…..Du contexte du dialogue politique et social en cours :
En 2012, le Mali a été profondément secoué par une crise sociopolitique et sécuritaire, qui s’est manifestée par la rébellion armée du groupe séparatiste, le mouvement National de libération de l’Azawad (MNLA). Cette crise s’est amplifiée par l’occupation des deux tiers (2/3) du territoire national par des groupes terroristes islamistes animés par une volonté d’imposition de la « charià » sur les populations locales. Dans la même année, une crise institutionnelle provoquée par un coup d’état, renverse le pouvoir élu du Président Amadou Toumani Touré (ATT).
Aujourd’hui, d’autres menaces, telles que le terrorisme, la radicalisation religieuse, le grand banditisme dans les villes notamment à Bamako, les conflits intercommunautaires au centre du pays, l’ébullition du front social se sont greffés à l’existant. Face à la recrudescence de ces fléaux et l’impunité qui s’en suit, d’aucuns ne manquent pas de souligner l’impuissance, l’incapacité, l’incompétence, voire l’inexistence de l’Etat. En tout état de cause, dans le contexte actuel du Mali, les problématiques majeures se rejoignent essentiellement à trois niveaux : l’effort politique et social autour de la paix et de la cohésion sociale, la gouvernance politique et économique, et la justice et la protection des droits humains.
Initialement conclu pour une durée d’exécution de dix-huit mois, l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, signé le 15 mai et le 20 juin à Bamako, constitue le goulot d’étranglement et le cadre principal pour la dynamique de sortie de crise. Cependant, l’inclusivité du processus d’Alger est relative, car ne comprenant pas tous les acteurs de la crise, d’où d’ailleurs le retard énorme dans son application.
En outre, les évènements qui ont suivi les élections présidentielles de 2018, à savoir la contestation par l’opposition des résultats définitifs proclamés par la Cour Constitutionnelle, les manifestations massives dans les espaces publics, la remise en cause de la légitimité d’Ibrahim Boubacar Keita (IBK), les incessantes grèves des catégories socioprofessionnelles, l’infiltration des religieux dans l’arène politique et l’énormissime influence qu’ils exercent dans le jeu politique…sont entre autres des facteurs endogènes qui font appel, dans un souci d’apaisement et d’accalmie, à un dialogue et une entente nationale. De même que l’article 52 de l’accord pour la paix et la réconciliation, rappelle qu’« en cas de graves difficultés » dans la mise en œuvre de l’accord, la Médiation internationale « dernier recours au double plan politique et moral » aura la main d’imposer des décisions discrétionnaires aux différentes parties. Sans oublier les appels au dialogue provenant de pays voisins et de la communauté internationale.
Raison pour laquelle, la nécessité d’imposer un nouveau cadre de dialogue national plus élargi, plus inclusif, s’avère un passage obligé vers une sortie de crise réussie sans affrontement ni violence, tenant compte des aspirations profondes du peuple malien dans son ensemble.
Mais si dialogue il y a lieu, la question reste, comment conduire et réussir le dialogue ? Avec qui dialoguer et pour quelle finalité ?
…De la Justification et des acteurs du dialogue national.
Les enjeux et les défis du Mali actuel nécessitent la refondation de l’Etat : « refonder ou périr ». En d’autres termes, sur le plan politique et institutionnel, une quatrième République est de loin, la meilleure des solutions. En effet, le dialogue politique et social, prend tout son sens avec les énormes faiblesses dans l’architecture institutionnelle actuelle, fruit de notre pratique démocratique, (la forte concentration de l’essentiel du pouvoir entre les mains de la personne du Président de la République, l’incroyable mastodonte de rupture de confiance entre les citoyens et les responsables politiques, l’immoralité et le vol organisé qui accompagnent aujourd’hui la pratique politique dans notre pays, la gabegie, le népotisme, l’injustice, les problèmes sécuritaires au centre et au nord, l’accord pour la paix et la réconciliation etc.. ),exigent un nouveau contrat social, pour restaurer la confiance entre la base et le sommet. Un simple dialogue entre politiques ne suffit plus pour atteindre cet idéal. Il faut de ce fait un dialogue national et souverain, à l’image de la concertation nationale qu’a connue notre pays en 1991, « une transition ».
Il faut entendre par dialogue politique, un cadre de dialogue organisé par un organe indépendant, conduit par exemple par les anciens chefs d’Etat, en vue de trouver des solutions à nos problèmes d’ordre politique et institutionnel dans un souci d’apaisement du climat politique.
Par contre, un dialogue national fait référence aux rencontres d’envergure nationale. Or, le problème que cristallise le Mali depuis 2012, n’est pas seulement un problème politico-politique et institutionnel. Il prend bien d’autres formes beaucoup plus complexes. Il s’agit d’un problème à la fois sécuritaire, politique, économique, social, communautaire, culturel, d’identité, de justice et d’inégalité. D’où la nécessité d’élargir suffisamment le cadre de concertation en vue d’associer l’ensemble des citoyens aux processus de discussion. C’est non seulement beaucoup plus démocratique, mais c’est aussi la condition de l’inclusivité.
Ceci nous renvoie à la question de la nature des acteurs du dialogue. Compte tenu du caractère multidimensionnel de la crise, il est important que dans les discussions, que l’ensemble des couches socioprofessionnelles soit représenté. L’expérience de la conférence nationale de 1991 nous donne une idée en la matière : les professions les plus représentées relevaient de l’enseignement (261), de l’administration (224), du secteur primaire, paysans, éleveurs, pêcheurs (165), de la justice (99), du commerce (89) et de la Santé (60). Cette approche participative et inclusive est nécessaire pour que les uns et les autres « vident leur sac » et commencent à regarder ensemble dans la même direction.
……Des préalables au dialogue national :
Dans la note précédente du CRAPES, « le dialogue politique au Mali : la grande illusion des acteurs politiques », nous démontrions, sur la base de faits historiques, que le dialogue politique, bien qu’une valeur culturelle, tel que pratiqué au Mali sous l’ère démocratique, a démontré des limites sérieuses qu’on ne peut plus nier.
Le titre, tel que formulé, pourrait faire penser à un rejet du principe du dialogue lui-même. En fait, il n’en est rien, car de tout temps, le dialogue a été considéré comme un des fondements de la société malienne, un des piliers pour faire une communauté de destin et de la démocratie électorale, mais l’usage politique qu’on en fait, rend ce puissant instrument, tout simplement inefficace. Dans le contexte actuel, la méfiance qu’il suscite à juste titre, réside dans sa nature, son format, son contenu et la sincérité des acteurs qui l’animent.
Pour qu’il réussisse et permette au Mali de se relever, le dialogue ne doit pas ressembler à un théâtre politique prévisible mais à un espace inclusif et participatif où les discussions approfondies et les concessions mutuelles, aboutiront à des décisions souveraines. S’il est bien conduit, le dialogue national doit déboucher sur des réformes politiques et institutionnelles fortes, dans une démarche inclusive, participative et à des résolutions souveraines.
Dans cette logique, la définition de la nature du dialogue ainsi amorcé prend tout son sens. Dialogue national ? Dialogue citoyen ? Dialogue de la refondation ? Dialogue social ? Dialogue politique et social ? quel type de dialogue pour sortir le Mali de la débandade ?
La nature, en général, renseigne non seulement sur la qualité du contenu mais aussi sur les attentes par rapport à la finalité recherchée. Dire que la forme importe peu, c’est oublier, d’une part, que « la forme, c’est le fond qui remonte en surface »(Victor Hugo) et, de l’autre, que nous vivons dans un climat socio-politique suspicieux. Dès lors, ce dialogue devrait revêtir un caractère souverain au regard de la nature des questions qui devront être à l’ordre du jour.
De ce point de vue, Il ne suffira plus pour les acteurs sociaux et politiques, de se remettre en cause mais, il devient impératif de repenser le politique au Mali et de « mettre le Mali au-dessus de tout ». Les Maliens, dans leur majorité, n’affectionnent pas les partis politiques. Ils perdent confiance dans les institutions publiques et dans celles et ceux qui en sont les incarnations.
De fait, restaurer la confiance, créer un cadre sain, est un préalable indispensable à la réussite d’un dialogue souverain. Dans cette dynamique, des mesures de confiance de part et d’autre doivent être recherchées et trouvées pour un climat favorable au dialogue.
Au regard de l’impératif d’action, des décisions souveraines permettraient de mener à bien et de façon légitime certaines réformes refondatrices. D’où la légitimité que devraient avoir les acteurs de premier plan du dialogue afin de sortir de la personnalisation et de la personnification du débat public et politique et ainsi saisir ce moment refondateur.
Ce dialogue devrait faire appel au génie du peuple, à son caractère légitime et à sa fonction souveraine pour inventer, débattre et expérimenter afin d’aboutir à des solutions collectives et souveraines. Le dialogue politique pourrait paraître réducteur, or, les forces nationales mériteraient d’être sollicitées à travers un dialogue direct, citoyen et décentralisé afin de permettre une réappropriation de l’espace public et du débat politique. Donc de nouveaux espaces sociaux régénérateurs de vie démocratique, car, comme le rappelle le professeur Joseph Ki-Zerbo, « les formules de participation sont nombreuses. La démocratie n’existait pas [en Afrique] sous la forme d’assemblée nationale où l’individu était représenté par des élus désignés par un vote ».
Du Contenu et de la méthode du dialogue national :
Aujourd’hui, la rupture de dialogue entre les acteurs de la crise est telle que, l’opérationnalisation de l’accord pour la paix et la réconciliation demeure plus un vœu qu’une réalité. Pourtant, sur le terrain, la situation se dégrade de jour en jour. Face à la menace d’une guerre civile au centre du pays, la paix, notion qui loge au cœur de notre culture, est en passe de devenir un lointain souvenir dans la mémoire collective du peuple malien. L’urgence, c’est donc, de recoudre les morceaux de notre tissu social, à travers un dialogue national inclusif, qui prend en considération les préoccupations de l’ensemble des sensibilités du corps social et impliquant des autorités coutumières et traditionnelles de nos différentes communautés socio-culturelles.
Partant de là, le dialogue national doit être abordé comme un processus qui doit faire émerger, à partir des différents niveaux du territoire (cercle, région), des milieux socioprofessionnels, institutionnels et politiques et à toutes les échelles du pays en partant des villages et fractions, une vision partagée de la crise qui freine les évolutions et des perspectives de sortie de crise dans notre pays. Ainsi, le dialogue national dont il est question, doit nécessairement aborder les reformes sur : (1) lapaix et la cohésion sociale ; (2) la gouvernance politique et économique ; (3) la justice.
Par ailleurs, les récents projets du gouvernement sur la révision constitutionnelle et les réformes institutionnelles, trouvent leurs justifications dans l’application et la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation. Cependant, cet accord, qui a péché en termes d’inclusivité, dans sa forme et dans son esprit, nécessite de suspendre dès à présent, les travaux du comité de révision de la constitution, et soumettre l’accord à un véritable dialogue national, de sorte que, sur la base de cette concertation, les orientations de l’accord puissent refléter les désirs profonds de la société toute entière. Ces réformes institutionnelles, doivent permettre une gouvernance rationnelle, fondée sur une plus grande responsabilisation des leaders politiques, notamment, ceux de l’exécutif, devant les parlementaires, mais, aussi et surtout devant l’ensemble de la société, afin d’asseoir une gestion responsable des incessantes crises socioprofessionnelles, dont notamment, les grèves, qui semblent être devenues la norme. Dès lors, le dialogue ne peut être une solution que dans sa capacité à pouvoir prendre à bras le corps l’ensemble de ces questions qui minent aujourd’hui le développement de la société malienne.
….Des défis du dialogue national :
L’importance que révèle ce dialogue national dans le contexte actuel nécessite un profond travail de réflexion en amont pour questionner justement les objectifs du dialogue, ses finalités mais surtout les moyens et limites d’un tel processus. En ce sens, le premier défi à relever est la question du temps. Il est important qu’aucun sujet ne soit négligé dans ce processus. Ce qui demande un temps de discussion et de dialogue suffisamment nécessaire pour réfléchir profondément sur les réformes à introduire dans la vie politique et institutionnelle de la nation.
Les reproches que d’aucuns font à la Conférence Nationale de 1991, c’est surtout sa brièveté. Certes, elle a pu doter le pays d’une constitution, d’une charte des partis, d’un code électoral ; mais après tout, nous sommes en droit de nous demander si ces nombreux textes ont pu permettre l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Il faudra que cette fois-ci les erreurs du passé nous servent de leçons.
La réussite du dialogue national dépendra en majeur partie des conditions de sa préparation. D’où la nécessité de prendre le temps qu’il faut pour approcher l’ensemble des acteurs de la crise dans un souci d’inclusivité et de démocratie.
A la question du temps s’ajoute un autre défi, celui de la sécurité. Les attentats et attaques sont devenus monnaies courantes dans ce pays depuis quelques années. Il est fort intéressant de remarquer que la paix n’est pas le souhait de certains groupes armés car elle compromet sans doute à certains égards, leurs activités et pratiques permettant de s’imposer dans la zone. La sécurité doit donc être renforcée pour permettre non seulement la mobilisation de l’ensemble des citoyens dans le sens unique de la dynamique du dialogue, mais aussi, permettre à ce que les uns et les autres puissent s’exprimer en toute liberté sans menace ni pression. Il ne faudrait pas que certains acteurs soient adoubés pour le dialogue pendant que d’autres en sont exclus, « travailler à transcender toutes les divergences » comme le souligne le Dr Bokary TRETA, acteur politique malien.
Cela doit inclure à la fois les acteurs politiques, institutionnels, la société civile, les autorités traditionnelles et religieuses, les représentants des femmes, les représentants des jeunes, le secteur privé, les collectivités, mais aussi les acteurs internationaux.
Comme le disait dans un tweet un homme politique, Tiébilé DRAME, « …le dialogue politique, s’il a lieu, s’il est bien tenu, s’il est bien conduit, pourrait être un tournant important dans le combat de la rédemption et le relèvement de notre vieux Mali », c’est dans ce vœu, que le dialogue politique en cours prend tout son sens.
Pour le Centre de Recherche et d’Analyses Politiques, Economiques et Sociales du Mali info@crapes.net
Ballan DIAKITE, Chercheur au CRAPES
Mahamadou CISSE, Chercheur au CRAPES
Khalid DEMBELE, Chercheur au CRAPES,
Etienne Fakaba SISSOKO, Directeur de Recherche au CRAPES
22 Septembre