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Les chroniques de la tribune : Le désordre et les fantômes du “Centre-Mali”

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“Ça chauffait trop ici. Tous les chemins morts. Restait seulement celui de l’espoir. Tous les droits tués, restait le droit à l’espoir, aux illusions peut-être. Et il y avait un mot fort qui bousculait tous les cœurs, tous les cerveaux, toutes les chairs. Ce mot, c’était peut-être. Elle essaya de penser aux anges organisés en céleste armée. Et qui mettraient le monde en déroute en soufflant dans leurs clairons. “Si Dieu ne vient pas, il n’y aura plus jamais la paix ici. Les gens se tuent, ils se pourchassent, se traquent, se piègent“. (Sony Labou Tansi, L’anté-peuple, 181)

En relisant ce roman très “costaud” de Sony Labou Tansi, je me suis retrouvé dans le Mali d’hier et d’aujourd’hui. La monstrueuse caricature d’une dictature tropicale avec ses valets, soldatesque vivant sur l’habitant, fabriquant de terreur, inventeur de complots, faisant régner la terreur. Il s’agit tout simplement, comme le dit Achille Mbembe, de l’administration d’une violence lapidaire et improductive. Comment, en effet, explorer et comprendre le sens de cette violence à l’état brut, cette violence massive au Centre du Mali après les épisodes guerriers au Nord de la République ? Au Mali, les massacres se suivent et se ressemblent de Sobané Da à Ogossagou en passant par tous les autres trous noirs de cette violence écarlate. “La violence, en effet, selon Achille Mbembe, a une épaisseur humaine telle qu’il est difficile d’en parler en faisant l’impasse sur des interrogations fondamentales, que celles-ci portent sur les problèmes de légitimité, d’éthique ou, plus simplement, de construction de l’ordre social. Pis, elle produit la mort : à petit feu ou, souvent, à forte dose. Elle constitue donc un aspect structurant de la postcolonie. Dans un sens, on doit dire de la postcolonie qu’elle est un régime particulier de production de la mort et d’invention du désordre”. Il est évident que cette violence-là n’est pas spécifique à l’Afrique, ni au Mali, les exemples dans l’histoire de l’Amérique Latine ou de l’Asie, voire même de l’Europe, sont légion. Ce qui l’est moins, spécialement, dans le cas du Mali, c’est sa privatisation et son hétéronomie au point qu’elle délégitime chaque jour davantage, ceux-là qui avaient l’usage légitime de cette violence.

Selon les médias qui nous abreuvent de leurs suppositions et supputations, une vingtaine d’enquêtes auraient été ouvertes pour faire la lumière sur les tueries au centre du pays, mais de nombreux obstacles empêcheraient la justice d’aboutir. Quels obstacles ? Des obstacles internes à la justice ou externes à la justice ? On ne nous le dit pas toujours. L’armée ne parvient pas à protéger les populations. Quelle armée ? Quelles populations ?

Lors des manifestations à Bamako le vendredi 21 juin 2019, on pouvait lire sur des pancartes de manifestants ou dans leurs interviews : “halte à l’amalgame ! Trop c’est trop ! On en a marre ! Des forces du mal se sont immiscées entre nous et veulent nous diviser. Ce n’est pas un conflit entre civils dogon et peulh ! “ – “Il faut que l’État mène des enquêtes afin que nous connaissions l’identité de ces groupes armés qui nous tuent. L’impunité doit cesser”. Toute l’économie de cette violence-là a une généalogie que l’on peut difficilement disqualifier si l’on veut comprendre les ressorts historiques des situations actuelles du Mali contemporain.

Le Mali postcolonial et l’invention du désordre.

Toute l’histoire du Mali postcolonial, excepté le bref intermède de la République socialiste de Modibo Keita, 1960 à 1968, est traversée par le désordre. Selon Wikipédia, étymologiquement le concept d’ordre vient du latin : ordo (rang, rangée, classe de citoyen, succession, distribution régulière). Pour faire court, ordre = arrangement raisonné et logique, disposition régulière des choses les unes par rapport aux autres, relation intelligible entre différents éléments pouvant être instituée ou constatée. Ainsi donc, l’ordre social suppose un ordonnancement intelligible des rapports sociaux ainsi qu’une compréhension claire des rapports existants entre les différentes structures sociales. L’ordre social est subordonné dans ces conditions à l’ordre politique et économique. Plus prosaïquement, le désordre politique, c’est justement lorsque la démocratie, telle qu’elle est édictée ne marche plus et que les gouvernants africains l’accommodent à la sauce africaine, sous prétexte d’originalité et d’exception culturelle. Le désordre économique, c’est lorsque le consommateur ne produit rien et consomme plus que le producteur, l’économie classique est faussée et les ressources sont accaparées par une poignée de rapaces. Le désordre culturel, c’est un peu comme le disait Platon le philosophe, lorsque les pères craignent leurs enfants et que les maîtres ont peur de leurs élèves et les adulent, alors, les valeurs sont inversées et la société marche sur la tête, un peu comme on le voit aujourd’hui au Mali.

La première intrusion du désordre dans l’État malien aura lieu exactement le 19 novembre 1968. La République socialiste du président Modibo Keita est mise à mal par une triple crise qui a fortement mécontenté la République française : a) Modibo et ses camarades ont osé créer la Fédération du Mali regroupant le Soudan et le Sénégal et c’est lorsque l’acte de création de l’entité va être célébré que, par la volonté de la France, les autorités des deux pays se brouillent et la fédération éclate le 19 août 1960. Modibo va alors proclamer l’indépendance du Mali le 22 septembre 1960. Le second volet du mécontentement de la Métropole concerne, b) la façon cavalière dont le président Keita, le 20 janvier 1961 demande le départ des militaires français de toutes les bases militaires de la jeune République. Enfin, il nous semble que la c) création du franc malien le 1er juillet 1962 sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Cette fronde de Modibo en trois étapes va conforter Paris dans son désir d’une reprise en main de la jeune République. Ayant échoué à le faire par les civils notamment Fily Dabo Cissoko, c’est donc à “un Nègre de service”, un obscur sous-officier, le lieutenant Moussa Traoré et ses compagnons que reviendra la triste besogne d’interrompre la trajectoire de la première République du Mali. Nous sommes le 19 novembre 1968, coup d’État militaire au Mali. C’est ainsi donc que le désordre entra dans la République du Mali, et donc, entra dans l’armée et dans tous les segments de cette république-là.

Face aux putschistes qui ont un certain nombre d’exigences, Modibo parle de droit et d’ordre : “Nous sommes dans un pays de droit et de démocratie. Nous respectons depuis l’indépendance la volonté populaire. C’est le peuple qui a opté pour le socialisme (…) Le socialisme n’est donc pas mon choix à moi tout seul, demandez au peuple ce qu’il en pense. Quant à mes collaborateurs (…) je leur fais confiance”. Tanpis pour celui qui respecte le peuple, ce sera donc un coup d’État. C’est ainsi que le désordre se propagea au cœur de la République. Plusieurs factions se dessinent rapidement au sein de l’armée. Des officiers supérieurs refusent de se laisser « manipuler » par des sous-officiers même s’ils ont réussi « leur coup d’État. » Du point de vue politique, après un pilotage à vue pendant plusieurs années, arrive en 1974, l’UDPM (Union Démocratique du Peuple Malien), parti unique tout puissant. Et, comme au pays de l’anté-peuple, “c’était dur pour Yealdara et Amando. Les coups. Les chutes. Les injures. Les armes braquées. Pourquoi Dieu ne faisait-il pas sa part des choses ? Le fusil devenait un cœur. Mais un cœur dur. On abattait. Et ça tombait. Ici, là, ailleurs. La gâchette était devenue un cerveau. Le canon une âme. Et ça tirait. Et ça tombait. Comment pouvait-on appeler cela, sinon temps de chien ? “ Ce “temps de chien” du Mali va durer 23 années pendant lesquelles les Maliens vont assister à la descente aux enfers de leur pays. Le Mali entre dans un cycle de manifestations clandestines et ouvertes jusqu’à ladite “révolution de mars 1991”. Le désordre premier, l’irruption des militaires à la tête du Mali va engendrer d’autres désordres comme la famine instrumentalisée, la situation catastrophique du système scolaire, le désordre dans les camps militaires, l’enrichissement illicite, un certain laisser-aller général qui commence à s’installer et va s’amplifier avec la démocratisation, etc., comme le dit Achille Mbembe, “on assiste à l’épuisement d’un modèle d’accumulation et d’un modèle de gouvernement”. Le couronnement de cette époque, ce sont les événements de mars 1991, invention de “la culture de l’émeute et les cafouillages sanglants…“ La suite de l’histoire récente du pays va illustrer d’une façon éloquente l’incapacité des Maliens à se départir de cette culture de la violence, qu’elle soit physique, symbolique ou autre, mais, elle sera surtout symbolique.

Du Mali démocratique à la faillite de la démocratie

Au sortir de la longue nuit imposée au peuple malien par la junte militaire (1968 à 1974), convertie sur le tard en parti politique unique (1974 à 1991), le Mali aurait pu démarrer sur des bases saines si les acteurs de mars 1991 avaient tous joué la carte de l’intérêt suprême du pays. Malheureusement, dès la Conférence Nationale en juillet 1991, les positionnements des uns et des autres vont biaiser et hypothéquer pour longtemps l’avenir de ce « pays martyr » de par la volonté de ses propres enfants.

Issa N’Diaye qui reprend le Manifeste pour la Patrie, Appel aux militants de l’Adéma, résume parfaitement la situation qui prévaut lorsqu’enfin les maliens se donnent des dirigeants pour faire face au changement tant espéré. “Porté au pouvoir par des élections libres et démocratiques qui assurèrent son triomphe avec près des deux-tiers des suffrages exprimés, l’Adéma, était désormais porteur des espérances longtemps nourries par notre peuple martyr. Mais en quelques mois d’une gestion hasardeuse du pouvoir, le Parti dilapida le capital immense de confiance et d’espoir acquis auprès des masses”. C’est que les adémistes vont aussi vivre le pouvoir tout comme les militaires qui ont pris le pouvoir par coup d’État en 1968, la légitimité et la culture en plus. Les militaires étaient venus pour jouir du pouvoir, les vainqueurs des élections de 1992 aussi. Autant l’incompétence a régné sous le régime militaire, autant, il s’imposera à l’Adéma de par la volonté du prince. La descente aux enfers de l’armée se poursuit, pendant que mensonge, courtisanerie et flagornerie empoisonnent tous les circuits du pouvoir. Si le bilan de gestion du pouvoir de 1992 à 2002 de l’Adéma, fait par la Commission politique de son Comité Exécutif n’a jamais été publié, c’est qu’il y a à redire. En tête du doute cartésien, peut-être que le fameux pacte républicain fut une erreur dans sa mise en œuvre. Comme quoi, la générosité ne suffit pas pour faire une bonne politique ! Face à la fronde sociale et aux querelles pour les postes, les gouvernements tombent les uns après les autres. Quand IBK arrive à la primature en février 1994, l’Adéma continue sa politique d’ouverture pour essayer de rassembler, mais les crises internes au Parti et les crises sociales vont avoir raison de la bonne volonté. Le Parti va être laminé par 3 scissions successives (le Miria de Mamadou Lamine Traoré (Mouvement pour l’Indépendance la Renaissance et l’Intégration Africaine), RPM de Ibrahim Boubacar Keita (Rassemblement pour le Mali), et enfin URD de Soumaïla Cissé (Union pour la république et la Démocratie). Lorsque s’annoncent le scrutin de 2002, l’Adéma est pratiquement l’ombre de lui-même, certaines pratiques comme la corruption à grande échelle, le népotisme, l’achat de consciences, les divisions internes et la falsification délibérée des résultats électoraux s’installent durablement au sommet de l’État.

Le scrutin présidentiel de 2002 est une véritable pièce d’anthologie : 25 candidats déclarés, 24 retenus avec un candidat indépendant soutenu par au moins 23 partis politiques et pas des moindres ! Soumaïla Cissé investi par le parti au pouvoir (Adéma) se voit concurrencé par deux transfuges (Mandé Sidibé et A. Mandani Diallo). Au 1er tour, ATT arrive en tête suivi par Cissé et Keita. Au second tour, naturellement, Cissé est battu à plate couture, mais la participation de 29,99 % interroge la démocratie. En effet, comment un président élu par seulement un peu plus du quart des électeurs maliens pourrait-il être légitime et légal ? Avec le président ATT s’installe une nouvelle gouvernance : le “consensus”. Une façon de faire porter par tous et par personne la responsabilité des échecs et des errements. Et pourtant, comme dit quelqu’un, c’est ce consensus qui l’a perdu, lui qui, 9 ans durant a associé toute la classe politique malienne à la gestion du pouvoir. Le résultat a été dit-on, on ne peut plus catastrophique avec un non-respect du fait majoritaire, une classe politique clochardisée, une marchandisation accrue des postes de responsabilité, une corruption généralisée. Et les hommes politiques, à quelques exceptions près, ne voudront plus jamais quitter cette façon “bâtarde” de faire la politique, puisque ceci les dédouanait désormais d’affronter le suffrage universel et d’assumer la responsabilité de l’échec des gouvernements successifs.

Quand ATT est chassé du pouvoir pendant les « affreux événements » de 2012, le Mali est en situation de pourrissement sur pied très avancé : (tous les trafics sont permis au Nord de par la volonté du prince (véhicules, denrées alimentaires, touristes, migrants, drogues dures, etc.) ; le centre du pouvoir est entre les mains de quelques personnes et leurs femmes (ATT compris) ; rien dans la société malienne ne marche selon des règles, tout est aléatoire, tout est possible inclusivement, au point qu’on peut retrouver des illettrés incompétents dans les hautes sphères de l’administration et ce, par la volonté du prince). Comment alors s’étonner qu’un Sanogo et sa clique arrive aux affaires par le plus capricieux des hasards !

Le cafouillage qu’on a appelé Transition après la “démission forcée” de ATT est le temps de la recolonisation du Mali par la France via la Cedéao.

La France aux commandes du grand désordre au Mali

Plus grand pompier en Afrique que la France, tu meurs ! Depuis que les enlèvements de touristes ont commencé à se multiplier au Nord dans les années 2000, la France est en train d’activer ses marionnettes du MNLA et autres. Il lui faut faire le vide dans la région pour procéder à “huis-clos” à sa mise sous tutelle. ATT n’y a vu que du feu ainsi que ces hommes et femmes politiques, à quelques exceptions près, plus préoccupés de prébendes que du bien dudit “Maliba” qui, en réalité est devenu si “petit” ! Cette nouvelle rébellion en 2012 appuyée sur une kyrielle de djihadistes de toutes obédiences n’est pas une surprise pour le “parrain”, c’est lui qui connait les tenants et aboutissants de tout ce qui arrive dans la “postcolonie du Mali”. La France va allumer ses feux et venir elle-même les éteindre comme en 2013 lorsqu’elle tient absolument à intervenir à terre, alors que la transition lui demandait juste un soutien aérien pour aider les troupes au sol. Pourquoi la France tient-elle à risquer la vie de ses enfants sur le sol malien, alors qu’elle pourrait faire autrement ? Pour sauver le Mali et les Maliens ? Tu parles ! C’est que l’enjeu qu’elle entrevoit est tellement énorme qu’elle est prête est sacrifier quelques-uns de ses fils militaires. Désormais (nous sommes en 2013) elle est enfin dans la place tant convoitée depuis que Modibo a chassé les militaires français des garnisons maliennes en 1961. Kidal, le Nième département français est interdit à l’armée malienne, la boucle de la honte de 1961 est bouclée, la France est vengée, c’est aussi le comble du désordre. La France peut procéder à l’appropriation de la région de Kidal et de ses ressources en poussant à la roue pour une mise en œuvre intégrale et rapide de l’Accord d’Alger. Qui de l’Europe, l’Amérique ou la Chine ou de l’URSS pourrait lui en vouloir ? Elle a perdu tellement de millions d’euros et de militaires dans l’affaire, elle doit se payer sur le “cadavre de la bête”.

Quand le Mali sort enfin de cette grande nuit qu’on a appelée Transition avec les élections générales de 2013, le presque plébiscite de Ibrahim Boubacar Keita (IBK) au second tour, est un acte d’espérance et de foi que tous ceux qui ont donné leurs voix au RPM, font de pouvoir sortir enfin du désordre économique, politique, social, militaire et culturel, où ils sont plongés depuis 1968.

La courtisanerie est telle dans ce pays qu’il serait hasardeux de répondre à cette question par l’affirmative. Notre président est tellement isolé dans sa bulle et son avion présidentiel qu’il est loin de soupçonner que nous tous qui avons voté pour lui regrettons aujourd’hui d’avoir été “trompés sur la marchandise”. Ce premier ministre de fer que nous avions connu de 1994 à 2000 est mort et enterré, ce que les électeurs de 2013 ignoraient. Nous attendions un président à la “poigne de fer” et nous nous retrouvons avec un “faux dur”, bon exécutant et mauvais décideur, nous apprend-on. Le désordre politique continue lorsque le fils se retrouve comme par miracle aux affaires. Un enfant, président de la Commission de défense de l’Assemblée Nationale d’un pays en guerre, c’est inédit et l’on se dit que ce n’est pas étonnant que nous soyons toujours perdants dans cette guerre ! Le désordre économique continue avec ces sommes faramineuses gaspillées, volées, mal utilisées, distribuées n’importe comment, alors que la santé du pays se dégrade jour après jour, et que chaque jour on n’entend parler que du gaspillage de l’argent du contribuable ou de l’aide au développement. Le désordre social continue dans une société malienne de plus en plus mal éduquée, avec une jeunesse de plus en plus pervertie par les contre-valeurs que nous lui enseignons aujourd’hui, lorsqu’on ne la retrouve pas dans les camps libyens ou au fond de la Méditerranée dans l’indifférence générale. Le désordre militaire continue avec cette pléthore de généraux “fabriqués” par ATT et qui n’ont pas encore pu faire de cette armée laminée par des décennies d’incivisme, une armée digne de ce nom. Le désordre culturel continue avec cette école du “copier-coller” où les examens sont une énorme blague tant la fraude s’étale au vu et au su de tous, cautionnée par tous, même par les parents qui ne se soucient que de diplôme et non d’éducation et de formation.

En élisant le président IBK en 2013, les Maliens avaient souhaité une reprise en main de leur pays à l’abandon, véritable gâteau que quelques rapaces se disputent. Ils se sont retrouvés avec un président plus préoccupé de son confort personnel et de celui de ses dépendants que du bien du Mali. La reprise en main tant attendue n’a pas eu lieu. Et comme le dit Issa N’Diaye dans le Festival des brigands, “(…) aujourd’hui, le pays a perdu toute souveraineté (…) Les bases françaises fermées sous Modibo Keita se sont réinstallées et étendues. Des militaires européens et américains circulent comme en territoire conquis. Des troupes africaines, surtout de pays voisins aident à maintenir la présence étrangère et à dicter la volonté des puissances occidentales. Mais, tout cela est arrivé du fait de la trahison et de la cupidité des Maliens eux-mêmes. Certains, devenus mercenaires au fil du temps sur les champs de bataille lointains, sont venus semer la désolation au nom d’une théorie indépendantisme fumeuse, fabriquée dans des laboratoires de propagande des services secrets étrangers. Des idéologies religieuses importées à coups de pétrodollars des monarchies du Golfe s’y sont ajoutées, semant la confusion dans les esprits au nom d’un islam contrefait. L’appât du gain facile face aux incertitudes du lendemain, les trafics en tous genres, notamment de drogue, d’otages et de migrants, le bradage des ressources nationales avec la complicité des élites locales, le pillage et détournements des deniers publics, achevèrent la ruine matérielle et morale d’un pays désormais sans perspective. La corruption généralisée est devenue la philosophie de la débrouillardise au quotidien de la société malienne”. C’est dans ce contexte de fin d’une République que la violence du désordre a glissé petit à petit jusqu’au centre du pays et que Dogons et Peulh sont devenus les “faire valoir” d’une violence symbolique qui ne dit pas son nom.

Les fantômes du centre du Mali

Selon Jeune Afrique, “depuis l’apparition en 2015 dans le centre du Mali du groupe jihadiste du prédicateur Amadou Koufa, recrutant prioritairement parmi les Peuls, traditionnellement éleveurs, les affrontements se multiplient entre cette communauté et les ethnies bambara et dogon, pratiquant essentiellement l’agriculture, qui ont créé des “groupes d’autodéfense”. Ce raccourci journalistique a vite fait de définir et de camper une crise aussi complexe que celle qui sévit au centre du Mali. Comment est-ce possible que deux peuples ayant vécu pendant tant de décennies ensemble, de surcroit, parents à plaisanterie, se mettent, du jour au lendemain, à se massacrer à qui mieux mieux ? Les anthropologues et sociologues de “service” invoquent la traditionnelle opposition entre éleveurs et agriculteurs. Les spécialistes en djihadisme parlent d’Amadou Koufa le Peulh qui aurait dressé les Peulh (djihadisés) contre les autres peuples de la vallée. Tout et son contraire a été dit sur cette crise pour essayer d’en rendre compte ; tout, sauf peut-être l’essentiel que, par pudeur ou peur on évite d’évoquer.

Autant la rébellion au nord du Mali fut et est produit de la mauvaise gouvernance, autant la crise au centre est le fruit d’une mauvaise gouvernance voulue, entretenue par des petits malins qui en tirent profit. Pendant des décennies les différents gouvernants du Mali ont acheté la paix en gaspillant l’argent du contribuable distribué à des chefs de guerre insatiables et véreux et en signant des Accords, le plus souvent, inopérants. Cette politique de marchandisation de la paix arrangeait aussi bien Bamako que les chefs de guerre du Nord, mais évitait délibérément de s’attaquer aux vraies questions de fond. C’est la même politique d’achat de la paix que Bamako est en train de mettre en œuvre actuellement au Centre du pays. Remède inopérant, étant entendu que lorsque les petits chefs de guerre auront fini de “manger” leurs millions, ils reprendront les armes pour obliger l’État à arroser encore de plus belle. Il faut être sérieux ! distribuer des millions à des chefs de clans, à des émissaires inefficaces, à des présidents de ceci ou de cela ne fera pas rejoindre les ancêtres les “fantômes de ceux et celles” (vieux, adultes, femmes et enfants, jeunes, peulh et dogon et autres) qui ont été massacrés à cause de notre incurie et nos manœuvres de mauvaise politique politicienne. Dans un pays où il n’y a plus que l’argent qui “parle” et qui “signifie”, il nous semble que le sang des martyrs du centre du Mali crie plus fort que l’argent.

Tout le monde le sait, la société civile Dogon et Peulh est la mieux organisée de ce pays à travers les associations Guina Dogon et Tabital Pulaku, actives dans les grandes villes et dans les différentes diasporas, elles le sont dans les falaises, sur le Plateau et dans la Plaine du pays dogon et peulh. Il est connu aussi qu’au Mali la société civile a été très tôt noyautée par le politique, rendant caduque la possibilité d’action des associations qui s’agitent sur la place publique. Ce mélange des genres est le poison qui empêche une vraie moralisation du champ politique par la société civile au Mali. Les ” infiltrés politiques” au sein des associations les instrumentalisent, en manipulent les membres pour consolider leurs assises politiques. Dans les cafouillages sanglants actuels au centre du pays, est-il illusoire de penser que peut-être des hommes et/ou femmes politiques peulh et/ou dogon, voire, autres, pour consolider leur assise politique, soient en train d’instrumentaliser ces peuples du centre du pays ? La pression démographique sur des territoires qui rétrécissent, la pression des espaces cultivables sur les “bourgoutières”, tout cela peut être instrumentalisé par des personnes inconscientes et égoïstes et qui n’ont que faire de l’intérêt des peuples dogon et peulh. En voulant rendre compte de tout ce qui nous arrive à travers les lunettes du sociologue et/ou de l’anthropologue blanc, nous nous privons parfois des explications les plus banales et les plus terre à terre.

Notre pays est arrivé à un tel niveau de décomposition sociale, le gain facile et la paresse comme pratiques quotidiennes ont tellement pénétré notre société malienne que “l’argent facile” est désormais le dénominateur commun explicatif de tout ce qui se dit, se fait et arrive dans le Mali d’aujourd’hui.

Malheur à nous maliens, si d’aventure, c’était au nom de l’argent que le sang innocent coule et abreuve les sols du pays dogon et peulh.

Les fantômes des enfants innocents et des femmes innocentes, les fantômes des vieillards innocents et des vieilles innocentes crient depuis la terre vers le ciel invoquant Mammon sur les têtes couronnées qui les ont abandonnés à leur sort !

Les fantômes des braves innocents dogons et peulhs morts dans la force de l’âge, sève nourricière de familles amputées, crient vengeance sur les têtes (in) compétentes qui ont pensé leur sort !

Si les vrais Dieux de nos ancêtres, de l’Islam, du Christianisme ont déserté nos terres maliennes, mon Dieu, vers quels paradis de braises iront reposer les fantômes de nos morts ?

Si la vraie religion de nos ancêtres, de l’Islam et du Christianisme est désormais morte dans notre pays, laissant la religion de Mammon, vers quels dieux iront nos morts innocents désormais ?

S’il n’y a plus de vrais religieux dans notre pays désormais, sauf les prophètes de Mammon, qui priera pour que les fantômes de nos morts aillent reposer dans une terre où coulent le lait et le miel ?

Le Gallican

Mali Tribune

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