Les vraies raisons d’une loi prise en 2012 en toute discrétion. Tout serait parti du Septentrion : le gouvernement a concédé à la rébellion armée la création des trois régions de Kidal, Menaka et Taoudenit, un immense territoire très peu peuplé, alors que pendant les dures années de sécheresse, le régime de la 2eRépublique avait invité, en vain, les nomades à venir au Sud pour faire de l’agriculture.
Le régionalisme : le phénomène n’est pas que du Nord !
Les Bambara du Bélédougou et du Méguétan ayant longtemps été en concurrence avec les Malinkés de la Haute-Vallée du Niger pour revendiquer le territoire de Bamako, il n’est pas étonnant, dès lors, qu’un Konaré (Bélédougou) vienne à Koulouba après un Kéïta (ou Konaté), Malinké (dont, par ailleurs, la première action de développement a porté sur la Haute-Vallée du Niger). L’armée et l’UDPM, (1968-1991), c’est avéré heureusement, n’avaient pas de coloration régionaliste. Tout ceci n’est ni de l’histoire ancienne ni vaine élucubration politicienne suscitée par l’annonce du prochain redécoupage : la population de Bla en région de Ségou, s’oppose à son rattachement inopiné à la région de San dont la création a été annoncée. Il est fort à parier que les cercles dérangés (c’est le mot) ne font que dire tout haut ce que les anciennes régions promises au démembrement par la loi N° 2012-017 DU 2 mars 2012 disent tout bas…
La première modification de la limite régionale fut celle qui, à l’orée de l’indépendance, vit Gao se départir de Tombouctou, sans regret d’ailleurs, alors même que la nouvelle région était beaucoup plus grande. C’est que la capitale des Askia conservait l’essentiel, son âme : la langue sonrhaï fondamentale. Quant aux Arabo-berbères de Tombouctou, avoir une capitale régionale bien à soi, ce n’était pas de refus, bien au contraire : c’est la norme (identitaire bien sûr !). On peut avoir là la norme directrice de l’organisation du pays en six régions à l’indépendance. En effet, se souvient des grincements de dents (je n’emprunte nullement le terme à mon confrère de l’Essor commentant favorablement ladite loi) à Ségou, capitale des Balanzan et du Royaume bambara des Coulibaly et des Diarra. On y mettait en garde Bamako la capitale de la République : « Etre Bamakois ne s’aurait autorisé d’ignorer qui on est… », entendait-on là-bas, paraît-il. Même ressentiment d’ailleurs, à Gao contre les « Bambara» du Sud qui se prenaient pour le centre du monde. Et lors de sa visite du 2 Décembre 2018 le Premier ministre, devant les plaintes d’une population de Gao affligée, a dû défendre le nouveau découpage territorial, assurant qu’il n’y aura pas de création de nouvelles régions hors des 19 que prévoit la loi de 2012 (Hebdomadaire La Lettre du Mali du 5 Décembre 2018). Consciente de l’aspect psychologique, identitaire du problème, cette loi veut consoler les régions dépouillées en garantissant qu’elles conserveront leur numéro d’ordre !
Quant à Bamako, centre de la partie Sud du pays, ville sans caractère propre, elle a fini par se voir mise à part, pendant la 2ème République, avec le nom de District.
Par contre, le cercle de Nara, dont vient Dioncounda Traoré, semblait fier d’appartenir à la capitale, bien qu’ayant une importante population « kayésienne » au plan ethnico-linguistique. Dioncounda n’est autre que celui qui a présidé l’Assemblée nationale (2007-2012) lors du vote la fameuse loi du redécoupage. Il a succédé à ce poste à IBK (2002-2007), originaire, lui, de Koutiala, rivale de Sikasso, dit-on. Or Nara et Koutiala figurent en bonne place parmi les futurs chefs-lieux de région, tandis qu’IBK et Dioncounda seront tous deux chefs d’Etat : il faut d’ailleurs s’attendre à ce que ce dernier vienne un jour chercher son deuxième mandat.
Comment prévenir la réaction de Ségou, Sikasso et Kayes ?
Une fois au pouvoir, au grand désarroi de nombreux politiciens qui vont faire contre mauvaise fortune bon cœur, ATT promet à Ségou les milliards qui vont permettre la réalisation de l’autoroute de deux fois deux voies. A défaut de ne conduire à aucune frontière internationale, elle va au moins permettre « le désenclavement intérieur» en particulier celui du mythique Office du Niger, argument inattaquable aux yeux des autres régions et moyen sûr de gagner la sympathie des électeurs. Mais, surtout, elle exorcise la menace d’un certain Cheick Modibo Diarra, qui, sans nul doute, pointe déjà à l’horizon. Par l’une de ces cocasses mises en scène dont l’Histoire a le secret, les deux anciens occupants du perchoir se succèdent, dans l’ordre inverse, dans le fauteuil présidentiel. IBK réalise l’autoroute de Ségou, comme prévu, c’est-à-dire qu’il transforme le projet en réalité. Puis il se rend dans le Kénédougou, et là, les mêmes causes produisant les mêmes effets, c’est bis repetita : on dit que c’est dans ces deux régions qu’il a obtenu son meilleur score lors de l’élection présidentielle de 2013. C’est à ce moment que la rumeur s’est largement répandue : IBK a promis de transformer son cercle natal en région ! A quoi on répondait dans les clubs (geren) : alors les dix autres cercles de même niveau deviendront aussi des chefs-lieux de régions ! Le Conseil des Ministres du 28 Février 2019 a adopté un projet de décret portant travaux d’aménagement de voirie et d’un viaduc d’un montant de près de 30 milliards de FCFA) à Sikasso (travaux de construction et frais de contrôle). Le projet sera-t-il réalisé par son successeur comme ce fut le cas pour l’autoroute de Ségou ? L’argent sera-t-il mis à la disposition d’un cercle pour les frais de sa transformation en région ? Lequel, dans ce cas ? Pour toutes ces questions, l’avenir nous informera, inch’Allah ! Jusque-là seul le District de Bamako avait le privilège du népotisme budgétaire : il s’embellissait au détriment des autres capitales régionales, et dans les quartiers, les rues bitumées étaient celles qui passaient devant les maisons des « personnalités » ! Une règle d’or (et de simple bon sens), serait, en la matière, l’équité : à chacun selon son apport, en compensant le trop grand écart entre les capitales régionales, pour ne pas heurter les susceptibilités, voire susciter des rejets.
Kayes ne pourra pas protester
En effet, on a réduit cette région à sa plus simple expression, on l’a dynamitée en lui enlevant Kita et Nioro. Kita se voit gratifiée du cercle minier de Kéniéba. Kita, c’est la frontière guinéenne. Egalement perdue Nioro, la ville sainte où se trouvent trois grandes familles maraboutiques : les Kaba-Diakité, les Hammahoullah et les Tall. C’est aussi une grande partie de la frontière mauritanienne, au commerce très actif. Enfin, Kayes est désormais coupée du District par les régions de Nioro et de Kita. Kayes réduite à peau de chagrin au point de ne pouvoir proférer un mot pour sa défense, les deux nouvelles promues exultent, s’agitent dans l’attente du jour J ! A vrai dire, une violation de l’intégrité physique des régions ne saurait s’appeler réorganisation territoriale, car une région, en plus de la personnalité culturelle, c’est aussi la viabilité économique : raisons qui auraient prévalu à la création des régions du Nord, malheureusement avec la pression de la rébellion armée. C’est peut-être le lieu de rappeler que le 25 Décembre 2018, un journaliste tunisien s’est immolé par le feu pour protester contre la pauvreté dans l’Ouest du pays, sa région.
Maintenir les dix régions actuelles
Rapprocher l’administration des administrés ? Le « désenclavement intérieur », orchestré à coups de milliards d’infrastructures, y suffirait largement. Opérer un obscur ajustement en rapport avec la révision constitutionnelle en cours ? Il est encore possible de faire machine arrière.
Si les futurs constituants ne veulent pas voir le pays s’empêtrer dans des problèmes inextricables, ils feraient mieux de maintenir les dix régions actuelles, voire les huit précédentes, et de leur donner une autonomie bien plus forte que celle qui a porté naguère le nom de décentralisation. Pourquoi pas alors une République fédérale du Mali, à la manière de la Russie, de l’Allemagne, de la Chine, des USA, du Royaume Uni ? Les forces étrangères n’auraient plus rien à faire ici, et nous retournerions à l’ancienne Fédération du Mali, avec ou sans le Sénégal, pays auquel, nous devons d’ailleurs, à travers le président Senghor, dans le cadre de la Fédération du Mali d’alors, de porter le nom Mali, qu’on peut par ailleurs changer.
Le découpage régional dépasse donc le niveau gouvernemental : celui hérité de la 1ère République a une nature constitutionnelle, il convient de le remarquer. Attention donc à ne pas ouvrir la boîte de Pandore en ajoutant les problèmes du Sud à ceux du Nord !
IBRAHIMA KOÏTA
Journaliste, Tel : 76 07 65 16
Source: L’Aube