va apprendre à faire des grimaces !
Pardonnez l’insolence d’un jeune naïf et à la limite, sot. Mais le temps n’est plus à la luxure, le malien voudrait manger et boire de l’eau potable sans avoir à traverser des rues délabrées et dont la sécurité laisse à désirer pour aller se ravitailler. Si l’on doit prendre la main tendue, c’est dans l’espoir d’une réconciliation, la perspective d’un rattrapage de l’échec du dernier bilan.
De toute façon, quelques soient les données du problème, à défaut de pouvoir utiliser la télécommande magique pour revenir en arrière, je m’inscris dans la logique d’un soutien au pouvoir investi, pourvu qu’il ne soit pas laxiste et ne favorise pas la métastase du désordre. Il devra alors mater la corruption et la délinquance financière au sommet de l’Etat. Il a un devoir patriotique de réconcilier les institutions de la République par la force du dialogue et des concessions.
Bref, oui, il nous faut aller à l’essentiel, on sait qu’en dépit des belles fêtes d’indépendance, le pays ne demeure pas moins esclave des créanciers étrangers. C’est peut-être cela le drame. Le Mali, Pays Pauvre et Très Endetté (PPTE), a les moyens de perdre des sommes faramineuses. Mais le drame, c’est le quotidien du malien lambda. Il serait peut-être temps que les dettes contractées en son nom et les dons acceptés humblement pour son compte lui profitent enfin. Vous ne croyez pas, et ce d’autant plus qu’il y aurait, selon l’ONU, 4,5 millions de personnes en insécurité alimentaire ?????
Chargé de cours FDPRI
Auteur du Manuel « Droit des Affaires en zone Ohada » et de l’ouvrage « Les Origines du mal : le trépas de l’Etat de droit et l’échec de la démocratie »
Point vue faillite Etat imminente
Source: Le Challenger