Depuis le Président Alpha Oumar KONARE, en passant par le Président ATT, jusqu’à l’actuel Président IBK, que d’idées reçues et parfois d’affabulations, n’a-t-on entendu sur de supposées lacunes de la Constitution du 25 février 1992 ! Une constitution jugée surannée, inadaptée à l’évolution, truffée d’insuffisances… Une Constitution vouée aux gémonies… Une Constitution condamnée à la peine capitale d’un grand toilettage salvateur ! Chacune des trois tentatives avortées de révision y allée de son double procès en vétusté et déficience de la Constitution d’une part, et en incompétence du constituant de 1992 d’autre part.
Au moment où à grands coups de propagande d’Etat, une nouvelle campagne de tripatouillage de la Constitution se concocte en violation de la Constitution, on est amené à s’interroger si en fin de compte, la Constitution du 25 février 1992 n’est pas que la fausse barbe, le bouc-émissaire de l’incapacité du régime empêtré dans la mal gouvernance, à faire face aux vrais défis de la nation qu’on tente de faire endosser par la Constitution accusée de tous les péchés d’Israël ? Cette lancinante question se pose avec d’autant plus de gravité qu’à l’analyse à tête froide, sans passion aucune ni artifice des argumentaires mis en avant, il ressort que ceux-ci sont généralement cousus de fils blancs de contre-vérités qui ne peuvent être mis sur le dos de la Constitution du 25 février 1992 et qui, au contraire, ne servent qu’à masquer des desseins inavouables. Au fait, plutôt que de s’évertuer à la tripatouiller, pourquoi le Président IBK en tant que « gardien de la Constitution » ne commencerait-il pas d’abord par « respecter et faire respecter » la Constitution du 25 février 1992 ?
La Constitution vouée aux gémonies
Alors que l’appareil d’Etat se meurt dans le déni de la Constitution et des lois de la République, voici que la propagande officielle tente d’entretenir l’illusion que c’est la Constitution du 25 février 1992 serait la cause de cette déliquescence et de la quasi rupture de contrat social qui en découle, entre les pouvoirs publics et les populations. Ainsi donc, la révision constitutionnelle est agitée comme la baguette magique qui va résoudre d’un seul coup le délabrement institutionnel de la République et les graves problèmes de gouvernance du pays. Depuis le Président Alpha Oumar KONARE, en passant par le Président ATT, jusqu’à l’actuel Président IBK, que d’idées reçues et parfois d’affabulations, n’a-t-on entendu sur de supposées lacunes de la Constitution du 25 février 1992 ! Une constitution jugée surannée, inadaptée à l’évolution, truffée d’insuffisances… Une Constitution vouée aux gémonies… Une Constitution condamnée à la peine capitale d’un grand toilettage salvateur ! Chacune des trois tentatives avortées de révision y allée de son double procès en vétusté et déficience de la Constitution d’une part, et en incompétence du constituant de 1992 d’autre part.
En la matière, le Président IBK se taille la part du lion par ses tripatouillages opérés en 2017 et qu’il se prépare à rééditer. Les motivations officielles de cette révision constitutionnelle témoignent parfois de la pure manipulation, à l’instar de ce florilège de clichés venant du Président IBK recevant le 4 février 2019 son comité d’experts : « La constitution est de 1992, le temps a passé, il s’en est coulé beaucoup d’eau sous le pont des martyres…. Les institutions sont comme les hommes, elles ne sont pas insensibles à l’usure des temps, et dans notre Constitution certains aspects demandaient à être revus et corrigés…. Doter notre pays d’institutions solides, contemporaines, fiables et viables… Cette fameuse question lancinante de la Cour des comptes par rapport à laquelle nous devons être à l’aise avec nos collègues de la sous-région…. Nous avons également dans l’ordre administratif convenu qu’il était temps que nous évaluons également notre gouvernance territoriale … Donc cette réforme constitutionnelle devenait une urgence absolue … ». Et patati et patata…
A peu de différence près, le Premier ministre s’est récemment fait l’écho de la même rengaine :« La révision vise essentiellement à renforcer l’Etat et la souveraineté de la nation, à fortifier nos institutions de manière à garantir leur permanence et leur continuité et avoir une organisation plus rationnelle et plus efficiente des pouvoirs publics… ».
Au-delà de la couche superficielle des justificatifs officiels au tripatouillage constitutionnel qu’ils mijotent, IBK et son Premier ministre restent pour le moins assez flous et sont comme trahis par une carence notoire d’argumentations précises et convaincantes à même de soutenir objectivement leur projet. A vrai dire, ils ne font qu’agiter comme un chiffon rouge, des lieux communs construits sur des idées reçues. C’est en quelque sorte la méthode Coué appliquée à la révision constitutionnelle. Plus l’affirmation des lacunes est gratuite, générale, floue et redondante, plus on espère que la nécessité de la révision constitutionnelle fera son chemin dans l’inconscient collectif des Maliens. Les promesses de tripatouillages du Président IBK sont symptomatiques du vrai faux procès fait à la Constitution du 25 février 1992, d’autant plus attentatoire à la souveraineté nationale du Mali qu’ils paraissent à bien des égards, participer d’une révision constitutionnelle initiée par procuration. Si, comme dirait l’autre, l’adaptabilité du texte dans l’instant est la condition de la stabilité de la Constitution dans le temps, la révision ne doit pas dissimuler des tentatives de manipulation susceptibles d’engager le pays dans une révision « conflictogène ». A titre illustratif, le faux procès du Président IBK à la Constitution du 25 février 1992 est instruit sur la base d’un paquet d’argumentaires véhiculés qui soulèvent de nombreux questionnements parmi lesquels cinq (05) retiennent notre attention dans cette contribution :
- Qui a jamais dit que la Constitution du Mali n’est pas révisable ?
- Doit-on réviser la Constitution par procuration ?
- La Constitution autorisait-elle IBK à signer l’Accord d’Alger ?
- Le vrai problème réside-t-il dans les délais électoraux fixés par la Constitution ?
- La libre administration déjà constitutionnalisée ne suffit-elle pas au bonheur de la gouvernance locale ?
Qui a jamais dit que la Constitution du Mali n’est pas révisable ?
Les thuriféraires du régime du Président IBK passent le plus clair de leur temps à s’égosiller inutilement à expliquer comme une rengaine à la mode, que la Constitution qui date des années 90 a besoin d’être révisée en vue de l’adapter à l’évolution. A court d’arguments, ils transposent volontairement la problématique de la révision constitutionnelle sur le terrain de son principe que nul n’a remis en cause. Comme dirait l’autre, la Constitution du 25 février 1992 n’est pas un « temple dressé pour le sommeil » éternel et ne saurait bénéficier d’une quelconque sacralité. C’est donc un faux problème que de poser sous cet angle la problématique de l’initiative présidentielle de révision de la Constitution du Mali. Nul ne saurait remettre en cause le principe de la révision d’une Constitution qui consacre tout un titre à ce sujet. En réalité, le vrai problème qui est au cœur du sujet et qu’on évite soigneusement de mettre en exergue, est de savoir dans quelles conditions de fond et de forme posées par la Constitution elle-même, peut s’engager et se poursuivre une procédure de révision constitutionnelle. Le sujet est moins de savoir si la Constitution doit ou peut être révisée que de s’assurer que cette révision se fait dans le respect des conditions de fond et de forme prévues à cet effet. En dépit des nombreux errements jurisprudentiels de Manassa DANIOKO et de sa cour, force est de reconnaître à cet égard que le projet de révision de 2017 du Président IBK était loin d’être irréprochable. Il est à craindre que la nouvelle procédure qu’il vient d’engager ne soit également en porte-à-faux total avec la Constitution du 25 février 1992.
Doit-on réviser la Constitution par procuration ?
Contrairement aux deux premières tentatives des Présidents Alpha et ATT qu’on peut considérer comme d’inspiration authentiquement nationale, la révision que le Président IBK s’évertue depuis 2017 à imposer au peuple souverain du Mali, est une révision par procuration délivrée par l’étranger pour tripatouiller la Constitution malienne dans le sens des désidératas de groupes rebelles armés. Il s’agit ni plus ni moins que d’une entreprise de confiscation de la souveraineté nationale par la fraction du peuple constituée des groupes armés qui s’en attribuent de force l’exercice.
Pourquoi la « communauté internationale » activement à la manœuvre derrière les autorités maliennes fait- elle de l’ingérence dans une affaire interne comme la révision de la Constitution malienne qui relève avant tout de la souveraineté nationale du pays ? Les clubs de soutiens internationaux du projet de révision constitutionnelle du Président IBK l’apprendront à leur dépens : le dernier mot de la révision appartient au peuple souverain du Mali dans le cadre d’un processus référendaire, comme l’a voulu avec beaucoup de clairvoyance le constituant de 1992.
Grâce à ce dispositif constitutionnel protecteur, aucun parrainage international ne permet d’exercice le pouvoir constituant par procuration. Mais dans le fond, l’attitude du Président IBK n’a rien de surprenant, puisque depuis 2013 où il s’est accaparé les leviers du pouvoir d’Etat, c’est une gouvernance extravertie qu’il met en œuvre au Mali et qui n’a d’autre souci que de s’assurer avant tout de ses soutiens étrangers qu’il cherche à plaire, quitte à piétiner les vraies préoccupations des Maliens.
La Constitution autorisait-elle IBK à signer l’Accord d’Alger ?
Même si-on s’en doute bien- le régime éprouve parfois quelque scrupule à le mettre en avant, l’Accord d’Alger ou plutôt le diktat d’Alger, reste le cœur battant de la révision constitutionnelle du Président IBK. Il est vrai que depuis l’accueil pour le moins mitigé de son projet de 2017 proposant un Etat régional pour le Mali et que ses propres députés avaient fini par jeter à la poubelle, le Président IBK semble désormais conscient que l’Accord d’Alger ne fait plus recette. Aussi, s’affaire-t-il à le dissimuler derrière d’autres justificatifs paraissant plus vendables, au moins en apparence. L’article 3 de l’Accord d’Alger engage « les institutions de l’Etat malien à prendre les dispositions requises pour adopter des « mesures……. constitutionnelles nécessaires à la mise en œuvre de l’Accord ». Or, la Constitution n’autorise nullement le Président de la République à prendre au nom et pour le compte du Mali, un engagement quelconque qui comporterait une clause qui lui soit contraire. En engageant notre pays dans l’Accord d’Alger alors qu’il savait pertinemment que celui-ci est truffé de clauses contraires à la Constitution, le Président IBK a manqué à ses obligations constitutionnelles au regard de l’article 29 qui l’investit de la mission de « gardien de la Constitution » et du serment de l’article 37 qu’il a prêté, où il a juré « de respecter et de faire respecter la Constitution ». Le Président IBK est pris aujourd’hui en flagrant délit de fraude à la Constitution et se trouve de ce fait, mal fondé à la tripatouiller pour soi-disant l’adapter à un Accord anti constitutionnel qu’il n’aurait jamais dû signer. La camisole de force de l’Accord d’Alger qu’il a enfilée n’est pas de la marque de fabrique de la Constitution du 25 février 1992. Mutatis mutandis, on pourrait également s’interroger sur les lamentations du Président au sujet de la création en lieu et place de la Section des comptes de la Cour suprême prévue par la Constitution, d’une Cour des comptes au titre du traité de l’UEMOA.
Le vrai problème réside-t-il dans les délais électoraux ?
L’étude comparative des tentatives avortées de révision constitutionnelle fait ressortir une zone de confluence regroupant des préoccupations partagées par les trois initiatives dont le pourtour dessine en fait les insuffisances objectives de la Constitution du 25 février 1992.
A l’intérieur de ce périmètre, figurent en bonne place les propositions de prolongation des délais électoraux prévus par la Constitution, jugés insuffisants compte tenue des réalités du pays. Pour l’essentiel, ces propositions de prolongation touchent aux délais de tenue de la présidentielle avant l’expiration du mandat du Président en exercice et après la constatation officielle de la vacance de la présidence de la République. Il en est de même du délai de tenue des législatives à la suite d’une dissolution de l’Assemblée nationale et du délai d’organisation du 2ème tour de l’élection présidentielle.
En général, ces préconisations sont fondées sur l’idée reçue comme quoi les rendez-vous électoraux manqués seraient de la faute des délais électoraux trop serrés. Ainsi donc, il suffirait de rallonger ces délais pour voir le gouvernement respecter désormais toutes les échéances électorales ! Mais le fait est que depuis 2013, l’argument de la contrainte des délais électoraux soi-disant irréalistes et insuffisants, a perdu toute crédibilité au regard de la pratique des gouvernements successifs du Président IBK qui se sont montrés incapables de respecter les dates de nombreuses échéances électorales, trimbalant ainsi les élections reports en reports et de reports en reports sine die !
Quelle responsabilité peut-on faire endosser par la Constitution du 25 février 1992 par rapport au mépris de ses obligations électorales par le régime du Président IBK ? Il est clair que le véritable problème ne réside pas dans la durée plus ou moins longue des délais électoraux. Sinon qu’on explique alors pourquoi par exemple le délai constitutionnel quinquennal d’organisation des législatives de 2018 n’a-t-il pas été respecté par le Président IBK ? Pourquoi jusqu’à ce jour, il n’y a aucune certitude sur la tenue des législatives de 2018 ? Un gouvernement incapable de respecter un délai de 5 ans est-il crédible lorsqu’il avance l’argumentaire du temps pour justifier une réforme constitutionnelle ? Même porté à 10 ans ou plus, voire à l’infini, aucun délai électoral ne suffirait à suppléer l’incapacité d’un régime à instaurer une gouvernance électorale vertueuse au Mali qui passe par le respect strict de toutes les échéances électorales de nature constitutionnelle ou légale. Le problème tenant plutôt à la volonté politique du gouvernement de respecter ou non les délais électoraux, de se comporter ou non en républicain, on aura beau prolonger à l’infini tous les délais électoraux de la Constitution, cela ne va guère régler les vrais problèmes de gouvernance électorale du Président IBK.
La libre administration déjà constitutionnalisée ne suffit-elle pas au bonheur de la gouvernance locale ?
La Constitution du 25 février 1992 garantit déjà le principe de la libre administration des collectivités territoriales dans le respect de l’unité du pays et de son intégrité territoriale. La consécration constitutionnelle de la libre administration des collectivités territoriales participe du processus d’appropriation de la démocratie par les populations locales et de développement de la citoyenneté à travers l’opérationnalisation des trois niveaux de collectivités territoriales constitués des communes, des conseils de cercles et des conseils régionaux.
Les mécanismes de gouvernance à l’échelle régionale et locale, qui confortent la légitimité des collectivités territoriales, étaient censés permettre une meilleure prise en compte des citoyens, des organisations de la société civile dans la gestion des affaires publiques, y compris celles relatives à la sécurité du pays, à la prévention et à la gestion des conflits.
Les dispositions législatives et réglementaires de la décentralisation étaient censées promouvoir la collaboration entre les collectivités territoriales et les autorités traditionnelles.
Comme chacun peut s’en apercevoir, faute de volonté politique, tous ces mécanismes sont tombés en panne sèche. Les collectivités territoriales à l’instar de la politique nationale de décentralisation, sont aujourd’hui à l’agonie.
Pire, le régime du Président IBK s’est débrouillé à mettre en place des instruments juridiques de reniement de la philosophie même de la décentralisation, comme le Contrat-Plan Etat-Région/District (CPER/D) institué par le Décret n°2014-0644/P-RM du 21 août 2014 et l’Agence de Développement Régional créée par l’Ordonnance n°2015-017/P-RM du 2 avril 2015. Ces deux institutions pompeusement présentées comme des instruments de promotion de la décentralisation matérialisent en fait la négation même de la libre administration des collectivités territoriales par le renforcement de la déconcentration. Il s’agit de deux formidables reculs institutionnels dont le régime du Président IBK n’a pas à s’énorgueillir.
Quel tripatouillage veut-on opérer dans la Constitution en matière de libre administration alors que le régime du Président IBK ne s’est pas encore expliqué sur la dilapidation des principaux acquis engrangés par les régimes précédents dans la mise en œuvre de la décentralisation ? A quoi servirait -il de tripatouiller la Constitution alors que le régime du Président IBK n’a pas fini de solder les comptes de ses tergiversations par exemple en matière de transferts de compétences et de ressources de l’Etat aux collectivités territoriales ?
De qui se moque-t-on en laissant croire que le tripatouillage de la Constitution va répondre à toutes ces interrogations et suffire à une soi-disant « prise en compte plus approfondie des pouvoirs locaux et régionaux » comme l’affirme le Premier ministre ?
Au-delà de ces cinq (05) questionnements, il faut craindre que tout le projet de réforme constitutionnelle du Président IBK ne soit sujet à caution. A cet égard malheureusement, l’expérience de 2017 n’est pas pour rassurer, où l’on a vu notamment les prétextes d’amélioration des insuffisances de la Constitution et de valorisation des acquis des précédentes tentatives de révision s’émousser dans des préconisations antidémocratiques et dans une véritable entreprise de démantèlement de la plupart des innovations proposées par les Présidents Alpha et ATT. On ne voit pas comment la nouvelle initiative de révision constitutionnelle du Président IBK pourrait relever ces défis de fond, au moment où elle paraît déjà hypothéquée par le 118-3 de la Constitution.
Dr Brahima FOMBA
Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)