Alors que la République islamique célèbre ce lundi les 40 ans de la Révolution de 1979, entretien avec la vice-présidente iranienne Massoumeh Ebtekar, en charge des Femmes et de la Famille dans le gouvernement du président Rohani. Massoumeh Ebtekar a participé à la Révolution islamique, elle fut notamment la porte-parole des étudiants iraniens qui ont mené la prise d’otages des diplomates américains à Téhéran fin 1979. Elle évoque ses souvenirs, mais aussi la situation de l’Iran aujourd’hui, quelques mois après le retour des sanctions américaines.
Quels sont vos souvenirs de ces jours critiques de la Révolution iranienne en février 1979 ?
C’étaient des jours d’émotions fortes. A propos de l’Iran, à propos de la liberté, de l’indépendance. Les gens étaient pleins d’espoir, il y avait beaucoup d’altruisme, beaucoup d’idéalisme. Il y avait aussi beaucoup de courage chez ces gens qui luttaient contre la dynastie Pahlavi, contre le régime du Shah, contre la dictature et la corruption. La ferveur de la Révolution était dans l’air.
Quarante ans plus tard, l’Iran célèbre cet anniversaire dans un contexte particulier avec le retour des sanctions américaines. Est-ce que votre pays peut faire face à la politique de « pression maximale » que les Etats-Unis entendent exercer sur l’Iran ?
L’Iran a dû faire face à différents types de sanctions qui ont été imposées à notre pays toutes ces années. La situation économique actuelle est difficile, à cause des sanctions et à cause des défis que nous connaissons, mais sur le long terme elle s’est améliorée. L’une des raisons pour lesquelles on nous impose des sanctions c’est précisément parce que nous connaissions une croissance rapide : nous progressions rapidement dans différents domaines et apparemment la nouvelle administration américaine du président Trump n’a pas apprécié ce rythme rapide de développement économique et scientifique de la nation iranienne !
Je pense que les Iraniens sont très résilients face à toutes ces pressions et le gouvernement essaie de résoudre les problèmes. Par exemple le taux de change est monté en flèche, mais maintenant le gouvernement le contrôle et il contrôle l’inflation.
L’Europe a mis en place Instex, un outil qui doit permettre des transactions non exposées aux sanctions américaines… on a entendu des critiques iraniennes… est-ce que vous pensez que cet outil est suffisant pour permettre la poursuite du commerce entre des compagnies européennes et l’Iran ?
Il faut voir ce que cela donne. En soi, Instex est un progrès. Et c’est le minimum de ce que nous attentions de l’Union européenne pour faire en sorte que l’accord nucléaire [le JCPOA conclu en 2015] reste un mécanisme économique viable pour l’Iran.
Mais il faut aussi rappeler que de très nombreuses sociétés européennes sont venues investir en Iran avec beaucoup d’enthousiasme, parce qu’elles savent quel peut être leur intérêt sur ce marché.
Et je pense qu’il y a aussi de nouveaux secteurs à explorer, comme le tourisme. Et les femmes ont un rôle à jouer : nous observons de nouveaux développements dans les villages où les femmes travaillent dans l’artisanat. J’espère que le tourisme va se développer et que de nombreux Européens viendront en Iran.
Quelques mois après la Révolution en 1979, vous avez été la porte-parole des étudiants qui ont pris en otage des diplomates de l’Ambassade américaine de Téhéran. Depuis, les relations diplomatiques sont rompues. Comment décririez-vous la situation entre les deux pays aujourd’hui ?
Je pense qu’il y a eu des occasions au cours desquelles nous aurions pu résoudre notre contentieux avec le gouvernement américain, mais il n’a jamais accepté de discussion équilibrée, en tout cas jusqu’à l’accord nucléaire. A ce moment-là, les Américains sont venus avec les Européens et nous sommes parvenus à un accord équilibré et toutes les sanctions ont été levées. L’Accord nucléaire a donné lieu à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui est toujours en vigueur, donc je pense que nous avons fait notre part dans la négociation avec les Américains pour améliorer notre relation.
Mais monsieur Trump s’est unilatéralement retiré de cet accord… d’une certaine façon ils ont renié leurs engagements, leurs promesses. C’est une très mauvaise décision.
Comme le Congrès des Etats-Unis est en train de revoir certaines décisions du président actuel et qu’il y a tant de critiques dans la population américaine, en particulier au sein de l’élite, j’espère qu’ils vont changer d’avis et revenir à la table de négociation, revenir au JCPOA. Comme l’a dit le Guide Suprême, les Américains doivent changent d’attitude et de mentalité, ils doivent comprendre que l’Iran est une puissance légitime dans le monde d’aujourd’hui, que l’Iran monte en puissance et travaille à promouvoir la paix. Ce que nous avons fait contre l’EI en Irak et en Syrie a mené à la chute de cette terrible organisation terroriste !
L’un des sujets importants c’est le programme de missiles de l’Iran, qui inquiète. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian a parlé de possibles sanctions contre l’Iran… Est-ce que les missiles iraniens sont une menace pour la région ?
Il est bien naturel que nous renforcions nos capacités de défense, car nous vivons dans une région très instable. Dans le passé nous avons été attaqués par le régime de Saddam Hussein [la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988]. Qui nous a soutenus lorsque nous avons été attaqués à l’époque ? Le monde entier ou presque soutenait Saddam contre l’Iran.
Nous ne reculons pas sur nos capacités de défense : elles ne sont une menace pour aucun pays hormis ceux qui pourraient vouloir menacer notre indépendance et notre intégrité territoriale.
Si vous regardez les bases militaires américaines dans la région, il y en a des dizaines ! Et ce sont des menaces pour l’Iran et pour toute la région. Que font-ils ici ? Je pense qu’il est naturel pour nous de nous défendre.