La mission des soldats impliqués dans l’opération Barkhane se heurte à une situation conflictuelle sur le terrain qui les empêche de clairement identifier l’ennemi. La situation sécuritaire se dégrade un peu plus dans le Sahel désormais du fait d’affrontements entre communautés d’une violence inégalée depuis le début 2019. Le 1er janvier, ce sont 37 habitants du village peul de Koulogon, dans le centre du Mali, qui ont été tués par, selon les autorités, « des hommes armés habillés en tenue de chasseurs traditionnels dozos ». En réalité, une sorte de milice armée de kalachnikovs, loin des gris-gris et de la pharmacopée de brousse des chasseurs, qui prétend protéger les Dogons contre les Peuls. Après avoir incendié des maisons et blessé des habitants qui ont eu la chance d’échapper à la mort, les guerriers se sont attaqués au village voisin de Bobosso, avant que l’armée n’en arrête une trentaine.
Sur le terrain, l’opération Barkhane rencontre de nouvelles réalités qui lui compliquent ses missions.© Thomas Goisque/WikimediaCC
Ces communautés ethniques se partagent depuis des lustres le même territoire sans que les différends naturels entre eux atteignent une telle violence. Aujourd’hui, c’est une guerre dans la guerre au terrorisme qui s’étend et déstabilise des régions souvent transfrontalières où ces populations sont implantées. Une conséquence de la venue chez elle et de la propagande parfois rémunérée par les groupes salafistes affiliés à Al-Qaïda, lesquels montent les communautés les unes contre les autres. Pire. Elles sont prises entre deux feux, coincées entre les djihadistes et les autorités, à l’origine de la création de ces milices de chasseurs dogon et bambara qui accusent les éleveurs peuls de soutenir les djihadistes. À l’antagonisme ancestral s’ajoute désormais la pression des groupes terroristes qui divisent ces communautés.
Au Burkina aussi
Le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga a beau tenter de mettre sur pied un processus pour parvenir à l’arrêt de ces affrontements avec un programme de désarmement des milices d’autodéfense et des combattants djihadistes, les résultats jusqu’à présent sont inexistants. Arrivé à l’improviste pour des raisons de sécurité, le président Ibrahim Boubacar Keïta a débarqué cependant d’un hélicoptère quatre jours après avec des officiers et des élus locaux pour aller se recueillir au cimetière sur la tombe des victimes, avant de donner une enveloppe et des vivres à la population apeurée. Une forme de guerre civile qui pourrait mener à de nouveaux massacres.
Au Burkina Faso voisin, le président Roch Marc Christian Kaboré s’est lui aussi déplacé en hélicoptère sur les lieux d’un massacre perpétré les 1er et 2 janvier, massacre qui a causé la mort de 47 civils. Le maire, et un de ses fils, du village de Yirgou et cinq de ses administrés ont été abattus par des individus armés juchés sur des motocyclettes. Après l’attaque, des habitants, des Mossis proches du premier élu, ont lynché à mort sept éleveurs peuls tandis que d’autres exerçaient des représailles contre des Peuls dans plusieurs localités de la région.
Aux racines du conflit
Dès le 31 décembre, le président Kaboré avait déclaré l’état d’urgence dans plusieurs provinces, à la suite de la mort de dix gendarmes dans une embuscade au nord-ouest de Ouagadougou, capitale d’un pays déjà attaquée trois fois et désormais considérée comme un nouveau champ de bataille entre militaires et groupes terroristes, mais aussi entre communautés. Pour les Mossis, majoritaires au Burkina, les éleveurs peuls sont des complices, sinon des combattants au sein des groupes armés djihadistes. Un amalgame qui se développe en Afrique de l’Ouest où le nombre de Peuls devenus terroristes reste marginal. Dans l’inconscient populaire, les Peuls exercent depuis leur installation jadis dans les régions de Ségou à Tombouctou, une sorte de domination, y compris sur le plan religieux depuis la formation de leur royaume de Macina au début du XIXe siècle. Une sorte de djihad récupérée par les islamistes d’aujourd’hui qui flattent ces éleveurs en rappelant leur passé. En les enrôlant, les djihadistes du Front de libération du Macina, allié à Al-Qaïda, leur rappellent que la lutte armée s’inspire, selon eux, de la charia du royaume peul disparu. Les plus exaltés rejoignent les rangs de ces milices peuls qui ont d’abord imposé leur loi dans la boucle du fleuve Niger avant de recruter plus au sud et atteindre désormais le Burkina Faso.
Barkhane impuissante
Résultat : il y a des membres d’Al-Qaïda au sein des communautés et ce mélange communautés et djihadistes complique singulièrement la tâche du dispositif militaire français Barkhane. Si, jusqu’à présent, les commandos français des Forces spéciales intervenaient de front contre des combattants djihadistes, il est plus difficile de s’immiscer dans des affrontements interethniques où l’ennemi n’est pas clairement identifié.
En décembre 2018, le chef du Front de libération du Macina, le prédicateur peul Amadou Kouffa a été éliminé avec ses adjoints au cours d’une opération combinée française, comprenant l’intervention des Mirage basés à Niamey et l’héliportage de commandos. Ces interventions aux côtés des militaires maliens pourraient donner l’impression de prendre parti pour les uns ou pour les autres, et donc de risquer de provoquer un sursaut de solidarité chez les Peuls dont des représentants qualifient de génocide les derniers massacres.Copyright Malijet © 2008 – 2019. Tous droits réservés
Source: Le Point Afrique