L’Enquête diffusée le jeudi dernier sur France 2, dans le cadre de l’émission « Envoyé Spécial », est édifiante sur l’épineuse question des otages dans le sahel. Concurrence entre négociateurs, diplomatie parallèle, des montants colossaux versés aux ravisseurs, de l’argent qui s’évapore. Et, au bout du compte, deux journalistes de RFI assassinés à Kidal. L’équipe de France 2 a établi un lien entre ce double meurtre et la libération, quelques jours plus tôt, de quatre otages détenus par Aqmi. Au-delà, ce document de France 2 est riche en enseignements pour les Maliens. Il a démontré la clarté de la position de l’ancien président Amadou Toumani Touré par rapport à la question des otages et surtout à son opposition au paiement de rançon. ATT n’a jamais été suivi… Aussi, l’opinion a eu droit à des révélations fracassantes sur la présence et l’activité des barbouzes français dans cette région. Enfin, le financement des réseaux terroristes, ainsi que certains mouvements armés, notamment le Mnla, ont été mis en lumière à travers des témoignages.
Fruit d’un travail d’investigation fouillé et documenté, l’enquête de l’équipe d’Envoyé spécial s’appuie sur des témoignages d’acteurs clés et de fins connaisseurs du dossier, et sur des notes de la Direction du renseignement militaire qui mettent en lumière des dysfonctionnements dans le processus de libération des prisonniers d’Aqmi. Cette enquête revient également sur le business (juteux) des otages occidentaux. Devenu une industrie, il aura généré entre 2008 et 2013 un chiffre d’affaires supérieur à 120 millions d’euros. De l’argent frais qui a profité en premier lieu à Abou Zeid, le chef d’Aqmi, mais aussi à de nombreux intermédiaires locaux.
Le 29 octobre 2013, quatre otages français au Nord Mali étaient libérés après plus de trois ans de captivité dans le désert. Ce fut la sortie de l’enfer pour les employés d’Areva et de Vinci des sites des mines d’uranium d’Arlit au Niger, relâchés par leurs ravisseurs d’Al-Qaida au Maghreb Islamique à l’issue de longues et confuses négociations qui se sont déroulées au nord du Mali.
Quatre jours plus tard, le 2 novembre 2013, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, deux journalistes français de la Radio France International en reportage à Kidal, étaient enlevés et tués par un commando terroriste. Une action aussitôt revendiquée par Aqmi. Dix-huit mois après l’ouverture d’une information judiciaire, on ne connaît toujours pas les auteurs du crime, ni leurs commanditaires et de nombreuses questions restent en suspens. Qui a donné l’information sur ce crime avant même qu’on ne retrouve les corps ? Des complices, des commanditaires ? Peut-être que leur présence dérangeait tout le monde.
Existe-t-il un lien entre les tractations menées pour libérer les otages d’Arlit et l’assassinat des deux journalistes de RFI au Mali ? De nouveaux témoignages et enquêtes semblent le démontrer. En effet, l’Enquête de France 2 établit un lien entre les deux affaires. Il explore la piste d’un double assassinat perpétré en représailles à un problème dans le versement de la rançon exigée par les ravisseurs des otages. Les auteurs du rapt des journalistes auraient agi par vengeance, après avoir estimé que l’intégralité de la somme qu’ils réclamaient n’avait pas été versée. Cette thèse, qui était jusque-là une rumeur tenace, est désormais étayée par un faisceau d’indices troublants.
Deux réseaux de négociateurs
Au moment des faits, une guerre de l’ombre avait opposé des réseaux français de négociateurs concurrents. Il y avait d’un côté Jean-Marc Gadoullet, un ancien colonel de la DGSE en poste à N’Djamena auprès du président Idriss Deby et reconverti après sa démission des services dans le secteur de la protection privée; et de l’autre Pierre-Antoine Lorenzi, le patron de la société de sécurité Amarante.
Chaque camp disposait de ses propres canaux de négociations. Jean-Marc Gadoullet a un temps eu la main. Il a rencontré Abou Zeid, obtenu la libération de trois otages d’Areva en février 2011. Plus tard, en octobre 2013, après le déclenchement de l’intervention militaire française au Mali, les réseaux de Pierre-Antoine Lorenzi parviendront à récupérer Thierry Dol, Marc Féret, Daniel Larribe et Pierre Legrand.
Les autorités françaises ont toujours refusé de s’expliquer publiquement sur ce processus aussi complexe que confuse.
Si les coïncidences dans le dossier sont nombreuses et troublantes, les hypothèses ne manquent pas à RFI. « Ils ont peut-être été assassinés par des intermédiaires qui n’auraient pas reçu leur récompense en échange de leur collaboration avec l’armée française », s’interroge un journaliste qui préfère garder l’anonymat… De son côté, le ministère de la Défense calme le jeu. Face à l’impatience des proches des victimes, il assure que la procédure est en cours. « Il n’y a pas de retard particulier », a précisé dans un communiqué le porte-parole du ministère, Pierre Bayle.
Détournement de fonds
On en sait aussi un peu plus sur ladite rançon versée par la France pour la libération des otages. Au total, « Aqmi a reçu 42 millions d’euros de rançon pour les sept otages d’Areva », affirme l’ancien directeur de cabinet de la DGSE Pierre-Antoine Lorenzi, qui a négocié la seconde libération des otages. De quoi, à l’évidence, acheter des armes, beaucoup d’armes.
Selon Envoyé Spécial, une partie de la rançon ne serait pas arrivée à ses destinataires. Trois millions d’euros n’ont pas été « décaissés », affirme l’un des négociateurs Pierre-Antoine Lorenzi devant la caméra. « Certaines rumeurs ont couru au Nord-Mali selon lesquelles la somme qui avait été donnée (…) était incomplète, il manquait de l’argent dedans. Cela a mis en fureur un des lieutenants d’Abou Zeid (un des chefs d’AQMI) », renchérit Alain Juillet, ancien directeur du renseignement à la DGSE. Pour cette « facture non réglée », les terroristes auraient enlevé et tué les deux journalistes qui « travaillaient discrètement » au nord-Mali sur le possible détournement des rançons d’otages…
Baye Ag Bakabo, le suspect n°1 du meurtre des deux journalistes de RFI à Kidal, « a vivement reproché de n’avoir jamais reçu l’argent en remerciement de l’aide apportée aux équipes chargées de la garde des otages », indique de fait un extrait d’une note confidentielle du renseignement militaire, diffusée dans ce numéro d’Envoyé Spécial.
Selon plusieurs sources, Sidan Ag Hitta, l’un des lieutenants aux ordres d’Abdelkrim le Touareg, aurait aussi demandé, dans le cadre des négociations d’Arlit, que ses neveux emprisonnés à Bamako pour prise d’otage soient libérés. En vain.
CH Sylla
Source: L’Aube
Toute la vérité n’a pas été dite.. Il faut poursuivre l’investigation