Le ministre des Affaires étrangères, Tiébilé Dramé, répond à la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), qui l’accuse de noircir la situation qui prévaut à Kidal, ce bastion touareg du Nord-Mali.
Moussa Ag Attaher, porte-parole de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), ne décolère pas contre Tiébilé Dramé, le ministre malien des Affaires étrangères. Le 25 septembre dans une interview accordée à Jeune Afrique (https://www.jeuneafrique.com/834204/politique/mali-la-cma-quitte-le-dialogue-car-ibk-ouvre-la-porte-a-ceux-qui-rejettent-laccord-de-paix/), ce dernier reprochait au ministre de « se focaliser exclusivement sur Kidal, pour en parler négativement… Nous avons des preuves qu’à Kidal, il est le principal artisan de l’échec du comité de suivi de l’accord de paix. »
À la mi-septembre, la CMA, un des principaux signataires de l’accord pour la paix et la réconciliation d’Alger de 2015, annonçait également son retrait du comité de suivi de cet accord et du dialogue national, censé aboutir aux réformes politiques et institutionnelles nécessaires à l’application de certaines mesures du texte. Une annonce consécutive à l’annulation, à la demande de Bamako, la veille de la rencontre, du 38e Comité de suivi de l’accord (CSA), qui devait se tenir le 17 septembre à Kidal.
Pour relancer le processus d’Alger, Tiébilé Dramé devrait prochainement rencontrer son homologue algérien, Sabri Boukadoum. Cette rencontre aura également pour objet de préciser le statut de la ville de Kidal. En attendant cette entrevue, Tiébilé Dramé, présent à New York pour la 74e Assemblée générale des Nations unies, appelle la CMA au calme.
Jeune Afrique : Vous avez toujours été critique de l’accord de paix. Pensez-vous, comme le président Ibrahim Boubacar Keïta, que certaines dispositions de ce texte peuvent être rediscutées ?
Tiébilé Dramé : Avant la signature de l’accord en 2015, j’ai dit qu’il s’agissait d’une étape importante dans la quête de paix et de stabilité au Mali et qu’il fallait ensuite procéder à sa malléabilisation et à son appropriation dans le cadre d’un dialogue inter-malien. Je n’ai pas changé d’avis. Cette appropriation, nous aurons l’occasion de l’aborder dans quelques semaines, lors du dialogue national. C’est aussi ce qu’a voulu dire le président dans son message du 22 septembre. Son propos n’était pas de remettre en cause les fondamentaux de l’accord. Bien au contraire. Il a dit son attachement, quitte à en discuter quelques dispositions. Le report de la dernière session du Comité de suivi de l’accord qui devait se tenir le 17 septembre à Kidal a suscité l’émoi. Je veux rassurer tous les partenaires : cela n’est pas synonyme d’un déraillement du processus, ni de l’implosion de l’accord de paix.
Depuis sa signature il y a quatre ans, l’accord peine à être mis en œuvre. Quelles sont les dispositions qui, selon vous, posent problème ?
Vous comprendrez que je ne veuille pas insister sur les difficultés, mais plutôt sur les avancées. L’Assemblée nationale a voté la loi créant la zone de développement du Nord, conformément à l’accord. Le dialogue national inclusif abordera entre autres des réformes politiques et institutionnelles. Depuis sa signature, l’état de belligérance a pris fin entre les forces maliennes et les combattants de groupes séparatistes. Enfin, le 2 septembre dernier, les premières unités de l’armée nationale reconstituée ont terminé leur formation et sont sur le point d’être déployées par l’état-major, ce qui est l’une des principales recommandations de l’accord d’Alger.
Donner plus de pouvoir à la région dans un contexte où des groupes armés existent encore, n’est-ce pas justement ouvrir la porte au fédéralisme, comme le craignent certains opposants ?
À la fin du processus de mise en œuvre de l’accord, les groupes armés cesseront d’exister et seront intégrés aux forces nationales. Presque tout le monde est d’accord pour placer la région au cœur de l’architecture institutionnelle du Mali dans le cadre de l’approfondissement de la décentralisation.
L’actuel gouvernement a notamment été mis en place pour favoriser un dialogue politique national. Que pensez-vous du retrait des discussions de certains membres de l’opposition et de la CMA ?
Le dialogue national est le premier point de la feuille de route du gouvernement. Le président et le gouvernement ont tout mis en œuvre pour qu’il ait lieu : nomination de facilitateurs, mise en place d’un comité, discussions autour des termes de référence…Nous sommes à la veille du lancement du processus de dialogue, et de ce point de vue, l’accord politique de gouvernement tient toutes ses promesses. Ce dialogue national est une première depuis 1991. Les Maliens vont s’y retrouver pour parler des problèmes du pays. J’invite la CMA à revenir sur sa décision et à participer activement au dialogue aux côtés des Maliens.
Quels sont vos rapports avec le président nigérien Mahamadou Issoufou, qui a déclaré que Kidal était une « menace » pour la sécurité du Sahel, et contre qui une manifestation a eu lieu jeudi dans la ville du Nord ? Comment jugez-vous ses propos ?
Comment pouvez-vous demander à un ministre quelles sont ses relations avec un chef d’État ? Je ne souhaite pas répondre à cette question. Je dirai simplement que tous ceux qui sont engagés dans la mise en œuvre de l’accord, comme le Niger, visent la restauration de la stabilité au Mali et dans la sous-région.
La CMA vous reproche d’être à l’origine de la mise au ban de Kidal… Que répondez-vous ?
Inviter les Maliens, y compris les habitants de Kidal, à respecter le drapeau national et l’hymne du Mali, ce n’est pas diaboliser Kidal. Exiger que la radio régionale repasse dans le giron de la radio nationale, ce n’est pas ostraciser cette région non plus. Exercer la souveraineté de l’État sur Kidal n’est pas une question négociable. Enfin, je ne saurais participer à une entreprise de diabolisation de Kidal, une région dans laquelle je me suis rendu pour la première fois en 1980 et avec laquelle j’ai établi des relations que rien ne saurait altérer. Je lance aux dirigeants de la CMA et à mes frères et sœurs de Kidal un appel au calme, au sens des responsabilités, pour qu’ensemble nous œuvrions à tourner la page de cette crise.
Jeune Afrique
Par Aïssatou Diallo
Le Républicain