L’analyse des dossiers a révélé la récurrence des litiges domaniaux et fonciers qui représentaient à eux seuls 41,40% de l’ensemble des interpellations reçues. A ces litiges s’ajoutent ceux relatifs au fonctionnement de la justice, aux situations administratives irrégulières, aux licenciements abusifs, aux violations des droits de la personne…
Le 10 décembre, consacré Journée des droits de l’homme, revêt un cachet particulier dans notre pays. A cette date, se tient l’Espace d’interpellation démocratique (EID). Bien que n’étant pas une juridiction, ce forum offre aux citoyens un cadre favorable à la dénonciation des mauvaises pratiques administratives en même temps qu’il leur permet d’apprendre à exercer leurs droits et libertés démocratiques dans un état de droit.
La 23è édition de l’EID, qui s’est déroulée hier au Palais de la culture, avait au « rôle » 45 dossiers, retenus pour lecture parmi les 454 interpellations reçues par la Commission préparatoire. 210 ont été classées pour « suite à donner » et 199 n’ont pas été retenues pour non-conformité avec les critères de l’EID.
Encore une fois, l’analyse des dossiers révèle la récurrence des litiges domaniaux et fonciers. Ils représentaient 41,40% de l’ensemble des interpellations reçues. A ces litiges s’ajoutent ceux relatifs au fonctionnement de la justice, aux situations administratives irrégulières, aux licenciements abusifs, aux violations des droits de la personne… Ainsi, les départements ministériels mis en cause étaient notamment ceux en charge de l’Habitat et de l’Urbanisme, de la Justice, de la Défense, de la Sécurité, de l’Agriculture et de l’Éducation nationale.
L’événement, comme à l’accoutumée, a mobilisé quasiment tout le gouvernement y compris le chef de l’exécutif, Soumeylou Boubèye Maïga, mais aussi un parterre d’interpellateurs, en quête de justice et d’équité. Dans la salle Bazoumana Sissoko, il y avait aussi le Médiateur de la République, Baba Akhib Haïdara, des chefs d’Institutions de la République et des diplomates.
Le jury d’Honneur, composé de neuf membres, comprenait des personnalités venues de l’extérieur, mais aussi des Maliens, représentants des organisations de la société civile et des confessions religieuses. Il était présidé par la sénégalaise Mme Dior Fall Sow, magistrate de carrière. Le rapporteur était le burkinabé Albert Ouegrago, universitaire et ancien ministre.
Premier à prendre la parole, le président du jury a remercié le gouvernement et le Médiateur de la République pour cette belle initiative unique en son genre. Cet espace, a-t-elle estimé, permet d’instaurer le dialogue entre administrateurs et administrés et règle, sans conflit, des problèmes. Toute chose qui participe, selon Mme Dior Fall Sow, à la consolidation de la paix et de la démocratie.
Du même avis, le Médiateur de la République, Baba Akhib Haïdara, a souligné la pertinence de cet exercice de pédagogie démocratique qui intéresse de plus en plus les populations. Pour preuve, le nombre d’interpellations est passé de 177 demandes en 2013 à 290 en 2017. Un record qui vient d’être pulvérisé avec 454 demandes enregistrées en 2018. Dans cette forte croissance d’intérêt de nos compatriotes pour l’EID, il est encourageant de relever que le taux de participation des Régions ne cesse de s’accentuer. En effet, sur les 454 demandes d’interpellations, 367 proviennent des Régions, soit 80,82% et 84 de Bamako.
Baba Akhib Haïdara a également fait remarquer que la participation féminine aussi s’accroit. Elle est passée de 5% en 2017 à 7,26% en 2018. Ce taux de participation est loin d’être satisfaisant et demande donc à être amélioré, a-t-il estimé. Et d’annoncer que des efforts accrus seront développés à cet effet, tout comme à l’effet d’améliorer la participation des Maliens de l’extérieur qui enregistre le taux dérisoire de 0,66%.
A la suite Baba Akhib Haïdara, des représentants d’Associations et organisations de défense des droits de l’Homme se sont succédé à la tribune pour apporter leurs contributions. L’invité spécial du Médiateur de la République, Malik Coulibaly, président de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), a livré un message qui met en exergue les efforts accomplis par l’Etat dans ce domaine, mais aussi les insuffisances et les mesures idoines à prendre.
Dénonçant l’impunité, la sève nourricière du crime, il a expliqué qu’elle résulte de la paralysie de la justice dans les zones où l’insécurité règne en maître. Ailleurs, dit-il, elle est le fruit de nombreux dysfonctionnements des services publics de la justice. Pour étayer ces propos, l’ancien ministre de la Justice a cité les tueries d’Aghelchoc en 2011, les charniers de Sokolo, Dioura… Dans ces affaires tragiques, a-t-il regretté, la réponse pénale appropriée se fait attendre. Il n’a pas manqué de déplorer les violations des droits humains inhérentes au terrorisme, mais aussi à la lutte contre ce fléau. Par la voix de Brahima Konaté, l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH) a fustigé les atteintes aux libertés d’expression et de manifestation, et à l’inégalité d’accès aux médias d’État…
La séquence des défenseurs des droits humains a été suivie par la présentation des interpellations. Fanta Sékou Sow, conseillère pédagogique au CAP de Kalaban Coura, a ouvert le bal. Expropriée de ses 5 hectares à Gouana, la pauvre dame ne sait plus à quel saint se vouer pour être établie dans ses doirts, alors que l’affaire a été tranchée en sa faveur par la plus haute juridiction du pays. La direction régionale des domaines et du cadastre de Koulikoro aurait refusé de s’exécuter, conformément à la décision rendue par la justice. 40 autres interpellations ont été lues devant le public. Des tracasseries routières à nos frontières avec la Côte d’Ivoire aux contentieux opposant des agents à la CMDT, en passant par des agressions physiques, des détentions arbitraires et expropriations de terres des cultivateurs… les « dérives » de plusieurs autorités publiques ont été étalées au grand jour.
Notons qu’avant la fin de la présentation des interpellations, quatre interpellateurs, ayant reçu satisfaction, ont retiré leurs plaintes.
Issa DEMBÉLÉ
Source: L’Essor