Pour donner un crédit à sa décision de réquisitionner les magistrats aux yeux de l’opinion, le gouvernement a, dans un communiqué conçu pour le besoin, aligné une série de contre-vérités qui ne résistent pas à une analyse avisée.
Pour nous y livrer, un rappel des faits s’impose.
Depuis quelques années, les syndicats de magistrats ont présenté au gouvernement un cahier de doléances, axées essentiellement sur un meilleur traitement et une sécurisation significative des fonctionnaires de la justice et de l’environnement dans lequel ils exercent leurs fonctions. En somme, une amélioration de leurs conditions de vie et de travail.
Pour y trouver des solutions, une série de rencontres a regroupé d’abord les syndicats et le garde des sceaux pour faire le tour des revendications et voir ensemble ce qui était raisonnablement possible pour l’Etat. Les revendications connues, il fallait les soumettre à l’avis d’experts financiers aux fins de déterminer la capacité du budget à les supporter. Entre-temps, à l’initiative du gouvernement lui-même, un expert avait été chargé d’élaborer un projet de relecture du Statut de la magistrature. Le projet concocté par l’expert a été discuté, amendé et validé au cours d’un atelier ayant regroupé les magistrats, les représentants des ministères des finances et du travail, ceux de la société civile, les experts financiers désignés par le gouvernement, les partenaires financiers, etc.
On pouvait noter dans le projet, qu’une revalorisation de la grille salariale des magistrats pour l’aligner sur celle de leurs collègues de la sous-région était indispensable. Se posait alors la question de savoir si le budget de l’Etat pouvait supporter cette revalorisation. Là-dessus, l’avis des experts financiers du gouvernement était sans appel : l’incidence budgétaire de la future grille des salaires était infime, presque nulle… C’est donc un projet consensuel qui a été validé par l’ensemble des participants qui étaient assez représentatifs de toutes les couches socio-professionnelles du pays. La suite logique du parcours du projet restait désormais donc son adoption en conseil des ministres et sa relecture et son adoption (ou son rejet) par un vote de l’Assemblée nationale. Il reste entendu que le projet validé en atelier national ne devait subir aucune modification avant d’atterrir sur la table des élus de la nation.
À la surprise générale (est-ce vraiment une surprise venant de ce gouvernement qui nous a habitués à le voir renier ses engagements à maintes occasions?), le gouvernement avait outrageusement décidé que ce qui avait été jugé bon par une assemblée de personnalités issues de tous les secteurs intéressés par la question et qui avait fait l’objet d’un protocole d’accord entre les syndicats et le gouvernement, ne l’était plus pour un ministre. Et qu’il fallait le changer à mi-chemin de son vote à l’Assemblée nationale. En fait de changement, le ministre des finances entendait, ni plus ni moins, supprimer du projet de relecture l’une de ses raisons d’être : la grille des salaires. Voilà les vraies raisons qui ont amené les magistrats à observer leur grève. Il n’y en a aucune autre.
Voyons maintenant comment le gouvernement cherche à surprendre la vigilance et le bon sens de l’opinion par des mensonges éhontés qui trahissent mal sa volonté à faire passer une grève légitime à tous points de vue pour un moyen d’empêcher le fonctionnement normal de l’Etat, d’entraver le droit des citoyens à un accès au service public de la justice et de violer leurs libertés et droits fondamentaux par la paralysie des juridictions.
Dans un communiqué qui n’avait pas sa raison d’être une fois le décret portant réquisition de magistrats pris, le gouvernement affirme que cette mesure fait suite au “refus” des magistrats grévistes d’assurer le service minimum. FAUX ! Depuis le début de la grève, les chefs de service assurent bel et bien le service minimum par leur présence constante dans les juridictions. À moins que le service minimum, dont les contours ne sont pas définis par la loi, ne signifie à ses yeux tenir des audiences et délivrer aux candidats politiques les pièces indispensables à la constitution de leurs dossiers de candidatures…
Ensuite, toujours dans son communiqué, le gouvernement dit que les magistrats exigent dans leurs doléances la sécurisation “immédiate” des juges et des juridictions ainsi que l’application “immédiate” de la nouvelle grille salariale. Encore FAUX ! Comment demander l’application immédiate d’une grille salariale annexée à un Statut qui n’est encore qu’un projet de loi susceptible d’être amendé voire rejeté par les élus nationaux lors de sa relecture ? La vérité est que le gouvernement a décidé d’extraire du projet de loi de relecture de leur Statut une partie essentielle des revendications des magistrats en dépit du fait que c’est l’ensemble du projet qui avait fait l’objet d’un accord avec la partie gouvernementale.
Toutes ces manigances du gouvernement et bien d’autres qui feront l’objet d’autres publications, procèdent d’un dessein de voir le pouvoir judiciaire vidé de l’essence même de son existence c’est-à-dire son INDÉPENDANCE et de le voir maintenu dans un état de délitement permanent qui l’empêcherait de contrarier l’exécutif dans sa propension à abuser, sans crainte, du peuple. Le doute n’est plus permis sur le péril que fait planer sur la démocratie et l’Etat de droit le mensonge d’Etat érigé en mode de gouvernance qui menace d’ébranler les institutions de la République.
Les magistrats sont du côté du peuple et de nul autre. Nous sommes déterminés à défendre à tout prix notre indépendance. À jouer notre rôle de garants du respect des lois et de défense des droits du peuple et de leurs libertés fondamentales. Là-dessus, il faudrait plus que des pressions pour nous ébranler. Après cette crise, la justice ne sera plus la même…
Quand mensonge Etat érige système gouvernance menace ébranler institutions République
Moussa GUINDO
Source: Le Reporter