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Zimbabwe : le sort de la dépouille de l’ancien président Robert Mugabe au cœur de croyances millénaires et d’arrière-pensées politiques

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Sitôt la mort à 95 ans de l’ex-président zimbabwéen annoncée, le 6 septembre 2019,  la question épineuse du lieu de son inhumation a viré à la guerre ouverte entre le gouvernement de son successeur Emmerson Mnangagwa et sa famille.

Le cercueil de l\’ancien président du Zimbabwe Robert Mugabe a été exposé dans son village natal, Kutama, pour permettre aux habitants de lui dire adieu (16 septembre 2019).Le cercueil de l’ancien président du Zimbabwe Robert Mugabe a été exposé dans son village natal, Kutama, pour permettre aux habitants de lui dire adieu (16 septembre 2019). (WILFRED KAJESE / ANADOLU AGENCY)

Même disparu, Robert Mugabe suscite toujours la controverse. D’abord champion acclamé de l’indépendance, l’ancien président a ensuite dirigé le Zimbabwe d’une main de fer pendant trente-sept longues années, avant d’être contraint à la démission en 2017 par un coup de force de l’armée et de son parti. Et aujourd’hui, une féroce bataille se joue autour des conditions de son enterrement. Une situation qui remet en pleine lumière la persistance des traditions mortuaires africaines.

 

Aux autorités actuelles, qui exigeaient que Robert Mugabe soit enterré dans la capitale Harare, au panthéon des vétérans de la “lutte de libération”, ses proches et les chefs traditionnels ont répondu qu’il ne pouvait l’être que dans son village natal de Kutama (nord). Après plusieurs jours de tractations, la famille a finalement accepté qu’il soit enterré au “Champ des héros” dans quelques semaines, une fois construit un mausolée en son honneur. Est-ce pour autant la fin du bras de fer ? Pas sûr.

Le président du Zimbabwe Emmerson Mnangagwa et sa femme Auxilia lors d\’une cérémonie d\’adieu à Robert Mugabe à Harare le 14 septembre 2019, une semaine après le décès de l\’ancien président.Le président du Zimbabwe Emmerson Mnangagwa et sa femme Auxilia lors d’une cérémonie d’adieu à Robert Mugabe à Harare le 14 septembre 2019, une semaine après le décès de l’ancien président. (ZINYANGE AUNTONY / AFP)

Les chefs coutumiers ne désarment pas

Alors que Kutama saluait une dernière fois la dépouille de l’enfant du pays le 16 septembre 2019, certains chefs traditionnels semblaient ne pas avoir désarmé. L’un d’eux a confié à l’AFP que le principe d’une inhumation à Harare avait été agréé “pour l’instant” mais que le détail de l’opération restait encore à définir. “Je ne peux pas en dire plus, c’est privé”, a-t-il poursuivi, sibyllin.

“Il est dans notre culture ici à Zvimba (district où se trouve Kutama et lieu de résidence du couple Mugabe) que les chefs soient enterrés dans des grottes lors de cérémonies nocturnes secrètes”, rappelle, plus explicite, l’un des neveux de Robert Mugabe, Dominic Matibiri. “Assurer aujourd’hui qu’il sera enterré au Champ des héros, je ne m’y risquerai pas”, pronostique-t-il.

Mugabe, “une incarnation de l’esprit de Kaguvi”

Même dans le Zimbabwe du début du XXIe siècle, le respect des traditions et des superstitions reste intangible au point d’interdire toute dérogation à la coutume, défend même un important guérisseur du cru, Benjamin Burombo. “Quand un chef tel que Mugabe meurt, il ne peut pas être enterré au Champ des héros. C’est interdit, il ne peut l’être que dans une grotte”, affirme-t-il, péremptoire. “Mugabe n’était pas que président, il était aussi une incarnation de l’esprit de Kaguvi”, plaide M. Burombo, en référence au chef d’une rébellion de l’ethnie shona – celle de Robert Mugabe – réprimée par les colons britanniques à la fin du XIXe siècle.

Une jeune Zimbabwéenne tient une pancarte en hommage à Robert Mugabe, \”notre héros, notre libérateur\”, mort dans un luxueux hôpital de Singapour où il avait l\’habitude de se faire soigner (photo du 16 septembre 2019).Une jeune Zimbabwéenne tient une pancarte en hommage à Robert Mugabe, “notre héros, notre libérateur”, mort dans un luxueux hôpital de Singapour où il avait l’habitude de se faire soigner (photo du 16 septembre 2019). (JEKESAI NJIKIZANA / AFP)

“Un monument … c’est juste pour que les gens continuent à se souvenir”

En tant que tel, son corps “doit être séché, ses dents extraites, les ongles de ses mains et ses pieds arrachés” avant d’être enveloppé dans des peaux, poursuit le guérisseur. “Alors vous pouvez construire un monument, ça ne signifie pas que c’est là que sera enterrée la dépouille de Mugabe, conclut-il. C’est juste pour que les gens continuent à s’en souvenir…”

Bien qu’élevé dans la religion catholique – il a étudié chez les jésuites –, l’ancien président est resté attaché à ces traditions, soutient Benjamin Burombo. “C’est vrai, il allait à l’église. Mais il suivait aussi les pratiques traditionnelles”. L’un de ses confidents, le prêtre catholique Emmanuel Ribeiro, confirme que Robert Mugabe était “secret et discret”.

Grace Mugabe ne doit pas s’éloigner du cercueil de son mari

Signe qu’elle a pris ces traditions très au sérieux, la famille s’est appliquée à garder le contrôle permanent du corps du défunt dès qu’il a été rapatrié sur le sol national. Robert Mugabe s’est éteint dans un hôpital de Singapour où il recevait des soins.

Au cours de l’épreuve de force qui l’a opposée au gouvernement, elle a souligné dans un communiqué que Robert Mugabe avait expressément stipulé que “sa femme (…) ne devait en aucun cas s’éloigner de son cercueil (…) jusqu’à son enterrement”. Professeur de sociologie à la retraite, Claude Mararike ne croit toutefois pas que ces précautions aient été uniquement motivées par le respect de la tradition.

Une rancune tenace envers Emmerson Mnangagwa

Il y voit aussi la marque de tensions politiques plus contemporaines. “Le défunt président a peut-être exprimé des vœux avant de mourir mais on n’en sait rien, souligne M. Mararike. Il faut se rappeler qu’il avait été écarté du pouvoir.” Jusqu’à son dernier souffle, Robert Mugabe a gardé une rancune tenace envers M. Mnangagwa, longtemps l’un de ses proches, et aussi envers les généraux et les dirigeants du parti qui l’ont lâché. Des “traîtres”, a-t-il fulminé un jour publiquement.

“Tout ce qui s’est passé autour de ça explique aussi ce dont nous avons été témoins, conclut le professeur Mararike. Les conditions dans lesquelles l’enfant du pays a été remercié suscitent encore beaucoup de colère à Zvimba.”

franceinfo avec AFP

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