Dans cet entretien exclusif, le ministre du Commerce et de la Concurrence développe longuement des solutions au problème récurrent de l’augmentation des prix des produits de première nécessité pendant le mois de carême. Il fait aussi un large tour d’horizon de la situation du commerce, dans un contexte marqué par l’insécurité.
L’Essor : Monsieur le ministre, le mois de ramadan va bientôt commencer et l’on sait que chaque année, à la même période, les prix des denrées de première nécessité prennent l’ascenseur. Quelles sont les dispositions prises par votre département pour faire face à cette situation ?
Alhassane Ag Hamed Moussa :Effectivement, le mois de ramadan c’est pour bientôt, mais nous n’avons pas attendu le ramadan pour prendre des dispositions visant à baisser les prix de certains produits de première nécessité. Dans le cadre des discussions avec l’UNTM, nous avons convenu de réduire les prix de la viande et du riz à compter du 1er avril 2019. C’est ainsi que nous avons pris la catégorie de riz la plus consommée : le riz brisé qu’on appelle brisure. La base taxable étant à 200.000 Fcfa la tonne, nous avons estimé que si l’on baissait la valeur taxable de 50%, ceci pourrait permettre de vendre ce riz à 300 Fcfa le kg au prix de gros et 350 Fcfa au détail sur toute l’étendue du territoire. Il faut aussi souligner que quand un opérateur importe des quantités importantes, 2000 tonnes, par exemple, il y a ce qu’on appelle l’économie d’échelle qui permet de vendre le produit au même prix sur tout le territoire. Avec le ministère de l’Economie et des Finances, nous avons fait une programmation pour étendre l’opération jusqu’en fin septembre. Les opérateurs devant bénéficier de cet avantage doivent d’abord signer un cahier de charges qui précise la liste des distributeurs à l’intérieur du pays, s’engager à importer le riz et à respecter les délais. La programmation des importations est faite par mois. Pour que le prix puisse baisser en avril, l’opération a commencé dès début mars, et aujourd’hui, des quantités importantes sont sur le marché et ont permis de baisser le prix du riz. En plus, les opérateurs, à l’annexe du cahier de charges, se sont engagés à donner la liste de leurs distributeurs. Cela permet à nos représentations régionales de vérifier partout dans le pays, le prix auquel les distributeurs vendent. Ils se sont engagés à respecter le prix de vente de gros et à faire en sorte que leurs distributeurs ne dépassent pas le prix plafond de 350 Fcfa le kg. A Bamako ici, une équipe a visité les magasins et a trouvé que la mesure est respectée. A l’intérieur aussi c’est la même chose. L’opération du riz qui couvre toute l’année, va stabiliser les prix pendant le mois de ramadan. Les importations vont continuer jusqu’en fin septembre parce qu’en novembre-décembre, la production locale arrive sur le marché.
Pour ce qui est de la viande, nous avons particulièrement analysé la structure du prix de la viande bovine qui est la plus consommée. Son prix tourne autour de 2200 à 2250 Fcfa. Nous avons estimé que si l’Etat prenait en charge les frais d’abattage que payent les bouchers à l’abattoir, le prix pourrait descendre de 2200 à 2000 Fcfa de façon générale. Un cahier de charges a également été proposé aux bouchers à Bamako et dans toutes les régions. Présentement, plus d’une centaine de bouchers l’ont signé à Bamako. C’est pourquoi, le prix du kg de viande est de 2000 Fcfa à Bamako, Kayes, Sikasso, Ségou, Mopti. A Gao et Tombouctou, il est fixé à 1900 Fcfa parce que le kg de viande y coûtait 2000 Fcfa. Pour mener l’opération à bien en avril, mai et juin, le ministère des Finances a accordé les montants nécessaires et les ressources sont gérées par une régie spéciale au niveau du ministère du Commerce. La commission chargée de gérer les fonds paye en temps réel.
Une autre subvention aux bouchers, cette fois, financée par le département du Commerce est prévue en cas d’augmentation des prix des animaux à la veille du mois de ramadan, est prévue pour les bouchers. Ce financement sera prélevé sur certains programmes destinés à la viande, juste pour le mois de ramadan pour éviter les risques d’augmentation. Entre autres, généralement, après le carême, les prix des animaux baissent. L’opération de stabilisation du prix va continuer jusqu’en fin juin et nous réfléchissons à des mesures de prolongation jusqu’en fin d’année.
D’autre part, au niveau du marché de bétail, il y a trop d’intermédiaires qui payent des taxes. Cela renchérit le prix des animaux. Aussi, des concertations sont en cours afin d’éliminer les intermédiaires qui ne sont pas nécessaires d’ici au 30 juin. A cela, il faut ajouter que sur le tronçon qui ravitaille Bamako (Nara-Kolokani-Kati-Bamako), les gens payent des taxes sauvages. A partir de Ségou ou de Kangaba c’est la même chose. Nous avons saisi le ministère de la Sécurité pour la suppression de ces taxes sauvages et une fois la mesure effective, nous allons évaluer l’incidence sur les prix. Cela permet de stabiliser les prix au-delà du carême. Par ailleurs, l’Etat a récemment supprimé la TVA à l’importation et à la commercialisation de la graine de coton. Cela aura naturellement une répercussion sur le prix de l’aliment bétail donc indirectement sur le prix des animaux et de la viande. Une autre évaluation est en cours pour pouvoir intégrer l’incidence de cette mesure sur la stabilisation du prix de la viande.
Concernant la pomme de terre, le Mali a trois grands bassins de production : Sikasso, Ségou et Koulikoro. Il y a aussi les producteurs traditionnels. Ensemble, avec les représentants de l’interprofession de la filière, les prix plafonds aux producteurs et aux consommateurs ont été respectivement fixés à 150 et 175 Fcfa. Les prix des grands bassins, eux, sont des prix directeurs c’est-à-dire de référence. Aussi, en les stabilisant, on stabilise les prix de façon indirecte dans les autres régions. L’autre problème, c’est que la pomme de terre est un produit périssable, difficile à stocker sans moyens de stockage. La capacité de stockage frigorifique au Mali est de 35.000 tonnes alors que nous avons produit 350.000 tonnes cette année. Comme l’offre de pomme de terre diminue au fur et à mesure que l’année avance, il a été convenu au mois de mai, de porter le prix au producteur à 200 Fcfa et celui au consommateur à 250 Fcfa. L’objectif, pour toute l’année, étant de ne pas dépasser 350 Fcfa le kg surtout que pendant la période de soudure le prix du kg atteint 500 à 600 Fcfa. Quant au sucre, le marché est tellement inondé que pour permettre l’écoulement de la production de SUKALA, l’importation a été suspendue momentanément. Donc, il n’y a pas de risque d’augmentation du prix du sucre pendant le carême.
L’Essor : Au total, ces subventions vont coûter combien à l’Etat ?
A. A. H. M. : Pour la viande, la subvention débloquée par l’Etat est de 588 millions de Fcfa jusqu’au 30 juin. La subvention d’appui que mon département va accorder, de son côté, au mois de carême est de 300 millions de Fcfa. La subvention directe aux bouchers concerne seulement ceux abattant au niveau des abattoirs, ayant des numéros d’abattage et qui ont déjà signé le cahier de charges parce qu’il y a des bouchers clandestins, et ceux qui ne le sont pas, mais n’ont pas de numéro d’abattage et n’abattent pas dans les abattoirs. Cette approche est plus facile à gérer parce que les abattoirs sont connus et une commission, composée de nos services, des services vétérinaires, des bouchers, passe pratiquement toute la nuit au niveau de chaque abattoir à Bamako et dans les régions pour donner le lendemain les statistiques exactes des animaux abattus. La commission fait un rapport sur la base duquel sont payés les frais d’abattage. A Bamako, il y a essentiellement deux abattoirs : à Sabalibougou et au Sans-Fil auxquels, il faut ajouter l’abattoir de Kanadjiguila dans le cercle de Kati. A Kanadjiguila, abattent aussi des Bamakois. Pour le riz, nous n’avons pas encore fait d’évaluation pour toute l’année, mais l’incidence, ce sont des milliards parce qu’on a fait baisser la base taxable de 50%.
L’Essor : Dans le contexte difficile que nous vivons, comment se porte le secteur du commerce ?
A. A. H.M. : Le contexte est difficile, mais il ne faut pas perdre de vue que le Mali est un pays de commerce. De 2013 à 2018, les importations ont augmenté de 27% et les exportations de 15%. Cela signifie qu’il y a une certaine dynamique, malgré l’insécurité qui a affecté négativement notre économie. Ce qui est important, c’est la résilience forte de notre économie en général, et du commerce en particulier. Cette résilience est liée aux différentes réformes entreprises depuis les années 80. Beaucoup d’efforts a été faits en matière de libéralisation de l’économie. Nous avons fait des réformes législatives et réglementaires en matière de commerce, de concurrence, de métrologie et concernant le consommateur. Une politique de développement du commerce avec un plan d’actions dont la mise en œuvre est en cours, a été adoptée. La Douane et la direction générale du commerce et de la concurrence sont interconnectées. Ce qui permet de mieux partager les informations et de mieux contrôler les importations. Il y a eu aussi un effort en matière d’équipement des structures. Ainsi, depuis un certain temps, nous menons, par exemple, des actions de vérification du poids du pain et des bouteilles de gaz au niveau des sociétés de distribution.
L’Essor : Quelles sont les priorités de votre département ?
A.A. H. M. : L’une de nos principales préoccupations est la recherche de solutions à la stabilisation des prix de certaines denrées de première nécessité afin de protéger le consommateur. En bonne place figure également le Projet des commerçants détaillants que nous avons transformé en Projet de formalisation des acteurs du commerce pour faire passer le maximum possible de commerçants du secteur informel au formel et moderniser notre commerce. En outre, on a un grand projet d’exportation de viande qui prévoit la construction d’abattoirs modernes à Sikasso, Gao et Bamako. L’abattoir moderne de Kayes quant à lui, sera renforcé. Le projet est appuyé par le PNUD, l’Union européenne et beaucoup d’autres partenaires. Et trois ministères sont fortement impliqués : Elevage et Pêche, Développement industriel et Transports. La semaine prochaine nous allons tenir une réunion de sensibilisation avec le secteur privé, toutes les chambres consulaires et le Conseil national du patronat. Ensuite, il y aura une réunion des bailleurs de fonds pour la mobilisation des ressources. Ces abattoirs seront construits par les opérateurs privés maliens avec l’accompagnement de l’Etat. Nous pouvons négocier des lignes de crédit à rétrocéder aux promoteurs pour la construction. Autre priorité : nous sommes dans plusieurs organisations internationales (UEMOA, CEDEAO, la Zone de libre- échange, l’OMC) qui présentent des atouts pour nos pays. Nous nous devons d’exploiter au mieux ces opportunités. L’OMC, par exemple, a des programmes pour les Pays les moins avancés. On peut donc mobiliser des ressources au regard de notre statut. Il s’agit de défendre les intérêts commerciaux du Mali au niveau de ces organisations.
Il y a aussi l’Hôtel du commerce qui est en construction et qui doit loger le ministère et toutes ses structures (APEX, DGCC, l’Agence de métrologie, le Projet de formalisation des acteurs du commerce, l’Unité de mise en œuvre du cadre intégré, le Projet de développement de l’exportation de la viande) dans la perspective de faciliter le travail et de rendre l’action du département beaucoup plus efficace. Il sera construit sur budget national sur un site historique qui a abrité le premier ministère du Commerce sous la première République. Autre information importante : cette semaine, nous organisons un forum avec la Turquie, essentiellement pour améliorer nos exportations. La Turquie a des compétences avérées dans les domaines de la construction, de la transformation et de l’exportation des produits finis, de l’énergie et il y a beaucoup d’opérateurs qui sont intéressés par la transformation de notre coton. Je pense qu’on peut beaucoup apprendre de l’expérience de la Turquie.
L’Essor : Quelle est la contribution du commerce à l’économie et à quelles difficultés est-il confronté ?
A. A. H. M. : Aujourd’hui, le commerce classique contribue à environ 12% au PIB et le secteur tertiaire en général à 40%. L’enclavement est une contrainte majeure même si depuis des années, nous avons diversifié nos sources d’approvisionnement ainsi que les infrastructures routières. Il y a le faible niveau de transformation agricole, l’insuffisance des infrastructures commerciales. Le cas le plus illustratif est celui de la pomme de terre. C’est pourquoi, des entrepôts frigorifiques sont en construction à Sikasso. Il y a aussi, la fraude et surtout la fraude intellectuelle au niveau des importateurs. Par ailleurs, la situation d’insécurité actuelle, elle-même, constitue une contrainte majeure parce qu’elle favorise la fraude et toutes sortes de trafic.
L’Essor : Où en est-on avec les Accords de partenariat économique (APE) et la Zone de libre échange continentale ?
A. A. H. M. : Pour les APE, nous avons signé, mais nous n’avons pas ratifié. Deux pays ont ratifié les accords intérimaires : le Ghana et la Côte d’Ivoire. Ces pays sont de gros exportateurs de cacao et ne veulent pas perdre leurs marchés. Le marché libre des APE défavorise le pays. C’est pour cela que nous n’avons pas encore signé les accords intérimaires. On préfère attendre les négociations de façon générale et beaucoup de pays se trouvent dans la même situation que nous.
Par contre, on a signé et ratifié pour la Zone de libre échange continentale. Vingt-deux pays ont ratifié mais, il y a des pertes à enregistrer au niveau des recettes au cordon douanier et un système de compensation est prévu. Et puis, la mise en œuvre de ces accords, est progressive. L’avantage c’est la circulation des capitaux et l’accès à un très grand marché à l’échelle africaine.
Propos recueillis par
Fatoumata MAÏGA
Essor